Wade, rescapé du juridisme
Actualités du droit - Gilles Devers, 5/02/2012
Wade se fait élire, réforme la Constitution pour se limiter à deux mandats, et à la fin de son deuxième mandat, il en brigue en troisième en soutenant qu’on ne peut pas compter le premier, car il a débuté avant la réforme. Ca nous intéresse car le Sénégal nous parle, et aussi… parce que c’est exactement la situation constitutionnelle pour Sarkozy.
Résumons. Wade est élu en 2000 pour un septennat, et en 2007, il est réélu pour 5 ans. On arrive à janvier 2012.
En 2001, il a fait adopter une réforme de la constitution, avec un nouvel article 27, prévoyant que : « Le mandat est renouvelable une seule fois ».
En 2007, trois jours après sa réélection, Wade déclare en conférence de presse : « J’ai bloqué le nombre de mandats à deux ; donc, ce n’est pas possible que je me représente. Je vous le dis sincèrement, je ne peux pas me représenter en 2012 ». Déclaration intéressante de celui qui affirme : « La Constitution, c’est moi qui l’ai rédigée. Tout seul. Nul ne la connaît mieux que moi. C’est moi qui l’ai écrite ».
Oui, mais voilà, Wade aime bien le pouvoir, et il veut se représenter en 2012, à l’âge de 85 ans.
Le Conseil constitutionnel a validé sa candidature, sans se prononcer spécifiquement sur la question. Il a constaté que Wade avait réuni les 10 000 signatures nécessaires, l'équivalent au Sénégal de nos 500 maires.
Pour déblayer le terrain, Wade avait recruté le cabinet d’avocats US McKenna, Long & Aldridge pour lui trouver des solutions (150 000 €, puis 50 000 par mois… payés par l’Etat sénégalais !) et il avait organisé un débat avec des quelques mamies universitaires françaises et… ô surprise, ce jury a conclu que la candidature de Wade était valable. Commentaire du Professeur Michel de Guillenchmidt, doyen honoraire de l’Université Paris Descartes à propos de l’analyse de Wade sur les deux mandats bloqués : « Cette déclaration n’est pas une norme de droit. Elle n’est pas de valeur juridique. C’est un commentaire ».
Le professeur est bien mignon, mais on peut quand même dire qu’il se fiche du monde.
Son argument est simple : Wade a été élu en 2000, la réforme constitutionnelle date de 2001, donc elle ne s’applique que pour l’avenir, et Wade peut faire trois mandats.
Pour situer, ce serait exactement la même chose pour Sarkozy. Chirac avait laissé le quinquennat, librement renouvelable. Sarkozy a été élu en 2007, et fait procéder en 2008 à une réforme de la constitution, créant le quinquennat renouvelable une seule fois. Le Professeur Michel de Guillenchmidt, doyen honoraire de l’Université Paris Descartes, oserait-il en France soutenir que le premier mandat de Sarkozy ne compte pas, et qu’il pourrait ainsi se présenter trois fois ?
Il y a au moins trois motifs pour s’opposer à l’analyse du Professeur Michel de Guillenchmidt, doyen honoraire de l’Université Paris Descartes.
La Constitution, c’est plus qu’une loi. C’est l’ordre juridique fondamental, et une réforme impose une mise à jour globale. On ne peut pas laisser dans la base constitutionnelle des règles issues d’un ordre ancien, révolu.
Ensuite, pour interpréter un texte, et surtout quand il est court, voire succinct, comme un article constitutionnel, on doit avoir la plus grande attention pour les travaux préparatoires. Or tout montre dans que le but était de limiter les mandats à deux, sans finasser.
Et puis, l’interprétation d’un texte doit se faire en fonction de son esprit, et en cherchant le sens utile. La déclaration de Wade de 2007, qui en elle-même n’a pas de valeur juridique, montre bien comment interpréter le texte de 2001.
Donc, la candidature de Wade repose sur un juridisme formel, contre l’esprit du texte. Le juridisme qui est une maladie du droit.
La principale force de Wade, c’est la division de l’opposition. Les choses vont-elles bouger ?