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A mes amies condamnées, à mes amis condamnés

Actualités du droit - Gilles Devers, 25/05/2012

« Pas de personnes condamnées dans mon entourage ». C’était l’un...

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« Pas de personnes condamnées dans mon entourage ». C’était l’un des engagements les plus idiots de François Hollande, et le drolatique « Sinistre du Redressement Productif », dont il n’y avait rien à attendre, s’avère en fait très utile pour combattre cette idée. droit pénal, Liberté, Justice 

Ce drolatique sinistre a été condamné au civil par le Tribunal de grande instance de Paris pour injure publique car en septembre 2011 il avait traité plusieurs dirigeants de Seafrance « d’escrocs ». L’action avait été engagée au civil sur le fondement de  la loi sur la presse, et les qualifications sont les mêmes qu’au pénal. D’ailleurs l’affaire a été jugée par la chambre spécialisée, la 17° chambre du TGI de Paris, qui a retenu que la qualification d’ « escrocs » était « incontestablement outrageante ».

Chacun sait que ce drolatique sinistre est un allumé complet, dont l’esprit n’a pas encore conceptualisé la différence entre une caméra et un miroir.

Aussi, je remercie les dirigeants de Seafrance d’avoir su rappeler à celui qui a construit sa gloire en jouant au procureur à la rose, qu’il y a des limites à ne pas dépasser. L’outrageur, outragé un instant, avait annoncé qu’il ferait appel, mais bien sûr il n’en fera rien, car il n’est pas sûr de s’en sortir avec l’euro symbolique devant la Cour.

Tout ceci serait juste l’occasion d’en rire si ça ne nous ramenait pas à cette phrase de Hollande, dans le JDD du 15 avril : « Je n’aurai pas autour de moi à l’Élysée des personnes jugées et condamnées ».

C’est tellement idiot que ça n’a pas tenu huit jours. Dont acte. Mais ça ne règle pas la question car ce propos repose sur une méconnaissance profonde de ce qu’est la fonction de la justice.

L’idée qui sous-tend cette phrase est que la condamnation en justice est une relégation. C’est l’idée, aussi infantile que sarkozyste, qu’il y a les gentils et les autres, et que la vie est comme un damier : des cases blanches et noires, avec des lignes bien définies, à angle droit. Dans cette vision, être condamné est une abomination. Cela vous fait basculer dans un autre monde : il faut que la marque reste à vie, que toutes sortes de portes se ferment à vous, et qu’on vous surveille de près car vous êtes un récidiviste en puissance : qui a fauté fautera. droit pénal, Liberté, Justice

Là où c’est grave, c'est que toutes ces salades reposent sur la croyance en la pureté. On est du côté des purs ou de celui des impurs, et la condamnation en justice est une irréversible contamination de la pureté.

Restons dans le sérieux.

Ce qui est cause, c’est la loi, à laquelle on doit le respect (lorsqu’elle-même respecte le droit). Nombre de comportements relèvent de choix personnels et sont hors du domaine de la loi, alors que dans les rapports aux autres, c’est la loi qui s’impose.

Mais nous ne sommes pas chez les Bisounours … Trouver l’accord avec la loi, et à tout moment, n’est pas si simple, surtout si la loi est injuste, et de plus on ne peut assimiler respect de la loi et obéissance à la loi, car reste toujours une part irréductible pour la liberté responsable.

L’autre drolatique sait qu’injurier est illégal, mais il prend la liberté de traiter d’escrocs des dirigeants d’entreprise qu’il estime sans scrupule. Sa liberté est bornée par sa responsabilité, fondée sur la primauté de la loi, et non pas par l’obéissance à la loi, qui conduirait à la servilité.

Et puis, le jugement n’est pas la relégation, ou la création d’une catégorie de citoyens de seconde zone. La condamnation pénale, sanction d’ordre général prononcée en application de la loi, est une manière de se remettre à jour vis-à-vis de la société. La sanction prononcée compense le trouble causé à la société, et toute sanction trop sévère est une injustice.

C’est ce que dit, depuis 1789, l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, proclamant que « la loi ne doit établir que des peines strictement et évidemment nécessaires ».

La condamnation est une seconde chance. Ce n’est pas une manière d’effacer le passé, comme si rien n’avait existé. Bien au contraire : le jugement reconnait les faits, et c'est un moyen pour les dépasser. droit pénal, Liberté, Justice

Dans un premier temps, la situation est fragile et un juge serait très préoccupé par un autre manquement. On garde alors toutes les traces.

Mais si le temps qui passe montre le retour au respect de la loi, alors il est temps d’oublier : les sursis ne peuvent plus être révoqués, les condamnations s’effacent des casiers, soit par l’effet de la réhabilitation légale – 10 ans à compter des faits – soit par des lois d’amnistie.

Il faut un esprit bien simple, ou égaré, pour imaginer des vies en ligne droite, sans transgression de la loi. Il y a toujours beaucoup d’enseignements à tirer d’un jugement, même quand la condamnation est symbolique, mais il faut se débarrasser une bonne fois pour toutes de ces conceptions fondées sur l’exclusion de ce que l’on décide différent, ces conceptions qui ont pourri la pensée sociale ses dernières années.

Je connais tant et tant de personnes qui ont été condamnées, et qui sont des amies et des amis, des gens de grande valeur, en qui on peut avoir toute confiance. J’en connais tant qui sont passés par la violation de la loi, plus ou moins grave, et qui sont aujourd’hui à des années lumières de ces temps difficiles. L’idée d’une mise à l’écart, du fait d’une condamnation, est insupportable.    

 

droit pénal, Liberté, Justice

Allégorie de la Paix et de la Justice, 1753, Corrado Giaquinto, Indianapolis, Museum of Art

 


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