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Nouvel accord sur l’exception pédagogique : quelques avancées, mais un dispositif toujours inadapté

:: S.I.Lex :: - calimaq, 5/01/2015

Le1er janvier dernier est paru un nouveau protocole d’accord sur l’utilisation des livres, des œuvres musicales éditées, des publications périodiques et des œuvres des arts visuels à des fins d’illustration des activités d’enseignement et de recherche. Conclu entre le Ministère … Continuer la lecture

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Le1er janvier dernier est paru un nouveau protocole d’accord sur l’utilisation des livres, des œuvres musicales éditées, des publications périodiques et des œuvres des arts visuels à des fins d’illustration des activités d’enseignement et de recherche. Conclu entre le Ministère de l’Éducation nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche, la Conférence des Présidents d’Universités et les représentants des titulaires de droits intéressés, cet accord est important dans la mesure où c’est lui qui va à présent conditionner l’application de l’exception pédagogique introduite dans le droit français en 2006 par la loi DADVSI.

Le dispositif français a jusqu’à présent fait l’objet de vives critiques, en raison de sa rigidité et de sa trop grande complexité. Plusieurs missions d’experts, comme le rapport Fourgous en 2012 ou plus récemment la mission Lescure, avaient d’ailleurs appelé à une réforme du système, notamment pour mieux épouser les usages numériques. En 2013, la loi Peillon est venue retoucher le texte de l’exception dans la loi, mais de manière limitée seulement, sans aller jusqu’à opérer une véritable refonte du dispositif.

Le nouveau protocole contient quelques avancées, notamment une simplification des notions employées et un élargissement des usages autorisés qui sont les bienvenus. Mais l’exception française reste fortement handicapée par la manière dont elle a été conçue à l’origine. Il en résulte des lourdeurs procédurales qui la rendront encore difficilement applicables par les communautés d’enseignants, de chercheurs et d’apprenants. Par ailleurs depuis 2006, la pédagogie sous forme numérique a beaucoup évolué, avec par exemple le développement des MOOC, et dans un tel contexte, l’exception française reste encore trop limitée. Au final, la France demeure en retrait par rapport à d’autres pays, notamment anglo-saxons comme les États-Unis, le Canada ou le Royaume-Uni où des réformes récentes ont créé un contexte plus favorable aux usages pédagogiques et de recherche.

Une simplification bienvenue de la notion « d’extrait »

L’exception figurant dans le Code de propriété intellectuelle permet « la représentation ou la reproduction d’extraits d’oeuvres […] à des fins exclusives d’illustration dans le cadre de l’enseignement et de la recherche […] ». Mais tout comme c’est le cas avec l’exception de courte citation, la loi ne définit pas la longueur des extraits pouvant être ainsi employés. Dans la précédente mouture de cet accord contractuel, le texte était intervenu pour fixer cette longueur, mais il l’avait fait d’une manière beaucoup trop complexe pour être opératoire. Voyez par exemple la manière dont Michèle Battisti résumait ces dispositions sur son blog  :

Une Oeuvre Conçue à des Fins Pédagogiques ? Pas plus de 4 pages consécutives, pour une partition, 3 pages, pour un ouvrage de formation musicale, mais pour un livre, 5 pages qui, dans le nouvel accord peuvent ne plus être consécutives.  En outre, l’extrait ne doit pas représentent plus de 20 % de la pagination totale pour un ouvrage, pas plus de 10 % pour un périodique, pas plus de 5% pour un OCFP etc.

Dans le nouvel accord, la longueur des extraits n’est plus définie par un nombre de pages maximum, mais par le biais d’une notion plus souple, reposant sur deux critères cumulatifs : « partie ou fragment d’une œuvre d’ampleur raisonnable et non substituable à la création dans son ensemble ». Les enseignants et apprenants pourront donc apprécier en fonction de chaque situation donnée quelle proportion d’une œuvre ils pourront utiliser sous forme d’un extrait, sans être pris dans le carcan rigide d’un nombre de pages et de pourcentages à calculer.

Hélas, la complexité des accords précédents n’est pas complètement évacuée. La loi Peillon a maintenu en effet certaines des limitations incluses dans le texte de l’exception, en particulier l’exclusion des œuvres musicales éditées (les partitions) et des œuvres conçues à des fins pédagogiques (les manuels) de son champ d’application. Comme c’était déjà le cas dans la version précédente, le nouvel accord sectoriel va cependant plus loin que l’exception législative et il permet l’utilisation d’extraits de ces deux types d’oeuvres, mais uniquement dans des proportions fixées de manière détallée, à savoir :

  • Pour les manuels, 4 pages consécutives maximum, dans la limite de 10 % de la pagination de l’ouvrage, par travail pédagogique ou de recherche.
  • Pour les partitions, 3 pages consécutives, dans la limite de 10 % de l’oeuvre concernée, par travail pédagogique et de recherche.
  • Pour les œuvres conçues à des fins pédagogiques publiées sous forme de publication périodique, 2 articles maximum dans la limite de 10 % maximum, par travail pédagogique et de recherche.

On retombe donc dans la complexité caricaturale qui caractérisait le précédent accord, sachant qu’il est absurde que l’exclusion des manuels et des partitions ait été maintenue dans la loi Peillon si ensuite les titulaires de droits acceptent leur usage dans l’accord sectoriel. La définition souple et abstraite de l’extrait aurait très bien pu leur être appliquée… à quoi bon une telle rigidité ?

Néanmoins, on peut saluer au titre des avancées le fait que la loi Peillon ait ouvert l’usage des « œuvres conçues pour une édition électronique », exclues de la première rédaction législative de l’exception en 2006. Cela signifie que désormais des extraits d’eBooks pourront être utilisés sur la base de l’exception. Et de manière assez surprenante, l’accord considère que l’on peut appliquer aux manuels numériques la nouvelle notion souple d’extrait, et pas la limite de 4 pages appliquée aux manuels papier. Allez comprendre la logique, mais pour une fois cela va dans le sens des usages…

Maintien d’une possibilité d’utilisation des œuvres en intégralité, notamment les images

Les accords sectoriels présentent la particularité d’aller plus loin sur certains points que l’exception législative elle-même. C’est le cas notamment pour ce qui est de la possibilité d’utiliser des œuvres en intégralité, alors que la loi n’évoque que l’usage d’extraits.

Le nouvel accord reprend à ce titre des dispositions salutaires du texte précédent, à savoir la possibilité d’utiliser en classe des œuvres dans leur intégralité (sauf manuels et partitions…). Cette latitude vaut donc pour les livres, revues et journaux, mais hélas pas pour les films et la musique enregistrées. En effet pour ces types d’oeuvres, c’est à deux autres accords sectoriels qu’il faut se reporter, conclus en 2009 et reconduits tacitement en 2015. Or ceux-ci prévoient que la diffusion des films en classe doit être limitée à 6 minutes seulement (sauf émissions TV gratuites, qui peuvent être diffusées en entier) et 30 secondes seulement pour la musique enregistrée. Cela signifie donc qu’un professeur ne peut théoriquement pas passer en intégralité Le Chant des Partisans à ses élèves sans autorisation…

Heureusement, le nouvel accord sectoriel est plus souple en ce qui concerne les images fixes (photos, tableaux, dessins, etc). Il commence par indiquer la notion d’extrait est « inopérante » pour les œuvres des arts visuels, rejoignant la position de la jurisprudence française selon laquelle la citation des images est impossible, même sous la forme de détails. Mais l’accord précise ensuite que des images peuvent être utilisées dans leur intégralité pour les usages couverts par l’exception, à savoir la réalisation de travaux pédagogiques ou de recherche, l’utilisation pour des sujets d’examen ou de concours et l’utilisation lors de colloques, conférences ou séminaires. Le nombre des images doit cependant être limité à 20 par travail pédagogique ou de recherche et leur résolution ne doit pas être supérieure à 400×400 pixels ou 72 dpi (limite risible!).

Ici l’accord anticipe peut-être une évolution qui pourrait s’appliquer de manière plus générale à la citation des images et dont la nécessité se fait de plus en plus fortement sentir.

Des usages numériques un peu étendus, mais toujours du flou en ce qui concerne les MOOCs

Dans les précédents accords, l’usage des œuvres reproduites ou représentées pouvait se faire soit en classe (sur des écrans ou un tableau blanc interactif par exemple), soit sur un intranet ou extranet. Le nouvel accord reprend ces éléments et répercute un des apports de la loi Peillon, qui est venue préciser que ces usages peuvent avoir lieu dans un ENT (Espace Numérique de travail), « destiné majoritairement au utilisateurs directement concernés par l’acte d’enseignement, de formation ou l’activité de recherche ». L’accord précise également que la diffusion numérique peut prendre la forme « d’une diffusion au moyen d’une messagerie électronique, d’un support amovible (notamment clé USB, CD-Rom ou autre), ou dans le cadre d’une visioconférence ».

La restriction de la diffusion à un public directement intéressé à l’acte d’enseignement ou de recherche, qui figure dans la loi, empêche normalement la mise en ligne sur internet de contenus réutilisant des extraits d’oeuvres protégées. Jusqu’à présent, l’accord sectoriel prévoyait toutefois que la diffusion sur Internet était possible en ce qui concernait les extraits ou les images inclus dans des thèses. Le nouvel accord ajoute deux autres hypothèses dans lesquelles la mise en ligne sur Internet sera dorénavant possible : la publication de sujets d’examens ou de concours et les enregistrements de colloques, conférences ou séminaires au cours desquels des extraits d’oeuvres ou des images auraient été montrés au public.

Ces élargissements sont à saluer, mais ils paraissent encore trop limités pour convenir totalement aux nouveaux usages pédagogiques innovants, comme par exemple les MOOCs. Concernant ces derniers, l’accord contient une précision favorable. L’exception ne s’applique plus à présent seulement à des élèves ou à des étudiants rattachés à un établissement donné, mais à des « apprenants » définis de manière souple comme « toute personne qui suit un enseignement, y compris les enseignants et les chercheurs ». Cette définition paraît applicable aux participants à un MOOC, n’ayant pas forcément le statut d’étudiants . Mais que peut-on faire exactement en terme de diffusion dans le cadre d’un MOOC ? C’est plus compliqué à déterminer.

L’accord précise bien que la diffusion de supports contenant des extraits d’oeuvres ou des images protégées peut se faire sur des intranets, des extranets, par des visioconférences ou d’autres dispositifs, du moment où il n’y a pas de rediffusion à « un tiers au public directement concerné par l’acte d’enseignement ou de recherche ». L’exception semble donc applicable pour un MOOC pour lequel la diffusion des contenus s’effectue sur une plateforme dont l’accès est limité à un nombre défini d’inscrits. Cela concerne la mise à disposition de contenus pédagogiques aux apprenants, mais aussi la réalisation par ces mêmes apprenants de travaux incorporant des extraits d’oeuvres ou des images protégées. Mais la diffusion sur Internet de ces mêmes contenus reste prohibée. Une plateforme comme FUN, où les contenus sont accessibles aux seuls inscrits, semble donc cadrer avec ces dispositions, mais pas un site comme la Khan Academy par exemple, où les vidéos pédagogiques sont accessibles directement sur Internet à n’importe quelle personne intéressée.

Il y a donc une marge de manœuvre exploitable pour les Massive Open Online Courses, mais seulement à condition que ceux-ci ne soient pas complètement Open… On aboutit au paradoxe que des enregistrements de conférences données physiquement en présence d’un public peuvent être diffusés sur Internet, mais pas les vidéos utilisée dans le cadre d’un MOOC…

Mais des lourdeurs procédurales toujours dirimantes…

Comme j’ai essayé de le montrer dans ce billet, ce nouvel accord sectoriel contient quelques avancées intéressantes, que l’on aurait aimé pouvoir saluer. Mais hélas, le dispositif reste encore affecté par des lourdeurs procédurales aberrantes, qui peuvent rendre tout le système inapplicable par les communautés d’enseignants, de chercheurs et d’apprenants.

Pour commencer, l’accord prévoit l’obligation ubuesque d’aller vérifier, œuvre par œuvre, sur un moteur de recherche mis à disposition sur le site du Centre français d’exploitation du droit de copie (CFC) si les titulaires de droits ont bien apporté leurs droits aux sociétés de gestion collective signataires de l’accord. Cela signifie donc que toutes les œuvres protégées ne sont pas couvertes par l’exception, mais seulement une partie d’entre elle, impossible à connaître à l’avance. Cette obligation rend le dispositif bien trop lourd pour les utilisateurs (notamment les étudiants et les élèves), alors qu’elle ne repose sur aucune justification juridique crédible. En effet, la loi française a bien prévu depuis 2006 une nouvelle exception au droit d’auteur, impliquant que les œuvres puissent être utilisées à des fins l’illustration de la recherche et de l’enseignement sans autorisation. Il n’y a donc pas lieu de vérifier si les droits d’usage collectif ont été apportés à des sociétés de gestion. Il est assez incompréhensible que le Ministère accepte le maintien de telles exigences sans fondement.

Par ailleurs, l’accord prévoit aussi l’obligation en bout de chaîne pour les établissements de déclarer les œuvres utilisées aux sociétés de gestion collective concernées, afin qu’elles puissent répartir les sommes versées par le Ministère au titre de cette exception. Cela impliquerait donc que chaque professeur, chaque chercheur, mais aussi chaque élève et chaque étudiant qui réutilise une œuvre sur la base de l’exception le signale à l’établissement, avec pour lui l’obligation de tenir un registre à remettre chaque année à ces sociétés. Il est évident qu’aucun établissement ne peut se lancer le montage d’une telle usine à gaz, ni imposer le respect de cette formalité aux communautés qu’il abrite. Sans compter que là encore ces formalités sont inutiles, car des organismes comme le CFC disposent déjà de leurs clés de répartition qu’ils pourraient utiliser pour redistribuer les sommes.

Si de telles lourdeurs persistent, c’est parce que le système français est encore bancal, faute d’avoir clairement opté soit pour une vraie exception gratuite en faveur des usages pédagogiques et de recherche, soit pour une gestion collective obligatoire, comme le préconisait le rapport Lescure.

Encore pâle figure par rapport aux pays anglo-saxons…

Ces difficultés font que la France fait encore pâle figure en matière d’usages pédagogiques et de recherche par rapport aux pays anglo-saxons. Les États-Unis ont depuis longtemps dans leur droit la notion de fair use (usage équitable), largement applicable en contexte pédagogique et de recherche. Le Canada a introduit de son côté en 2013 une exception pédagogique intéressante, car largement ouverte aux usages numériques, mais aussi gratuite. Le législateur canadien a en effet considéré au nom de l’intérêt général que les usages pédagogiques et de recherche des œuvres ne constituaient pas un préjudice infligé aux titulaires de droits et qu’il n’y avait pas de compensation financière à verser. Le Royaume-Uni a fait le même choix en novembre dernier, avec l’élargissement de son exception pédagogique à tous les types d’oeuvres, sans compensation et l’introduction pour promouvoir les usages de recherche d’une exception gratuite pour l’exploration de données.

En attendant avec ce nouvel accord, l’exception française va coûter encore à l’État française 3,4 millions d’euros par an (uniquement pour l’écrit et les images), alors qu’elle reste toujours plombée de défauts importants.


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