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Le Roi est nu !

:: S.I.Lex :: - calimaq, 18/02/2012

Pas de longues analyses juridiques dans ce billet, mais une manifestation de soutien à Publie.net et à François Bon dans l’épreuve qu’il traverse, suite à la demande de retrait déposée à son encontre par Gallimard pour la traduction du Vieil … Lire la suite

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Pas de longues analyses juridiques dans ce billet, mais une manifestation de soutien à Publie.net et à François Bon dans l’épreuve qu’il traverse, suite à la demande de retrait déposée à son encontre par Gallimard pour la traduction du Vieil Homme et la Mer d’Hemingway.

Cécile Dehesdin a produit un article excellent sur Slate qui examine la question complexe du statut juridique de cette oeuvre, dans le domaine public au Canada, mais encore protégée aux Etats-Unis jusqu’en 2047 et en France jusqu’en 2032. Hubert Guillaud et André Gunthert ont quant à eux écrits des billets de synthèse qui mettent remarquablement en perspective cette affaire avec la question générale du droit d’auteur dans l’environnement numérique.

Très grosse erreur du Roi des éditeurs... (The old king is dead. Par thekevinchang. CC-BY-NC-ND. Source : Flickr)

Pour ma part, l’attaque de Gallimard m’a immédiatement fait penser à la conférence prononcée par Lawrence Lessig, le père des licences Creative Commons lors de l’eG8, en mai dernier. “Le futur n’a pas été invité !”, avait-il lancé et il avait fustigé la dérive actuelle du droit d’auteur, instrumentalisé par des “établis” (incumbents) pour se protéger de l’arrivée d’outsiders, plus innovants et menaçants leur position dominante. Son intervention est à réécouter aujourd’hui, à la lumière de ce qui vient de se passer.

Aussi bien dans les formes qu’il explore que dans les nouveaux types de relations qu’il invente et tisse avec ses auteurs, François Bon représente sans aucun doute un des futurs de l’édition et ce sont toutes ces potentialités de renouveau de la création que l’on a voulu atteindre à travers lui.

En attaquant François Bon pour avoir réalisé et diffusé en numérique une traduction originale, alors que Gallimard n’en diffuse qu’une ancienne en papier datant des années 50, le Roi des éditeurs s’est pour ainsi dire mis à nu. Qui pourra soutenir encore que le droit d’auteur sert à favoriser l’innovation et la créativité quand il est employé ainsi pour conforter une situation de rente ?

Suite à l’onde de choc qui s’est propagée sur Twitter, de nombreuses personnes ont décidé de faire sauter les DRM sur le fichier de la traduction de François Bon et de la diffuser librement sur la Toile afin que l’oeuvre reste accessible, malgré son retrait sur Publie.net.

A titre personnel, j’aurais sans doute préféré que des sommes soient rassemblées pour permettre à François Bon de se défendre en justice. Cela aurait constitué une occasion importante pour soulever devant les juges la question du statut du domaine public et son écartèlement par des règles de droit disparates au niveau mondial, qui le vident de son sens à l’heure d’Internet.

Un tel procès aurait également permis de contester la manière abusive dont les droits sur les traductions sont cédés, avec une exclusivité par langue et par pays qui empêche des projets alternatifs de voir le jour. Bien entendu, les chances de l’emporter auraient été très faibles, mais nous arrivons à un stade où il importe que de telles questions soient débattues devant les juges, pour tenter de faire évoluer les règles.

Ces DRM qui ont sauté sur les fichiers de la traduction de François Bon sont à mon sens le signe que d’autres verrous sont en train de tomber, suite à cette affaire qui vient en point d’orgue à l’accumulation vertigineuse d’atteintes aux libertés que nous sommes obligés de subir en raison des dérives de la propriété intellectuelle.

J’ai en effet déjà essayé de montrer que le rôle le plus important du droit d’auteur n’est pas d’empêcher les copies illégales. Le droit, avant d’agir sur le réel, est conçu pour exercer une emprise sur notre imaginaire et façonner la manière dont nous nous représentons le monde. Des meurtres ou des vols sont commis tous les jours, mais cela n’affaiblit pas pour autant l’idée ancrée en nous que ces actes sont illégitimes. Avec le droit d’auteur, cette fonction “imaginative” est en train peu à peu de disparaître. Pour le dire autrement, le “DRM mental” que le droit d’auteur exerçait sur les esprits perd peu à peu son efficacité. Il n’a plus le pouvoir de nous aider à nous représenter le monde, en particulier dans l’environnement numérique. D’où une débauche de moyens répressifs pour le faire respecter, puisque les individus n’intériorisent plus l’impératif d’en suivre les prescriptions.

C’est la raison pour laquelle le geste de Gallimard a quelque chose de profondément suicidaire. En s’attaquant de cette manière à Publie.net, il ne peut que contribuer à affaiblir encore davantage la légitimité du droit d’auteur et le transformer en repoussoir pour des masses d’internautes.

En lisant les commentaires hier sur Twitter et dans la blogosphère, on se rendait bien compte qu’une sorte de cap a été franchi avec cette affaire, qui pourrait bien être un point de non retour pour beaucoup. En tout cas pour moi, c’est une étape importante qui m’oblige à reconsidérer beaucoup de choses.

A titre personnel, je dois dire à quel point François Bon et Publie.net ont été des éléments décisifs dans ma réflexion sur la création et le droit dans l’environnement numérique. C’est en découvrant le nouveau modèle de contrat mis en place par François pour Publie.net que j’ai commencé à creuser la question du contrat d’édition. Et c’est en approfondissant cette question que j’ai pris peu à peu conscience que j’étais devenu un auteur à force d’écrire en ligne. Ayant par la suite eu la chance de croiser François à plusieurs reprises, j’ai été impressionné par l’intégrité du personnage et la force de l’éthique qui l’anime. Cela fait partie des rencontres qui comptent et qui donnent du sens à un engagement.

Après une affaire comme celle-ci, que faire ? Car on ne peut se contenter de lancer quelques tweets et d’écrire un billet.

Il me semble important d’essayer de donner corps à l’idée de traductions libres d’oeuvres du domaine public que j’avais lancée en janvier, et notamment à la traduction d’Ulysse de Joyce, entré dans le domaine public en France cette année. C’est un projet difficile à réaliser, mais mon envie de le mener à bien est à présent décuplée, car figurez-vous que c’est Gallimard qui possédait les droits de traduction en français pour cette oeuvre et cette fois, ils ne pourront rien faire pour l’empêcher !

Par ailleurs, je pense que la meilleure façon d’aider François et Publie.net en tant qu’auteur, c’est de lui proposer des textes pour enrichir son catalogue. Il y a quelques mois, Hubert Guillaud, qui dirige la collection Washing Machine sur Publie.net, m’a proposé de réaliser un livre numérique à partir des billets publiés depuis trois ans sur S.I.Lex. Pour diverses raisons, je n’ai pas pu trouver le temps de me consacrer autant que je l’aurais voulu à ce projet, qui s’avère beaucoup plus complexe que je ne le pensais, car on ne transforme pas aisément le contenu d’un blog en un livre.

Néanmoins, je tiens à présent plus que jamais à mener à bien ce projet et il est possible que le rythme de publication des billets dans S.I.Lex ralentisse dans les semaines qui viennent pour que je puisse me donner le temps d’avancer avec Hubert sur ce chantier.

Par ailleurs, le meilleur moyen de soutenir Publie.net, c’est d’acheter les eBooks que la plateforme propose. Je rappelle d’ailleurs à mes collègues bibliothécaires que Publie.net constituent l’un des rares éditeurs à proposer une formule d’abonnement intéressante pour les bibliothèques et que pour cela aussi, il importe de le soutenir.

Le mot de la fin à Daniel Bourrion ;-)


Classé dans:Edition numérique, aspects juridiques

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