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Au procès Bonnemaison, les certitudes de Bernard Kouchner, l’humilité de Michèle Delaunay

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 20/06/2014

Tous deux sont médecins et anciens ministres et leurs fonctions gouvernementales les ont amenés à s'intéresser à la problématique de la fin de vie. Bernard Kouchner, ministre de la santé dans le gouvernement de Lionel Jospin, avec la loi du … Continuer la lecture

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Tous deux sont médecins et anciens ministres et leurs fonctions gouvernementales les ont amenés à s'intéresser à la problématique de la fin de vie. Bernard Kouchner, ministre de la santé dans le gouvernement de Lionel Jospin, avec la loi du 4 mars 2002 relative aux droits des malades et à la qualité du système de santé, Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de la dépendance dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, qui a porté la loi de programmation sur la dépendance.  L'un et l'autre ont été cités, vendredi 20 juin, en qualité de "grand témoin" à la barre de la cour d'assises qui juge l'ancien urgentiste Nicolas Bonnemaison.

Le premier a beaucoup de certitudes, la seconde autant d'humilité. Bernard Kouchner parle beaucoup de lui - le French doctor, l'ingérence humanitaire, son amitié avec l'abbé Pierre - Michèle Delaunay se nourrit des autres - "Qui suis-je pour juger?". Mais tous deux sont venus, à leur manière, apporter leur soutien à l'ancien urgentiste accusé d'empoisonnement. "La trajectoire d'un homme se mesure aux risques qu'il encourt. Il y a des domaines dans lesquelles l'illégalité est féconde" a déclaré Bernard Kouchner, qui a rappelé son souhait de voir évoluer la loi en faveur du suicide assisté. "La mentalité du docteur Bonnemaison n'est pas celle d'un meurtrier", a affirmé Michèle Delaunay.

Dehors, il restera sans doute l'image de la longue accolade accordée par Bernard Kouchner à Nicolas Bonnemaison dans la salle des pas perdus devant les caméras de télévision. Mais dedans, la cour et les jurés se souviendront davantage de la densité de l'intervention de la seconde. Elle s'est imposée dès ses premiers mots. "Tous les cas particuliers - Nicolas Bonnemaison, Vincent Humbert, Vincent Lambert [dont le cas était examiné ce même jour devant le conseil d'Etat] ne peuvent être le support d'une loi. Dans chacun d'entre eux, il y aura toujours un interstice libre pour la conscience, a observé Michèle Delaunay. "Je suis fondamentalement médecin et je suis aussi un défenseur de la loi. Le législateur ne peut pas s'absoudre de sa responsabilité sur les questions de fin de vie. Mais il ne pourra jamais en couvrir tous les aspects".

Elle a rappelé quelques chiffres: 90.000 Français atteignent leur fin de vie dans des établissements pour personnes âgées hautement dépendantes (EPAHD). Parmi eux, 25.000 sont transférés au dernier moment dans un service d'urgence hospitalière. Et parmi ces 25.000 personnes, 75% meurent avant leur deuxième nuit à l'hôpital.

"C'est ce que j'appelle la parabole des trois résidents. La nuit est tombée, il y a peu de personnel de garde dans l'établissement. Un premier résident s'agite et marche dans les couloirs. Un second a du mal à respirer. Le troisième est à l'agonie. Le personnel va calmer le premier et le ramener dans sa chambre, donner un traitement au second. Et appeler l'ambulance pour le troisième. Voilà la raison pour laquelle les urgentistes, qui ont déjà une tâche suffisamment lourde, sont chargés, en plus, des dernières heures de ces patients". 

En réponse au questionnement qui, depuis le début du procès, porte sur le partage de la responsabilité entre les familles et le médecin dans ces moments d'urgence, l'ancienne praticienne hospitalière qui a exercé pendant trente ans dans un service de cancérologie, apporte un jugement nuancé. "L'avis des familles a parfois une certaine...fragilité, dit-elle - elle a hésité un peu sur le mot, cherchant le plus juste ou le moins blessant - La responsabilité pour elles est très lourde et fluctuante. Il y a parfois beaucoup de culpabilité. Tel fils ou fille va être dans une relation fusionnelle. Tel autre sera fatigué des aller-retours entre son domicile et l'hôpital. On ne peut pas faire un conseil de famille pour réunir tout le monde. Quand un malade s'étouffe , il n'est pas question de faire un colloque. Et cela, quoi qu'il arrive, ne pourra jamais être effacé de la mémoire des proches."

Revenant au cas de Nicolas Bonnemaison, auquel il est reproché par l'accusation de ne pas avoir suffisamment informé les familles du traitement sédatif mis en place sur ses patients en fin de vie, elle a observé que le fait que la majorité d'entre elles ne se sont pas constituées partie civile, était "une réponse à titre posthume".

"Ce procès, a t-elle souligné, n'est pas celui de l'euthanasie. Il est celui de la fin de vie et de l'accompagnement de fin de vie. La plupart des gens qui militent en faveur de l'euthanasie sont en général plutôt jeunes et bien portants. Mais face à la maladie, on ne connaît le caractère du soldat que sur le champ de bataille".

Après ces deux témoins, une autre déposition est venue ajouter à la complexité de la décision de justice que devront rendre, jeudi 26 juin, la cour et les jurés. Le psychiatre Roland Coutanceau, qui avait été chargé de l'expertise de Nicolas Bonnemaison, a apporté plusieurs réponses aux questions posées tant par le président Michel Le Maitre que par l'avocat général Marc Mariée sur la "fragilité psychologique" de l'accusé.  Elle avait été évoquée assez longuement au début du procès lors de son interrogatoire de personnalité.

Rappelant les épisodes de dépression dont a souffert Nicolas Bonnemaison - qui l'ont conduit à des séjours en hôpital psychiatrique et à des arrêts maladie, lorsqu'il exerçait ses fonctions de chef de service - le docteur Coutanceau a écarté l'idée d'un lien causal direct entre cette fragilité et les actes qui lui sont reprochés. Mais il a relevé, chez l'ancien urgentiste une "hyperidentification à autrui". "Il y a là quelque chose qui est excessif. Ce n'est pas pathologique mais cela peut expliquer ses actes", a t-il indiqué.

- Diriez-vous qu'il y a, dans ces actes, une dimension compassionnelle? lui a demandé l'avocat général.

- Oui. Il se met à la place du mourant, en projetant sa propre sensibilité sur la dignité de la fin de vie. A la place de la famille, sur laquelle il ne veut pas faire porter la responsabilité. A la place des équipes soignantes qu'il ne veut pas "embêter". Mais être trop compassionnel, c'est faire l'économie des autres. Il veut exonérer les autres d'un poids qui, pourtant, leur appartient".

Poursuite des débats lundi 23 juin.


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