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La loi relative au renseignement est pleinement en vigueur depuis le 3 octobre 2015

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Laurent-Xavier Simonel, 8/10/2015

Le nouveau dispositif ne devrait pas encourir de remise en cause au titre de sa constitutionnalité ou de sa conventionnalité, malgré une contestation immédiate par une partie de l’opinion et une saisine de la CEDH. L’effectivité de sa règle de conciliation entre les libertés individuelles et l’action de police administrative contre les menaces et risques visant l’existence même de l’Etat de droit, repose sur le Conseil d’Etat dans sa formation spécialisée.
La loi relative au renseignement est pleinement en vigueur depuis le 3 octobre 2015

La loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement est pleinement entrée en vigueur le 3 octobre 2010, au lendemain de la publication au Journal officiel du décret du 1er octobre 2015 sur la composition de la Commission nationale de contrôle des techniques de renseignement (CNCTR) qui a porté, notamment, nomination de son président, M. Francis Delon.

La loi de juillet 2015 réforme profondément un dispositif législatif conçu il y a près de vingt-cinq ans (loi n° 91-646 du 10 juillet 1991 relative au secret des correspondances émises par la voie des télécommunications) à une époque où ni la téléphonie mobile ni internet ni les réseaux sociaux ni les logiciels de cryptage en accès libre n’existaient. Elle intervient alors que « la France était l’une des dernières démocraties occidentales à ne pas disposer de cadre légal pour les activités de [ses] services [spécialisés dans le renseignement] » (Loi sur le renseignement - Nécessaires évolutions, Flora Cantin, Armées d’aujourd’hui, n° 401 sept.-oct. 2015, pp. 20-21). En étendant la règle de droit à un secteur qu’elle n’innervait pas ou peu, cette loi a un objet et une portée profondément politiques. En effet, elle pose un nouvel équilibre de conciliation entre la protection des libertés individuelles et l’efficacité de l’action préventive de la puissance publique contre les menaces et les risques d’un monde nouveau bouleversé par le développement ininterrompu des technologies de l’information et par la contestation violente, singulièrement par le fait religieux, de la notion même de l’Etat à l’échelle mondiale. Ce nouvel équilibre repose sur la régulation a priori et a posteriori par une autorité administrative indépendante, la CNCTR et sur le contrôle juridictionnel exercé dans un plein contentieux totalement original par une formation spécialisée du Conseil d’Etat, qui est le premier organe juridictionnel de l’histoire à pouvoir exercer son imperium sans que puisse lui être opposé le secret de la défense nationale.

Pourtant, la grande réforme juridique du renseignement reste plutôt ignorée du grand public, sans doute du fait de sa technicité et de l’incontestable complexité de son articulation.

Malgré l’ampleur des questions juridiques, politiques et sociétales qu’elle soulève, la loi relative au renseignement a été adoptée en procédure parlementaire accélérée et a franchi avec succès les principaux obstacles qui pouvaient affecter sa genèse. Soumise à l’Assemblée nationale en mai 2015 et au Sénat le mois suivant, elle est adoptée à une très large majorité parlementaire les 23 et 24 juin 2015, pour être aussitôt déférée au contrôle de constitutionnalité le 25 juin 2015 par le Président de la République, par le président du Sénat et par 60 députés, en application de l’art. 61, deuxième alinéa, de la Constitution.

Le 23 juillet 2015, le Conseil constitutionnel, en ne soulevant d’office aucune question de conformité à la Constitution, déclare sa conformité constitutionnelle à l’exception de trois censures seulement. L’une de fond sanctionne la dérogation large qui devait être accordée aux situations d’urgence imminente en exonérant les services de renseignement de l’obligation de principe d’obtenir une autorisation préalable du Premier ministre et l’avis préalable de l’autorité administrative indépendante de régulation et de contrôle sectoriels. Deux résultent de la méconnaissance par le Parlement de sa compétence, par l’empiètement de la loi ordinaire sur la loi de finances et par l’abandon au pouvoir réglementaire, par incompétence négative du législateur, de l’organisation de la surveillance des communications émises ou reçues à l’étranger. Ce dernier sujet est maintenant revenu entre les mains du Parlement (proposition de loi n° 3042 aux mesures de surveillance des communications électroniques internationales, adoptée en première lecture par l’Assemblée nationale le 1er octobre 2015 et inscrite à la séance publique du Sénat du 27 octobre 2015). Compte-tenu de l’étendue du contrôle a priori de constitutionnalité opéré, il paraît peu probable qu’une question prioritaire de constitutionnalité puisse parvenir à remettre en cause le nouvel édifice législatif du renseignement.

Reste l’issue du contrôle de conventionnalité que la Cour européenne des droits de l’homme est appelée à mener sur la requête du 3 octobre 2015 des journalistes de l’Association confraternelle de la presse judiciaire. Celle-ci dénonce, notamment, l’atteinte au principe du secret des sources des journalistes et la légalisation d’instruments accusés de permettre une surveillance de masse, comme les « boîtes noires » à algorithmes prédictifs. Installés sur les réseaux de communications électroniques ces instruments cherchent à percevoir, par la détection des comportements atypiques, les signaux faibles diagnostiqués par le rapprochement entre les activités en ligne d’agents terroristes identifiés avec les pratiques numériques de la population. Pourtant, un avis autorisé relève : « L’affirmation de prérogatives dérogatoires accordées à la puissance publique destinées à remplir certaines fonctions particulières de sécurité des personnes et des biens s’insert, sous l’effet de la loi, dans un ensemble de règles structurantes et protectrices des droits et libertés directement en lien avec les expériences étrangères et les standards européens et internationaux en la matière. La menace d’une condamnation du dispositif législatif par la Cour européenne semble donc être un pronostic aventureux » (Le renseignement français n’est plus hors-la-loi - Commentaire de la loi n° 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, étude par Pr. Olivier Desaulnay et Pr. Romain Ollard, revue Droit pénal, n° 9, septembre 2015, étude 17).

Le même 3 octobre, est également entré en vigueur le décret n° 2015-1211 du 1er octobre 2015 relatif au contentieux de la mise en œuvre des techniques de renseignement soumises à autorisation et des fichiers intéressant la sûreté de l’État. Ce décret institue au sein du Conseil d’État une formation spécialisée, présentant beaucoup des attributs d’une nouvelle et originale juridiction, seule compétente pour connaître, en premier et dernier ressort, y compris comme juge des référés, des contentieux nouveaux qui vont surgir inéluctablement de la mise en œuvre des techniques de recueil du renseignement. Ces requêtes procèderont soit d’une personne physique ou morale estimant qu’une telle technique est irrégulièrement mise en œuvre à son égard ; soit – et c’est plus singulier – de l’autorité administrative indépendante, la CNCTR, lorsque le Premier ministre ne suit pas ses avis préalables aux autorisations ou ses recommandations tendant à l’interruption de la mise en œuvre d’une technique de recueil de renseignement ou à la destruction des renseignements collectés ou n’y donne que des suites que la CNCTR estime insuffisantes. Sa compétence matérielle recouvre, aussi, les requêtes portant sur l’exercice des droits individuels d’information et de contrôle pouvant être exercés à l’égard de certains traitements des données à caractère personnel relevant du cœur de souveraineté de la sécurité publique. Elle porte, enfin, sur les réponses aux questions préjudicielles qui lui sont soumises par une juridiction administrative ou une autorité judiciaire appelée à statuer sur une matière dans la solution dépend de l’examen de la régularité d’une technique de recueil de renseignement.

Au moment même où le dispositif se met en place, une opinion bien sombre s’exprime déjà, estimant que : « L’équilibre entre liberté et sécurité, réalisé par le biais de l’évanescent principe de proportionnalité, est donc bien difficile et, à ce sujet, la loi relative renseignement soulève plus d’interrogations et de craintes qu’elle ne rassure » (Surveiller et prévenir … à quel prix ? Loi de 2015-912 du 24 juillet 2015 relative au renseignement, Pr. Raphaële Parizot, La Semaine juridique – éd. générale, n° 41, 5 octobre 2015, pp. 1816-1824).

Sur un sujet aussi actuel et aussi délicat, le commentateur timoré peut volontiers avoir la tentation de se réfugier derrière un propos seulement descriptif. Les plus audacieux prennent partie, avec le risque classique de l’enfoncement de portes prévisibles. Il est, évidemment, impossible de conclure au bienfait de la surveillance de masse et des entourages par captation des contenus des communications en l’absence de tout indice de soupçon étayés à l’égard d’un individu identifié. Comme il est impossible de contester la nécessité de l'existence et du bon fonctionnement de services étatiques spécialisés de renseignement, efficaces et dotés des moyens de leurs actions préventives.

Face à ces écueils, l’on s’en tiendra, avec prudence, à observer que la garantie démocratique du système repose sur le Conseil d’Etat et sa formation spécialisée. Ses règles de procédure originales fixées par le décret du 1er octobre 2015, que sa jurisprudence précisera et enrichira nécessairement, illustrent la méticulosité de l’arbitrage qui a dû être mené entre les enjeux contradictoires, par essence, de la préservation des principes cardinaux du procès face à l’impérieuse protection du secret de la défense nationale; de la nécessité absolue de ne pas entamer la capacité opérationnelle des agents de l’Etat qui ont accepté la mission de nous permettre de vivre en paix face à l’effectivité du droit au recours et à l’efficacité du remède juridictionnel.



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