Le nazisme : le triomphe de l'absolu !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 23/11/2017
J'ai hésité, pour le choix de mon titre, entre extrême et absolu mais il me semble que je n'ai pas eu tort d'opter pour le second.
J'ai également été tenté par le terme de "fascination" mais je l'ai écarté au profit de "triomphe", craignant que certains mauvais esprits voient dans le premier une sorte d'adhésion trouble, perverse et équivoque à une Histoire monstrueuse et à ses acteurs disparus.
Dans tous les cas, pour avoir éprouvé l'envie d'écrire un tel billet, il convient d'être passionné par l'Histoire, par ses pages glorieuses comme par ses périodes atroces.
J'ai d'autant moins de scrupule à le rédiger que mon inspiration est venue de la vision de deux formidables documentaires réalisés par David Korn-Brzoza sur "Hitler et Churchill. Le combat de l'aigle et du lion" (France 3) et les "Jeunesses hitlériennes, l'endoctrinement d'une nation" (France 2), ainsi que d'un troisième d'Antoine Vitkine dans Infrarouge sur la destinée de "Magda Goebbels, la première dame du IIIe Reich" (France 2).
Mon propos n'est pas ici de faire de la critique télévisuelle même si la valeur exemplaire de ces trois grands moments vient notamment de la qualité des témoignages, du caractère inédit des images et de la froideur objective - sans pathos - des commentaires. Ceux-ci démontrent qu'il est inutile de renchérir par les mots sur l'abjection et l'insupportable infiniment visibles.
J'aurais pu suivre le fil d'un thème qui est devenu un poncif et qui consiste à comparer le nazisme génocidaire avec le communisme meurtrier, Hitler avec Staline et le nombre de morts à imputer à l'un ou à l'autre totalitarisme. Sur ce dernier point Staline gagnerait largement mais ce n'est pas l'essentiel pour atteindre le fond des choses et l'essence de ces horreurs de l'Histoire.
Les documentaires que j'ai évoqués, sans que mon intuition soit bouleversante, m'ont rendu plus lisibles les raisons de la fascination trouble - ce mot me paraît approprié dans ce contexte - de certains pour le nazisme, Hitler, ses auxiliaires, ses séides, et l'accablement ressenti face aux Etats et aux responsables qui, faute de croire à ce qu'ils avaient lu, entendu et constataient finalement peu à peu, sont demeurés longtemps naïfs, passifs.
L'indignation historique et la détestation morale, la catastrophe humaine et le dévoiement du XXe siècle peuvent de bonne foi être considérés comme équivalents pour ce qui concerne Berlin ou Moscou mais quelque chose de singulier se rapporte au nazisme, et pas seulement dans le fait que les Juifs, les tziganes et les homosexuels ont été gazés pour ce qu'ils étaient sans que rien même de scandaleusement politique soit venu s'immiscer dans cette résolution criminelle massive.
Ce qui obsède encore aujourd'hui est lié à la certitude qu'on est confronté, pour le nazisme et tout ce qui en découlait, pour toutes les faiblesses dont il a bénéficié, toutes les Résistances qui ont eu en définitive raison de lui, à une série de paroxysmes.
Des absolus qui enferment l'humain et le citoyen d'aujourd'hui dans le sentiment et la conscience que s'est déroulée à cette époque, sur plusieurs registres, une Histoire se clôturant elle-même.
L'absolu du Mal.
L'absolu du fanatisme et de l'idéologie.
L'absolu du culte du chef. Du guide.
L'absolu d'une parole rauque, envoûtante et sauvage. Convainquant les tripes, les instincts contre toute rationalité.
L'absolu d'une volonté de domination et d'une politique des rapports de force sans le moindre recours à des considérations morales, même avec leur répudiation de principe.
L'absolu du racisme et de l'antisémitisme orgueilleusement assumés, dans une totale arrogance et croyance en la race supérieure.
L'absolu de jeunes gens indéfectiblement attachés à Hitler, décidés à le protéger jusqu'au bout et se sacrifiant pour une cause dont l'ignominie leur échappait.
L'absolu d'une bande de reîtres sous la houlette d'un délirant ayant fait preuve de quelques éclairs de génie politique et militaire dans les temps de la conquête et de l'assujettissement européens.
Est-il choquant de reconnaître l'existence de ceux-ci comme si la malfaisance ne pouvait être qualifiée globalement que de médiocre ? Une telle approche serait aussi stupide que celle s'étant étonnée d'un Hitler aimable avec ses secrétaires dans le superbe film qu'était "La chute". Même le pire des êtres n'est jamais un bloc.
L'absolu de la naïveté et de l'illusion avec Chamberlain et Daladier mais moins dupe que lui.
L'absolu de diplomaties dépassées qui n'avaient pas compris que Hitler avait cassé les règles du jeu, le jeu avec les règles.
L'absolu de la résistance avec Churchill et le peuple anglais modèle sous les bombes.
L'absolu d'un réalisme froid et d'une prudence scandaleuse qui, face à la connaissance des camps d'extermination, n'ont rien tenté pour entraver le cours de l'Holocauste.
L'absolu d'une apocalypse shakespearienne dans le bunker de Berlin, les suicides, Magda Goebbels assassinant ses six enfants.
Avec le communisme et certaines séquences historiques qui ont ensanglanté le monde - je songe notamment aux Khmers rouges - on a évidemment connu des extrémités, des horreurs paroxystiques mais jamais un inventaire conduisant à faire une telle généralité d'absolus.
Cela n'interdit pas évidemment de mesurer l'absolu nazi par rapport à tous les autres mais il ne faut en aucun cas le banaliser, parfois par lassitude, aussi par une paresse de l'esprit : il ne peut rien y avoir de vraiment nouveau sous le soleil sombre de l'Histoire !
Pourtant, quelque chose d'unique et d'incomparable a surgi, a conquis, a dominé, a tué, a ruiné, s'est détruit.
Contre tous les tocsins superficiels et donc imprudents qui confondent et égarent, j'espère, je crois, que c'est pour toujours.