Actions sur le document

La Norvège, l'avenir de la France ?

Justice au singulier - philippe.bilger, 25/08/2012

Peut-être après tout que la Norvège a raison et qu'elle sera un jour l'avenir de la France ?

Lire l'article...

La Norvège, Anders Behring Breivik, l'assassin de de 77 personnes au mois de juillet 2011, son procès, l'immense sérénité démocratique de ce petit pays confronté à des tragédies qui ailleurs peut-être auraient subverti les Etats de droit, la condamnation du tueur à 21 années de prison avec dix ans incompressibles - tout ne cesse d'agiter et de troubler la conscience et l'esprit de ceux que la Justice passionne parce qu'elle est révélatrice de la manière dont une société se considère et se défend contre ses adversaires (Le Monde).
Parlons net: de tels crimes en France auraient vu leur auteur être sanctionné de la réclusion criminelle à perpétuité avec une peine de sûreté maximale de 30 ans. Il est plus que vraisemblable que l'indignation publique aurait fait surgir des revendications portant sur la restauration de la peine de mort et que beaucoup de citoyens y auraient été sensibles. La cause en tout cas aurait été entendue et nous aurions eu droit à ces audiences très singulières où il est de mauvais ton d'afficher une normalité parce qu'il convient avant tout de se situer sur le même registre émotif que les familles de victimes et les médias stimulés par contagion.
J'ai déjà écrit dans un précédent billet ("Je n'aurais pas serré la main d'Anders Breivik") à quel point il aurait été scandaleux dans notre pays de remarquer qu'un procureur avait salué l'accusé avant tout échange judiciaire.
Dans ces conditions, arc-bouté sur nos pratiques et notre volonté de répondre par l'extrémisme répressif à l'ignoble indépassable, j'aurais dû, en bonne logique, m'indigner du traitement réservé au Norvégien. Trop peu vraiment !
Pourtant, comment ne pas être surpris par la qualité du débat et des interrogations au sujet de l'état mental de Breivik ? Celui-ci, en définitive, sera déclaré totalement responsable parce qu'indemne de toute psychose.
Comment ne pas être frappé par l'originalité d'une peine qui, apparemment modérée, risque de s'avérer à la longue infiniment plus dure que nos sanctions brutalement et immédiatement coercitives ? Même si elle va être purgée dans un établissement sans commune mesure avec beaucoup de nos prisons guère acceptables (Marianne 2).
La Norvège a aboli la réclusion à perpétuité en 1971 et depuis, la peine maximale est de 21 années avec possibilité d'une part incompressible de 10 ans. Breivik a été condamné de la sorte mais il est essentiel de relever qu'à l'expiration de la sanction, celle-ci pourra être prolongée tant que le condamné sera considéré comme dangereux. Je ne connais pas les critères et surtout l'organisme qui sera appelé à retenir ou non la dangerosité. Ce qui est sûr et qui relève d'une forme de rétention de sûreté mais inscrite dans l'exécution même de la peine consiste dans la probable continuation de l'enfermement du fanatique durant un délai considérable.
Apparemment cette modalité d'exécution de la peine criminelle n'a pas suscité de controverses dans une Norvège pourtant plus soucieuse que nous des droits et de l'équité judiciaires. Comparer nos deux systèmes revient à relever que là où nous sommes englués dans des débats théologiques sur la prison et la sûreté, sur l'intérieur et l'extérieur, sur le présent criminel et l'avenir social, la Norvège a tranché autrement. Là où la France réprime avant tout les agissements du criminel - réclusion à 20 ans, 30 ans, à perpétuité -, les Norvégiens sont plus attentifs à l'appréhension de l'avenir. Plus le futur du crime que sa terrible actualité. Peut-on le libérer ou non ? Si à chaque fois la réponse est négative, le criminel restera un temps infini dans une incarcération pourtant initialement modeste par rapport à l'évaluation de la transgression elle-même. La France est obsédée par le passé et le présent tandis que la Norvège se réserve les lendemains, en quelque sorte pour une appréciation spéciale parce que le sort de la société compte plus que la contrainte singulière appliquée au coupable. C'est demain contre hier, et demain l'emporte.
La Norvège, que je ne connais pas, n'est à l'évidence pas un pays ordinaire. Ses habitants ont été satisfaits de la dignité avec laquelle cette épouvantable affaire a été traitée et jugée et du caractère normal du processus mis en oeuvre. Pas l'ombre d'une hystérie, pas le moindre désir d'une agitation de l'Etat et d'une quelconque frénésie législative. Seulement, pour manifester à quel point l'allure a plusieurs visages, le regret pour certains que les accusateurs aient serré la main de Breivik, qu'il ait pu parler autant qu'il le souhaitait et faire le salut nazi à sa convenance (France 2). Modestes récriminations si compréhensibles, qui ne jettent aucune ombre sur une justice et une démocratie exemplaires.
Peut-être après tout que la Norvège a raison et qu'elle sera un jour l'avenir de la France ?


Retrouvez l'article original ici...

Vous pouvez aussi voir...