Orsoni, mauvais théâtre, triste procès
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 4/06/2015
À quoi pensent-ils ces hommes et ces femmes que le tirage au sort a désignés comme jurés au procès Orsoni ? Depuis près de quatre semaines, ils ont mis leur vie quotidienne entre parenthèses pour siéger aux côtés des trois magistrats professionnels qui composent la cour d’assises des Bouches-du-Rhône à Aix-en-Provence. Ils sont attentifs, prennent des notes, dans la perspective du long délibéré qui les attend début juillet – deux journées complètes ont été prévues dans le calendrier de l’audience et un lieu secret a été réquisitionné pour les accueillir pendant le temps nécessaire à leur délibération.
Les faits sont graves, deux jeunes hommes, Thierry Castola et Sabri Brahimi, sont morts assassinés en janvier 2009 à Ajaccio, un troisième, Francis Castola, a réchappé d’une tentative d’assassinat quelques mois plus tard. Les enjeux sont lourds, douze accusés – l’un est en cavale – ont été renvoyés devant la cour d’assises et certains d’entre eux, s’ils sont reconnus coupables d’assassinats commis en bande organisée, encourent la réclusion criminelle à perpétuité. L’audience ressemble pourtant chaque jour davantage à une pièce de mauvais théâtre, décor factice, dialogues tronqués, débat biaisé.
Témoins absents ou introuvables
Il a fallu d’abord s’accommoder de l’atmosphère particulière des règlements de comptes insulaires. Des témoins absents – certains ont l’excuse d’avoir été assassinés – d’autres introuvables. Ceux qui consentent à venir à la barre se divisent en deux catégories : soit ils n’ont rien à déclarer, soit ils sont là pour démentir le peu qu’ils ont dit. Pour ceux-là, les vrais juges ne semblent être ni les jurés citoyens, ni les trois magistrats professionnels mais bien les accusés – à tout le moins certains d’entre eux – et au-delà d’eux une famille, un village qui les regardent et jaugent leur capacité non pas à éclairer la justice mais à résister à sa curiosité.
À cela s’ajoute le déséquilibre d’un procès pénal dans lequel les victimes sont inexistantes. Face aux accusés, on pouvait imaginer que prendraient place deux familles au grand complet endeuillées par la perte d’un fils, d’un frère, d’un compagnon ou d’un père. Une seule femme, l’ex-épouse de Thierry Castola, assiste en intermittence à l’audience et la cour est toujours sans nouvelles de Francis Castola. Faute de soutien du côté des parties civiles, l’avocat général Pierre Cortès fait face, seul, à une batterie d’avocats parmi lesquels quelques-uns des plus célèbres pénalistes, dont Hervé Temime, Eric Dupond-Moretti, Thierry Herzog, Philippe Dehapiot, Frédéric Monneret, Jean-Félix Luciani ou Luc-Philippe Febbraro. Quant au président de la cour, Patrick Vogt, il conduit les débats dans un mélange de familiarité déplacée et de brusques accès de susceptibilité qui brouillent la nécessaire sérénité des débats.
Le sentiment désagréable que dans cette affaire, rien d’essentiel ne se joue à l’audience s’est renforcé mardi 2 et mercredi 3 juin. Dans le box sont quatre accusés. Ou plus justement dit, trois plus un. Les premiers, Guy Orsoni, David Taddei et Jean-Baptiste Ottavi arrivent chaque matin du centre de détention d’Aix-Luynes, le dernier, Franck Tarpinian, voyage seul depuis la prison des Baumettes. La ségrégation se prolonge ostensiblement dans le box, sous le regard vigilant des gardiens. Quelques jours plus tôt, en réponse à une question du président qui l’interrogeait sur ses relations avec Franck Tarpinian, Guy Orsoni avait lâché : « C’était un très bon ami. - Il ne l’est plus ? - J’attends des explications ». Elles sont arrivées mardi.
Atmosphère pesante
À la barre, le commissaire chargé de l’enquête sur l’assassinat de Sabri Brahimi explique l’importance du témoignage qu’il a recueilli de la part de Franck Tarpinian. Originaire de Marseille, l’accusé a fait son apprentissage de la Corse en partageant sa cellule avec le pilier de la Brise de mer, Francis Mariani. Il s’est ensuite lié d’amitié avec Guy Orsoni et c’est à sa demande qu’il aurait accepté, en janvier 2009, de venir à Ajaccio pour « secouer quelqu’un ». Ce n’est qu’une fois sur place qu’il a renoncé. « J’ai quelques principes et il y a des limites que je ne peux pas franchir » a-t-il déclaré en garde à vue puis à de nombreuses reprises chez le juge. Mais le récit qu’il a livré de son voyage, de l’identité de ceux qui l’ont accompagné depuis Marseille, puis de l’autre groupe qui les a rejoints à Ajaccio dans les jours précédant l’assassinat de Sabri Brahimi, et de leur séjour commun dans un appartement appartenant à une tante de Guy Orsoni, est décisif pour nourrir le dossier d’association de malfaiteurs contre ce dernier et six autres accusés. À peine le commissaire a-t-il terminé sa déposition que Franck Tarpinian se lève et annonce : « Tout ce que j’ai dit, c’est de la fiction.
- Voilà donc les explications qu’attendait Guy Orsoni » , relève avec ironie l’avocat général. »
Franck Tarpinian dément tout, sans chercher à être cru, à l’époque dit-il, il était « émotionné » par la naissance de son fils, s’il est bien venu à Ajaccio ce jour-là, c’était « pour apporter une enveloppe à Francis Mariani, bon il était mort, alors je devais la donner à un autre, qui était mort aussi, alors on m’a envoyé quelqu’un d’autre que je ne connais pas. » Son avocate, Me Sophie Bottai, qui l’avait assisté lors de ses comparutions chez le juge, le regarde se noyer dans sa nouvelle version sans pouvoir lui venir en aide. Les avocats des autres accusés baissent la tête, mal à l’aise, devant cette rétractation maladroite et annoncée dont ils redoutent qu’elle fasse plus de mal que de bien à ceux qu’ils défendent. On regarde à nouveau les jurés.
Quatre semaines ont déjà passé et des débats ne surnage que cette atmosphère pesante. Un contexte, un climat, mais on ne sait toujours pas pourquoi deux hommes ont été tués ni par qui. De la foi dans le procès, la force de son débat public et contradictoire, ses tensions et ses petits miracles d’audience, le tout menant à une forme de vérité judiciaire, parente certes lointaine de la vérité tout court, mais parente tout de même, le procès Orsoni est l’apostasie.