Le diable ne s'habille plus en FN !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 2/02/2015
Le Front national serait en tête du premier tour de l'élection présidentielle, si elle avait lieu aujourd'hui, avec un score de 29 à 31 %.
Dans un sondage récent, plus de la moitié des Français considèrent que le FN est un parti comme les autres (JDD).
Sa candidate à l'élection législative partielle dans la quatrième circonscription du Doubs pour remplacer Pierre Moscovici devenu commissaire européen, obtient 32,60% des suffrages devant un socialiste à 28,85%, et l'UMP Charles Demouge, qui bénéficiait pourtant du soutien de l'UDI et de l'absence du MoDem, est éliminé avec 26,54% (lemonde.fr).
Avec une participation des électeurs s'élevant à 39,5%, totalement indigne d'une démocratie où des citoyens trop choyés crachent dans la soupe républicaine et protestent ensuite contre les politiques qui les déçoivent.
Le 3 février, l'UMP, qui pour la première fois depuis deux ans n'est pas au second tour d'une élection, décidera de son attitude pour celle-ci.
Comme il était prévisible, l'équivoque position du FN pour l'immense manifestation du 11 janvier à Paris, avec son repli à Beaucaire, ne lui a rien fait perdre de sa force, bien au contraire. Si dans l'immédiat son flottement a pu le laisser croire, il était manifeste que sa dénonciation depuis longtemps du terrorisme islamiste, quel que soit l'usage qu'il en faisait, allait inévitablement accroître son influence à la suite des 17 assassinats. Il était absurde d'espérer une baisse alors que la réalité criminelle confirmait ses sombres pronostics naïvement moqués jusqu'au 7 janvier.
Malgré la résistance de Jean-Marie Le Pen qui voit dans la volonté de dédiabolisation du FN un désaveu pour son goût du soufre et des provocations douteuses, Marine Le Pen, en dépit de la présence encore de quelques traces extrêmes et scandaleuses, a réussi son pari : faire rentrer le FN dans le cercle des partis ordinaires.
Il l'était déjà sur le plan médiatique mais cette manière, cependant, de le traiter comme s'il était interdit se justifiait par le fait qu'il était le diable et qu'il n'avait droit à rien de plus qu'à une présence tolérée et à un questionnement surjoué.
Aujourd'hui, sauf à continuer de cultiver une indignation fantasmant sur le FN et en totale contradiction avec le sentiment populaire dominant et son électorat qui n'est pas composé de "cons" ou de "salauds" mais d'électeurs perdus et prêts à jouer ce parti comme une dernière carte, la dédiabolisation est opérée, acquise.
Pour la droite classique, il s'agit d'une très mauvaise nouvelle.
D'une part, la diabolisation du FN décrétée une fois pour toutes permettait à ses contradicteurs, surtout à l'UMP, un confort intellectuel, autorisait une analyse désinvolte et légère qui peu ou prou se servaient de l'opprobre éthique comme d'une sorte de grille d'explication universelle, mais sans explication justement, avec la morale - ce parti n'est pas républicain... - comme seul mantra jamais questionné.
Quand le FN était le diable, la droite classique, par définition, par commodité, était le bon dieu. Le débat n'avait pas de sens, encore moins le dialogue, puisqu'on ne contredit pas ce qui ne relève pas de son monde : on l'ignore ou on le méprise.
Maintenant, la droite classique, celle qui s'affirme, sans avoir jamais à le démontrer, honorable et républicaine, va devoir composer sur le plan politique avec le FN. Continuer à s'opposer à lui sur tout, si elle le souhaite, mais avec une argumentation qui devra faire appel à la technique, au caractère opératoire ou non des propositions du FN, à la banalité démocratique d'un affrontement qui acceptera l'autre dans son champ de réflexion.
Le FN n'étant plus le diable, l'UMP aura plus de devoirs et de responsabilités qu'avant où l'invocation abstraite aux "valeurs" tenait lieu de tout.
D'autre part, il va convenir notamment de se pencher avec lucidité sur ce qui distingue profondément ces deux partis, afin de substituer à la répulsion artificielle une adhésion totale ou partielle réfléchie, un refus clairement explicité. En tout cas, plus du tout cet ostracisme intellectuel et civique qui exilait le FN pour échapper à l'évidence de sa proximité.
Cette normalisation du FN et cette impossibilité dorénavant pour l'autre droite de le répudier avec une désinvolture moralisatrice ne pourront pas être négligées lors de la discussion du 3 février à l'UMP. L'alternative ne sera plus entre le "ni ni" et le vote pour le candidat socialiste mais entre le "ni ni" et le report sur la candidate FN.
Pour avoir su organiser avec maestria la "fusion républicaine" du 11 janvier, le président de la République n'est pas devenu, pour tout, comme par enchantement le président de tous les Français. Il serait malhonnête, et vraiment dégradant pour l'éthique, de faire bénéficier le pouvoir socialiste de ses erreurs et de ce que sa politique, notamment pénale, a de dévastateur pour la France. Il est plus que temps de desserrer l'étau absurde et injuste dans lequel une gauche imparfaite prétend enfermer une droite irréprochable sur le plan républicain.
C'est à celle-ci de décider de son destin et de ses orientations. Pas plus qu'elle n'aurait de leçons à donner sur les rapports entre le Front de gauche et le PS, elle ne doit en accepter pour son propre compte.
Certes l'UMP a toute latitude pour théoriser dans ses instances nationales un rejet que la France profonde comprend de plus en plus mal mais de grâce qu'elle ait au moins le courage de ne plus faire le jeu d'un adversaire qui lui renvoie sans cesse au visage des valeurs dont il exige, sans légitimité de sa part, le respect immuable, mais seulement pour sauver une politique qui déçoit et dont les engagements demeurent désespérément des promesses.
Parce que le diable ne s'habille plus en FN, l'UMP doit enfin penser et agir par elle-même.
Pour le Doubs demain comme pour d'autres circonstances capitales à l'avenir : la gauche ne sera plus son mentor.