L'Elysée en tranquillité
Justice au singulier - philippe.bilger, 26/05/2013
"Le Pouvoir", le formidable film de Patrick Rotman sur les huit premiers mois du président Hollande à l'Elysée, a été mal jugé alors que très éclairant sur le plan politique, il est, par ailleurs, techniquement une réussite.
Pas une seconde d'ennui. Pourtant, les temps morts, les moments creux, les séquences de pure intendance où un somptuaire acceptable se déploie ne manquent pas. Nous demeurons passionnés par la vision d'une vie collective au service du président de la République et des invités de marque de la France. Les rouages bien huilés du fonctionnement de notre Maison commune suscitent plus d'admiration que d'envie. Nous avons envie, mais sereinement, d'y être, d'en être.
Sans doute, surtout, grâce à la manière qu'a François Hollande d'habiter le lieu, le temps et le Pouvoir. Il se meut dans cet univers en principe solennel avec une aisance et une simplicité qui, sans rien lui faire perdre de son apparat, diffusent comme une familiarité avec laquelle le spectateur se sent de plain-pied. Au point que celui-ci visite l'Elysée dans le même mouvement où François Hollande le découvre puis l'apprivoise. Patrick Rotman parvient ainsi à faire de son film, à mon sens, non pas seulement l'expression du Pouvoir mais l'opportunité d'une relation entre ce monde moins intimidant qu'on le pensait et le nôtre moins prosaïque qu'on le croyait.
Il y a, régulièrement, comme une ponctuation de l'intelligence : on entend le président, en voix off, analyser, expliquer, démontrer, se décrire et poser sur la réalité du Pouvoir et de son existence au quotidien un regard lucide, grave mais sans lourdeur, avec la volonté de fuir aussi bien la vulgarité que la pompe.
Ce monologue discontinu constitue une force qui vient créer un terreau fluide et brillant car ces propos ne renvoient pas au partisan mais à l'éthique, de telle sorte qu'ils inscrivent le film dans un espace qui n'est plus celui conjoncturel, contingent d'aujourd'hui mais de l'essence et de la nécessité. Il ne s'agit pas du pouvoir du socialisme ou du socialisme au pouvoir mais du Pouvoir tout court, dans son abstraction, sa dureté, ses privilèges.
Même si François Hollande évoque à juste titre, pour faire comprendre le climat élyséen, la distinction entre amitié et familiarité, rien, dans les scènes qui le suivent aussi bien pour sa photographie officielle dans le parc, lors de dialogues avec le Premier ministre ou le Secrétaire général Lemas, au Conseil des ministres ou dans des réunions avec les membres de son Cabinet, ne laisse percevoir le moindre irrespect, même la plus légère désinvolture à son égard. Avec politesse on se lève quand il est annoncé, il se coule dans le rituel et ceux qui l'entourent y adhèrent sans retenue ni dérision. Lors des multiples échanges, il est écouté et, à de petits signes qui ne trompent pas, aimé, plus même, admiré.
Je m'interroge sur la quasi unanimité des critiques qui ont insisté, absurdement à mon sens, sur le prétendu délitement de l'allure présidentielle et du lien de révérence avec elle. On ne peut le percevoir nulle part et cet angle de vue généralement repris induit de fausses pistes pour ce film. Probablement une confusion a-t-elle été faite entre la normalité clairement affichée - avec maîtrise de soi, courtoisie à l'égard de tous et vocabulaire toujours approprié - et ce qui relève de la pureté, de la nudité de la relation de subordination et de la dépendance hiérarchique à chaque instant déférente et jamais remise en cause. François Hollande, pour résumer, est aussi "normal" que peut l'être un président de la République avec une charge et une fonction hors du commun.
La tendance forte voire dominante du film tient à l'importance capitale que le président attache au verbe et aux discours. Ceux qu'on doit lui préparer mais qu'il corrige et relit toujours. Ceux sur lesquels il insiste parce que le thème est grave. Ceux qu'il réclame d'urgence. Ceux qui, probablement, sont rédigés par lui seul. Il est manifeste que François Hollande non seulement est un amoureux de la parole sans qu'elle soit profuse ou impérieuse mais qu'il l'utilise comme un moyen de gouvernement. Il n'est pas l'homme qui exploite le langage et la posture de l'autorité pour précisément n'avoir pas à parler. Il parle pour faire admettre son autorité et sa perception des choses.
Est-ce à dire que la politique, le traitement des affaires nationales ou internationales sont absents du film ? Evidemment non, mais tous les passages consacrés à la substance même du Pouvoir, à l'appréhension, par ce dernier, des mille difficultés françaises ou étrangères qui chaque jour l'assaillent sont forcément abordés avec superficialité car on comprend bien qu'il était hors de question pour le président d'accepter une immersion indiscrète et en profondeur dans une pratique qui devait demeurer secrète pour l'essentiel. Ainsi, une obligatoire banalité imprègne les échanges politiques même si de petites touches opportunément distillées laissent entendre qu'il y a beaucoup sous la surface.
Sur ce plan tout de même, il est saisissant de remarquer à quel point le nombre de ministres, quand on les voit tous au Conseil, est ostensiblement surabondant, une masse qui laisse apparaître immédiatement à quel point forcément elle sera partagée entre utiles et inutiles.
Il est cruel d'entendre le président, à l'aurore de son Pouvoir, se féliciter d'avoir une majorité socialiste unie quand on connaît la suite et que jamais un responsable suprême de notre pays n'a autant été chahuté et discuté par des troupes qui oublient qu'il a été élu président et qu'il les a fait élire ou réélire aux législatives.
Le film de Patrick Rotman ne bouleverse pas le paysage politique - ce n'était pas son but - mais il offre des clés pour l'avenir. Au-delà des antagonismes puissants et virulents et de son déclin semblant inéluctable - pour la première fois cependant, François Hollande et son Premier ministre remontent dans les sondages -, on pressent que la personnalité du président, irrésistiblement sympathique, sera sans doute son meilleur atout pour faire oublier des engagements non tenus et des résultats lents à venir (nouvelobservateur.com).
On peut décevoir sans être rejeté.