Un cadre dirigeant doit encore et toujours …diriger !
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Gratiane Kressmann, Stéphane Bloch, 18/12/2013
Dans un arrêt du 26 novembre 2013, la chambre sociale de la Cour de cassation a confirmé sa jurisprudence issue d’un arrêt du 31 janvier 2012 précisant, à propos du champ d’application du droit de la durée du travail, que seuls relevaient de la catégorie des cadres dirigeants les cadres participant effectivement à la direction de l’entreprise (1).
Cass. soc, 26 novembre 2013 et Cass.soc, 31 janvier 2012
Pour mémoire, l’article L.3111-2 alinéa 1 du code du travail dispose que sont exclus de la règlementation de la durée du travail les cadres dirigeants.
Ne leur sont ainsi pas applicables les dispositions relatives à la durée légale du travail, aux heures supplémentaires, à la durée maximale de travail hebdomadaire et quotidienne, à la règlementation sur le travail de nuit, au travail au temps partiel, au repos hebdomadaire et quotidien ainsi qu’aux jours fériés.
Que faut-il entendre par « cadre dirigeant » ?
Aux termes de l’article L.3111-2 alinéa 2 du code du travail « sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ».
La loi pose donc des conditions cumulatives (Cassation sociale, 13 janvier 2009, n° 06-46.208) au nombre de trois :
• Exercer des responsabilités importantes impliquant une grande indépendance dans l’organisation de son temps de travail ;
• Prendre des décisions de manière largement autonome ;
• Percevoir l’une des rémunérations les plus élevées de l’établissement.
Dès le début des années 1970, la Cour de cassation avait fait de ce dernier critère, la rémunération, l’indicateur du niveau de responsabilité : les cadres dirigeants étaient écartés de l’application de la règlementation de la durée du travail dès lors qu’ils disposaient d’un niveau élevé de responsabilité, attesté par l’importance de la rémunération (Cassation sociale, 15 décembre 1971, Bull.Civ. V, n°735).
Aujourd’hui, ce critère, celui de la rémunération, n’est qu’un critère parmi les autres dont la portée est d’ailleurs relative. Un niveau élevé de rémunération n’est plus forcément réservé aux cadres dirigeants.
La lecture des débats parlementaires qui ont précédé l’adoption de la Loi Aubry n°2000-37 du 19 janvier 2000 dont est issu l’article L.3111-2 du code du travail (à l’époque, l’article L.212-15.1) témoigne des incertitudes pesant sur la définition du cadre dirigeant :
« Le rapporteur souhaite définir de façon plus précise la catégorie des cadres dirigeants. Etant donné que cette catégorie est celle à laquelle la plupart des dispositions sur la réglementation de la durée du travail ne trouvent pas à s'appliquer, il convient de circonscrire de façon très précise la notion de cadres dirigeants pour éviter notamment que des cadres « simplement » supérieurs ne soient exclus sans raison du bénéfice de diverses règles relatives à la durée du travail. La définition des cadres dirigeants pourrait ainsi comporter quatre critères cumulatifs : l'existence de responsabilités importantes, une grande indépendance dans l'organisation de l'emploi du temps, l'habilitation à prendre des décisions de façon largement autonome et la perception d'une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés du système de rémunération pratiqué dans l'entreprise ou l'établissement. […]
Un cadre dirigeant est-il un cadre nommé par le conseil d'administration ou bien le responsable d'une équipe ? Ce n'est pas du tout la même chose.
[…]
Mais il faut, d'emblée, signaler qu'il n'existe pas de définition formelle ni unique du cadre dirigeant. L'article fait référence à « l'importance » des responsabilités qui lui sont confiées, laquelle « implique une large indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps ». Les deux critères retenus - des responsabilités importantes jointes à une grande autonomie de gestion - semblent permettre d'englober l'ensemble des cadres visés. L'un des deux critères ne saurait suffire à faire d'un cadre un cadre dirigeant. En effet, on peut concevoir un cadre supérieur ayant de lourdes responsabilités mais inséré dans une hiérarchie et ne jouissant pas d'une grande indépendance. De même, un cadre ayant une certaine indépendance dans sa façon de gérer son emploi du temps ne se voit pas nécessairement reconnaître des responsabilités très importantes au sein de son entreprise. Ainsi c'est bien le cumul des deux critères (un faisceau d'indices joint à des critères secondaires comme le niveau de rémunération par exemple) qui permet de classer un cadre dans la catégorie des cadres dirigeants.
Par ses termes mêmes, ce régime très spécial s'inspire directement de la directive communautaire de 1993, elle-même inspirée du i[« leitender Angestellter » allemand qui renvoie au manager assurant la responsabilité économique de l'entreprise. Comme elle, il vise ces salariés bien particuliers qui ont un rôle d'employeur et le représentent souvent en matière sociale ou autre. Il peut par exemple présider le comité d'entreprise à la place du chef d'entreprise ; il assume la responsabilité pénale. ]i
Cette particularité, comme le fait que ne soit pas visée dans l'article L. 212-15-1 la catégorie des cadres dits « supérieurs », invite donc à se limiter au premier cercle autour du dirigeant, comme le font nombre de conventions collectives de branche (exemple de la chimie). Dans les organigrammes des entreprises de moyenne et de grande importance, ces personnes devraient être par définition un très petit nombre. Elles semblent se situer dans le premier cercle concentrique de pouvoir entourant le chef d'entreprise.
(Extraits du rapport fait part Monsieur Gaëtan Gorce devant l’Assemblée Nationale [rapport Assemblée Nationale n°1826]).
La jurisprudence s’est par conséquent attachée, en partant de la définition donnée par le code du travail, à identifier un quatrième critère fédérateur.
Et c’est ainsi, s’inspirant des travaux parlementaires de la loi Aubry, que la Cour de cassation, dans son arrêt du 31 janvier 2012, est venue préciser que le cadre dirigeant, bien qu’il ait des responsabilités importantes assumées avec une large autonomie et qu’il perçoive l’une des rémunérations les plus élevées de l’établissement, devait d’abord et avant tout diriger.
Dans l’espèce ayant donné lieu, presque 2 ans plus tard, à l’arrêt du 26 novembre 2013 , les faits étaient les suivants : à la suite de sa mise à la retraite, alors qu’il était âgé de 65 ans, un cadre engagé 20 ans auparavant comme Directeur Technique Recherche et Développement d’une usine, et occupant en dernier lieu les fonctions de Vice-Président, avait réclamé le paiement d’heures supplémentaires, de congés payés afférents et d’une indemnité compensatrice de repos compensateur.
Pour le débouter de ses demandes, la Cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 11 mai 2012 confirmant un jugement du Conseil de prud’hommes d’Argenteuil, s’est livrée à un examen de la fonction que l’intéressé occupait réellement au regard de chacun des critères cumulatifs énoncés par l’article L.3111-2 du code du travail.
Elle a ainsi relevé :
• Qu’il exerçait au jour de la rupture du contrat la fonction de Vice-Président du Département Recherche et Développement en France ;
• Qu’il avait une grande liberté dans son emploi du temps, un niveau très élevé de responsabilités puisqu’il était habilité à prendre des décisions de façon largement autonome et bénéficiait d’une des rémunérations les plus élevées.
• Qu’il rapportait directement aux USA ;
• Qu’il avait bénéficié durant plusieurs années d’avantages divers liés à sa fonction de cadre dirigeant en sus d’une rémunération importante ;
• Que l’intéressé lui-même avait négocié et signé un accord sur la durée du travail qui l’excluait expressément de son champ.
La Cour en a donc déduit qu’il était bien cadre dirigeant.
La Cour de cassation ne s’est pas rangée à cet avis ou, plus précisément, a considéré, dans la droite ligne de sa jurisprudence de 2012, que la décision de la Cour d’appel manquait de base légale puisqu’elle n’avait pas cherché à vérifier si le salarié participait réellement à la direction de l’entreprise.
Les débats devant la Cour d’appel de Paris, Cour de renvoi, s’annoncent intéressants puisque la lecture du pourvoi permet d’apprendre que l’intéressé soutient qu’il s’était vu retirer trois ans avant sa mise à la retraite, tous les pouvoirs de direction de l’usine, qu’il ne dirigeait plus dans les faits l’établissement depuis cette même date et qu’il restait en réalité dans l’attente permanente d’instructions de sa hiérarchie.
Les juges du fond devront donc s’attacher à s’assurer si, sur la base d’éléments de faits concrets, il dirigeait néanmoins ou non l’usine.
Si tel n’est pas le cas, il pourra prétendre aux heures supplémentaires dont il revendique le paiement.
(1) Dans un autre arrêt du même jour, la Cour de cassation avait par ailleurs précisé que la taille de la société, en l’espèce moins de 20 salariés, était une circonstance indifférente (Cassation sociale, 31 janvier 2012, n° 10-23.828).
Pour mémoire, l’article L.3111-2 alinéa 1 du code du travail dispose que sont exclus de la règlementation de la durée du travail les cadres dirigeants.
Ne leur sont ainsi pas applicables les dispositions relatives à la durée légale du travail, aux heures supplémentaires, à la durée maximale de travail hebdomadaire et quotidienne, à la règlementation sur le travail de nuit, au travail au temps partiel, au repos hebdomadaire et quotidien ainsi qu’aux jours fériés.
Que faut-il entendre par « cadre dirigeant » ?
Aux termes de l’article L.3111-2 alinéa 2 du code du travail « sont considérés comme ayant la qualité de cadre dirigeant les cadres auxquels sont confiées des responsabilités dont l’importance implique une grande indépendance dans l’organisation de leur emploi du temps, qui sont habilités à prendre des décisions de façon largement autonome et qui perçoivent une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés des systèmes de rémunération pratiqués dans leur entreprise ou établissement ».
La loi pose donc des conditions cumulatives (Cassation sociale, 13 janvier 2009, n° 06-46.208) au nombre de trois :
• Exercer des responsabilités importantes impliquant une grande indépendance dans l’organisation de son temps de travail ;
• Prendre des décisions de manière largement autonome ;
• Percevoir l’une des rémunérations les plus élevées de l’établissement.
Dès le début des années 1970, la Cour de cassation avait fait de ce dernier critère, la rémunération, l’indicateur du niveau de responsabilité : les cadres dirigeants étaient écartés de l’application de la règlementation de la durée du travail dès lors qu’ils disposaient d’un niveau élevé de responsabilité, attesté par l’importance de la rémunération (Cassation sociale, 15 décembre 1971, Bull.Civ. V, n°735).
Aujourd’hui, ce critère, celui de la rémunération, n’est qu’un critère parmi les autres dont la portée est d’ailleurs relative. Un niveau élevé de rémunération n’est plus forcément réservé aux cadres dirigeants.
La lecture des débats parlementaires qui ont précédé l’adoption de la Loi Aubry n°2000-37 du 19 janvier 2000 dont est issu l’article L.3111-2 du code du travail (à l’époque, l’article L.212-15.1) témoigne des incertitudes pesant sur la définition du cadre dirigeant :
« Le rapporteur souhaite définir de façon plus précise la catégorie des cadres dirigeants. Etant donné que cette catégorie est celle à laquelle la plupart des dispositions sur la réglementation de la durée du travail ne trouvent pas à s'appliquer, il convient de circonscrire de façon très précise la notion de cadres dirigeants pour éviter notamment que des cadres « simplement » supérieurs ne soient exclus sans raison du bénéfice de diverses règles relatives à la durée du travail. La définition des cadres dirigeants pourrait ainsi comporter quatre critères cumulatifs : l'existence de responsabilités importantes, une grande indépendance dans l'organisation de l'emploi du temps, l'habilitation à prendre des décisions de façon largement autonome et la perception d'une rémunération se situant dans les niveaux les plus élevés du système de rémunération pratiqué dans l'entreprise ou l'établissement. […]
Un cadre dirigeant est-il un cadre nommé par le conseil d'administration ou bien le responsable d'une équipe ? Ce n'est pas du tout la même chose.
[…]
Mais il faut, d'emblée, signaler qu'il n'existe pas de définition formelle ni unique du cadre dirigeant. L'article fait référence à « l'importance » des responsabilités qui lui sont confiées, laquelle « implique une large indépendance dans l'organisation de leur emploi du temps ». Les deux critères retenus - des responsabilités importantes jointes à une grande autonomie de gestion - semblent permettre d'englober l'ensemble des cadres visés. L'un des deux critères ne saurait suffire à faire d'un cadre un cadre dirigeant. En effet, on peut concevoir un cadre supérieur ayant de lourdes responsabilités mais inséré dans une hiérarchie et ne jouissant pas d'une grande indépendance. De même, un cadre ayant une certaine indépendance dans sa façon de gérer son emploi du temps ne se voit pas nécessairement reconnaître des responsabilités très importantes au sein de son entreprise. Ainsi c'est bien le cumul des deux critères (un faisceau d'indices joint à des critères secondaires comme le niveau de rémunération par exemple) qui permet de classer un cadre dans la catégorie des cadres dirigeants.
Par ses termes mêmes, ce régime très spécial s'inspire directement de la directive communautaire de 1993, elle-même inspirée du i[« leitender Angestellter » allemand qui renvoie au manager assurant la responsabilité économique de l'entreprise. Comme elle, il vise ces salariés bien particuliers qui ont un rôle d'employeur et le représentent souvent en matière sociale ou autre. Il peut par exemple présider le comité d'entreprise à la place du chef d'entreprise ; il assume la responsabilité pénale. ]i
Cette particularité, comme le fait que ne soit pas visée dans l'article L. 212-15-1 la catégorie des cadres dits « supérieurs », invite donc à se limiter au premier cercle autour du dirigeant, comme le font nombre de conventions collectives de branche (exemple de la chimie). Dans les organigrammes des entreprises de moyenne et de grande importance, ces personnes devraient être par définition un très petit nombre. Elles semblent se situer dans le premier cercle concentrique de pouvoir entourant le chef d'entreprise.
(Extraits du rapport fait part Monsieur Gaëtan Gorce devant l’Assemblée Nationale [rapport Assemblée Nationale n°1826]).
La jurisprudence s’est par conséquent attachée, en partant de la définition donnée par le code du travail, à identifier un quatrième critère fédérateur.
Et c’est ainsi, s’inspirant des travaux parlementaires de la loi Aubry, que la Cour de cassation, dans son arrêt du 31 janvier 2012, est venue préciser que le cadre dirigeant, bien qu’il ait des responsabilités importantes assumées avec une large autonomie et qu’il perçoive l’une des rémunérations les plus élevées de l’établissement, devait d’abord et avant tout diriger.
Dans l’espèce ayant donné lieu, presque 2 ans plus tard, à l’arrêt du 26 novembre 2013 , les faits étaient les suivants : à la suite de sa mise à la retraite, alors qu’il était âgé de 65 ans, un cadre engagé 20 ans auparavant comme Directeur Technique Recherche et Développement d’une usine, et occupant en dernier lieu les fonctions de Vice-Président, avait réclamé le paiement d’heures supplémentaires, de congés payés afférents et d’une indemnité compensatrice de repos compensateur.
Pour le débouter de ses demandes, la Cour d’appel de Versailles, dans un arrêt du 11 mai 2012 confirmant un jugement du Conseil de prud’hommes d’Argenteuil, s’est livrée à un examen de la fonction que l’intéressé occupait réellement au regard de chacun des critères cumulatifs énoncés par l’article L.3111-2 du code du travail.
Elle a ainsi relevé :
• Qu’il exerçait au jour de la rupture du contrat la fonction de Vice-Président du Département Recherche et Développement en France ;
• Qu’il avait une grande liberté dans son emploi du temps, un niveau très élevé de responsabilités puisqu’il était habilité à prendre des décisions de façon largement autonome et bénéficiait d’une des rémunérations les plus élevées.
• Qu’il rapportait directement aux USA ;
• Qu’il avait bénéficié durant plusieurs années d’avantages divers liés à sa fonction de cadre dirigeant en sus d’une rémunération importante ;
• Que l’intéressé lui-même avait négocié et signé un accord sur la durée du travail qui l’excluait expressément de son champ.
La Cour en a donc déduit qu’il était bien cadre dirigeant.
La Cour de cassation ne s’est pas rangée à cet avis ou, plus précisément, a considéré, dans la droite ligne de sa jurisprudence de 2012, que la décision de la Cour d’appel manquait de base légale puisqu’elle n’avait pas cherché à vérifier si le salarié participait réellement à la direction de l’entreprise.
Les débats devant la Cour d’appel de Paris, Cour de renvoi, s’annoncent intéressants puisque la lecture du pourvoi permet d’apprendre que l’intéressé soutient qu’il s’était vu retirer trois ans avant sa mise à la retraite, tous les pouvoirs de direction de l’usine, qu’il ne dirigeait plus dans les faits l’établissement depuis cette même date et qu’il restait en réalité dans l’attente permanente d’instructions de sa hiérarchie.
Les juges du fond devront donc s’attacher à s’assurer si, sur la base d’éléments de faits concrets, il dirigeait néanmoins ou non l’usine.
Si tel n’est pas le cas, il pourra prétendre aux heures supplémentaires dont il revendique le paiement.
(1) Dans un autre arrêt du même jour, la Cour de cassation avait par ailleurs précisé que la taille de la société, en l’espèce moins de 20 salariés, était une circonstance indifférente (Cassation sociale, 31 janvier 2012, n° 10-23.828).