Un drame, une loi, suite mais pas fin (440)
Droits des enfants - Jean-Pierre Rosenczveig, 21/11/2011
La réponse gouvernementale est tombée à 18 h ce lundi après les événements dramatiques de jeudi : un amendement législatif sera adopté mercredi en conseil des ministres pour améliorer les conditions d’évaluation de la dangerosité des jeunes et rendre obligatoire le placement en centre éducatif fermé des jeunes auteurs de faits graves.
On en sourirait presque si l’affaire n’était pas dramatique, tellement on aurait pu prendre les paris ce matin : un drame, une loi ! Malgré les avertissements, on n’aura pas échappé à cette réponse. Un engagement peu crédible aux yeux de tant et tant de français.
Alors qu’il ordonne lui-même des investigations et que l’enquête du juge d’instruction est à peine ébauchée, le gouvernement a déjà trouvé les réponses adaptées ! A défaut de mettre en évidence des fautes ou prétendues fautes judiciaires comme on l’a fait dans des affaires précédentes, on identifie deux problèmes. D’abord on pointe les limites de l’expertise psychiatrique. Puis, avec l’air de ne pas y toucher, respect de la décision judiciaire oblige, qui plus est cautionnée par le parquet, on met en cause l’orientation retenue : si la détention provisoire n’était plus nécessaire, le placement en centres éducatifs fermés s’imposait. On va donc le rendre obligatoire pour les mineurs accusés de crimes.
Relevons-le d’entrée de jeu : si cette réponse était aussi utile, que ne l’a-t-on pas décidée de longue date ? Et déjà, dans l’une des deux lois portant réforme de l’ordonnance du 2 février 1945 déjà adoptées en cette année 2011 (mars et août) à l’initiative du gouvernement, sinon dans la proposition de loi Ciotti que le gouvernement tente de faire adopter actuellement par le parlement !
Une nouvelle fois, on est dans la réponse type « jugulaire, jugulaire !» à l’émotion de l’opinion.
Que lui vend-t-on réellement ? Du sérieux ou du vent ?
Il faut ici reprendre les deux pistes avancées par le gouvernement qui touchent l’une au diagnostic et l’autre à la réponse à mettre en œuvre avant de s’arrêter un temps sur la question de l’information due aux enseignants.
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A juste titre les pouvoirs publics identifient la difficulté majeure dans ce type d’affaire criminelle : apprécier au mieux la dangerosité du mis en cause. En l’espèce, sans que nous connaissions les détails du dossier, il apparaît que le juge d’instruction, avec l’accord implicite ou explicite du parquet, avec les avis des experts dont il disposait, a estimé que le maintien en détention ne s’imposait pas pour des raisons d’ordre public et dans le même temps qu’il n’y avait pas matière à internement psychiatrique. Un violeur n’est pas systématiquement appelé à réitérer. On a pu penser en l’espèce qu’avec une thérapie et un soutien psychologique - au demeurant réellement mis en place l’une comme l’autre - on pouvait juguler d’éventuelles nouvelles pulsions sexuelles. Les faits ont infligé un cruel démenti à cette évaluation.
Pouvait-on faire une meilleure analyse ? En l’état des informations dont nous disposons il est difficile de répondre, mais on peut l’imaginer. Faut-il recourir à deux expertises ou un collège d’experts en adjoignant des psychologues, des éducateurs de la PJJ ou personnels de la pénitentiaires comme l’avance M. Mercier ? Pourquoi pas ? Encore faut-il trouver des experts disponibles intervenant dans des délais raisonnables.
Encore faut-il dégager des moyens financiers sachant qu’une expertise psychiatrique est aujourd’hui dédommagée à hauteur d’environ 300 euros.
Surtout la difficulté tient au mandat qu’on veut donner aux experts : doivent-ils décrypter une situation et permettre aux magistrats de mieux en comprendre les tenants ou peut-on aller plus loin en lui demandant de pronostiquer l’avenir en se prononçant sur la non réitération ? Il est clair que les psychiatres ne veulent pas qu’on leur impose désormais une obligation de résultat : en l’état de la science psychiatrique et des standards de référence, ils peuvent analyser une personnalité, ils ne peuvent pas assurer qu’un individu, y compris en bonne santé psychotique apparente, ne passera pas à l’acte, a fortiori ne repassera pas à l’acte s’il a déjà commis un crime ou un délit. Or c’est ce que l’on attend d’eux. Et s’ils se risquent à un pronostic démenti par les faits le parquet ou la partie civile ne manqueront lors des assises de les démonter. Il ne faut pas s’étonner dans ces conditions que la veine des candidats aux expertises psychiatriques se restreigne.
En d’autres termes, une loi ne suffira pas ici. Il faut clarifier la mission et revaloriser l’indemnisation des psychiatres et articuler leur expertises avec celle des autres intervenants qu’on entend mobiliser.
J’ajoute que dans le temps où le gouvernement entend développer la capacité d’analyse sur les cas les plus graves on assiste à une contraction – pour prendre un mot pudique - des moyens donnés aux juges des enfants et au juge d’instruction pour décider de mesures d’investigation qui justement mobilisent psychiatres, psychologues et éducateurs. Le réseau associatif voit ses moyens réduits et la PJJ, faute de psychologues, ne peut pas prendre le relais. Avant le drame du Chambon sur Lignon plusieurs centaines – estimation volontairement basse - de mesures sont en attente d’être mises en œuvre. Et on nous parle aujourd'hui - M. Fenech ex magistrat et ex-député UMP - en reférence à ce qui se pratique dans d'autres pays, d'expertise actuarielle à 37 000 euros par mineur !
Sur ce sujet comme sur bien d’autres, le ministre de la justice le sait, il faudra du temps pour réunir les moyens nécessaires. Personne n’est dupe de cette difficulté.
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Sur le volet réponse, rendre obligatoire le placement en centre éducatif fermé relève de l’incantation, et même de la manipulation.
Un centre éducatif fermé n’est pas un succédané de la prison, en tout cas ce n’est pas un lieu clos malgré son intitulé : certes on peut en sortir difficilement certes du fait de la présence de nombreux adultes et de dispositifs techniques mais cela n’a rien d’un exploit. En d’autres termes, il apparait un peu contradictoire d’affirmer que certains jeunes sont dangereux au point où il faut s’assurer de leur personne et les confier à une structure fermée sur le papier, mais en réalité ouverte ! Osons affronter l’incarcération ou l’internement psychiatrique si le besoin s’en impose.
Il faut rappeler ici que ces structures créées par la loi dite Perben I de 2002 visait à offrir une alternative à l’incarcération pour des mineurs multirédivistes, refusant toute autorité et en rupture scolaire.
Au fur et à mesure des années et des réformes on a élargi les cas de recours aux centres éducatifs fermés. Ainsi ils ne sont plus ouverts aux seuls mineurs en phase d’instruction, mais dans le cadre d’une libération conditionnelle ils peuvent permettre de faciliter le retour à la vie civile pour les mineurs en fin de peine. On a aussi abaissé le seuil d’infraction qui justifie leur mobilisation : un vol simple peut y donner vocation.
Désormais on y placerait des mineurs primo-délinquants accusés – sans encore être condamnés – faits criminels. Pourquoi pas ? Il faut admettre qu’entre la détention carcérale et le « milieu ouvert » avec un suivi psychiatrique ambulatoire, il faut trouver des réponses intermédiaires. Les CEF, centres éducatifs renforcés ou autres foyers éducatifs peuvent ici jouer un rôle.
Ces lieux ne sont que des foyers à l’ancienne. Ce sont moins les hauts murs qui font aujourd’hui un centre fermé que le taux élevé d’encadrement par des adultes. Une différence majeure par rapport à une prison classique. Il y a 20 ans nous appelions dans « Libération » à « Privilégier les hommes sur les murs », ce n’est pas pour aujourd’hui dénigrer des démarches qui vont dans ce sens. Mais gardons nous de tout systématisme comme le sous-tend le discours ministériel : en matière de justice il faut faire du sur-mesure !
Reste que cela ne fait pas une politique et qu’il ne faut pas basculer dans le tout "centres éducatifs fermés.
Reste aussi un point de détail à gérer : se doter des structures en nombre suffisant. M. Perben nous annonçait un CEF par département en 2002. On en est loin 10 ans plus tard. Nous disposons à peine de 43 structures. Quelques unes sont programmées pour atteindre 48 en 2012. Le gouvernement forme le projet de créer 20 structures supplémentaires. A quelle échéance ?
Le ministre disait ce soir que nous disposions actuellement de 476 places en CEF. Chiffre théorique comme il le sait parfaitement bien. Au-delà de 6 ou 7 mineures accueillis, par définition des jeunes dans l’opposition ou perturbés la cocote-minute risque à tout instant de sauter. Les responsables demandent à ne pas mettre en danger le fragile équilibre qu’ils tentent de tenir à tout instant. En vérité, seulement 350 mineurs peuvent être accueillis en un instant T dans ces structures. On veut y mettre demain les jeunes primo délinquants poursuivis pour crimes. Nul doute qu’alors on ne pourra pas monter à l’effectif théorique de 10. Il faudra donc multiplier ces équipements .
Il faut ici avoir en tète le coût de revient de ces structures pour le budget public : entre 600 et 700 euros par mineur et par jour, voire parfois plus. Soit pour un séjour maximal de 6 mois renouvelable une fois une somme d’environ 500 000 euros.
Faut-il ajouter que les CEF n’offrent pas même pour ce prix la certitude de l’absence de rechute ? 40% au bas mot des jeunes sortants de CEF se retrouvent dans des affaires judiciaires, preuve s’il en est qu’un maillon de qualité ne suffit pas dans la chaine qui doit permettre de remettre les jeunes tètes blondes ou frisées sur la bonne voie. Seuls une poignée d'entre eux offrent une capacité de prise en charge psychiatrique. Si le jeune M. avait été placé en centre éducatif fermé il n'aurait certanement pas croisé la route de la jeune Agnès, mais rien n'assure qu'il aurait pas agressé quelqu'un dans ou hors le CEF.
Bref, si les CEF peuvent être utiles pour tel jeune c’est une erreur de la part de ce gouvernement et ceux qui aspirent à y être de penser qu’ils constituent la panacée de la prévention de la récidive, en matière sexuelle ou même dans la délinquance plus courante.
Il faut plus que jamais développer une diversité de structures et de réponses pour faire du sur-mesure dans l’instant et sur la durée.. Des jeunes doivent être accueillis et souvent éloignés de leur domicile mais dans le même temps d’autres qui vivent chez eux et doivent y demeurer doivent être suivis par des éducateurs.
Or depuis 2011, toute proportion gardée, le budget de la PJJ est en baisse.
Je me dois d’ajouter pour être complet, et pour mémoire, que dans le même temps où on lutte contre la récidive il faut développer une stratégie de lutte contre la primo délinquance (voir mes autres billets sur le sujet).
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Enfin, pour le ministre il va de soi qu’il faut que la justice partage l’information qu’elle possède avec les enseignants qui scolarisent les jeunes qu’elle suit. Comme je l’esquissais ici même hier la question est bien plus compliquée qu’il n’y parait aux politiques. M. Mercier en allant dans le bon sens populaire ouvre un débat qu’il va être difficile de gérer et de maîtriser. Il est évident que nombre d’établissements refuseront d’accueillir des jeunes dont ils connaitront les difficultés passées. On va entrer dans une période où nombre des jeunes suivis par la PJJ ne seront plus scolarisés en milieu classique. Quelle réponse alternative va-t-on alors promouvoir ?
De deux choses l’une : ou un jeune présente un risque majeur de réitération et il ne doit pas se trouver dans ce type de structure ; si le diagnostic qui est fait n‘est pas de dangerosité il faut se donner les moyens d’une recherche de socialisation. Les chefs d’établissements qui, je le rappelle, ne sont pas tenus au sens du droit pénal au secret professionnel mais à une simple obligation de discrétion vont répercuter les informations qui leur seront données. Le jeune sera grillé dans l'établissement et tout simplement ne l’intégrera pas. Imagine-t-on qu’un chef d’entreprise soit informé sur les turpitudes privées de ses salariés ? Le débat dépasse largement le problème posé par les délinquants sexuels, mais se pose tous les jours dans nombre de situations plus banales.
On va trop vite sur ce point sans se référer aux principes qui doivent éclairer les règles du jeu à adopter. Au prétexte de partager on va vers un nouveau cloisonnement des institutions. Chacun dans son pré carré : les mineurs délinquants avec les mineurs délinquants ; les enfants sains avec les enfants sains. Nul doute que le ministre va devoir supporter dans les temps à venir l’interpellation de ses travailleurs sociaux et de ses magistrats.
Les problèmes soulevés par le drame du Chambon-sur-Lignon sont loin d’être réglés. Preuve une nouvelle fois qu’il ne faut pas répondre avant d’avoir analysé.