Le président et le Gilet jaune : promenade aux Tuileries
Justice au Singulier - philippe.bilger, 16/07/2020
Le 14 juillet, le président de la République et son épouse décident de se promener au jardin des Tuileries. Ils sont accompagnés par des gardes du corps. À un certain moment, le couple est reconnu par un groupe dans lequel se trouvaient des Gilets jaunes dont un certain Richard Zupancic. Le président est invectivé, on crie "Macron démission", les propos sont de plus en plus vulgaires. J'ai toujours tenté de respecter le combat des Gilets jaunes dans son principe, sans pour autant les traiter avec condescendance en acceptant d'eux des indélicatesses malvenues.
Le président de la République, selon une habitude qu'il avait comme ministre, qui était de ne jamais fuir le contact, décide d'arrêter sa marche et d'aller à la rencontre de ses suiveurs (Le Point). Les propos sont rudes puis s'apaisent.
Emmanuel Macron ne se laisse pas intimider, pas davantage que Richard Zupancic qui n'hésite pas à l'interpeller vigoureusement: "Vous êtes mon employé" ce qui lui vaut la réplique ironique qu'on est "un jour férié" ! Les revendications sont de toutes sortes, de Balkany à la demande de démantèlement des Brigades de répression des actions violentes motorisées. À la fin, la séparation se fait tranquillement et on entend le mot "Respect".
Pour avoir tweeté après cet épisode que le président n'était pas "un pleutre, qu'il avait du cran" et qu'en effet cette attitude personnelle méritait le respect, ce qui me paraissait évident, j'ai vu se déchaîner une série de réactions qui peu ou prou visaient toutes à ridiculiser son comportement, à le qualifier de "bravache" et non pas de courageux, à lui reprocher une "théâtralisation", à souligner qu'il était protégé et ne risquait rien, qu'en se promenant ainsi avec son épouse, c'était comme "aller la foire du Trône", que tout était prévu, organisé, qu'il s'agissait de communication, bref, que rien n'était à sauver dans cet affrontement vite adouci entre le président et Richard Zupancic notamment.
Je continue toutefois à penser que mon tweet n'était pas infondé. Sans doute suis-je trop sensible, quelles que soient les circonstances, à ces instants très brefs de grâce où on pourrait sortir du combat politique et de l'esprit partisan en louant la qualité intrinsèque de certaines postures.
Apparemment ce souci d'équité consistant par exemple à sauver un singulier honorable au sein d'un pluriel négatif est peu partagé, comme si les citoyens, jamais lassés d'être opposants, militants, avaient l'impression de se renier en consentant à louer le comportement du président, sa volte et sa volonté de ne pas marquer de mépris par un éloignement ostensible et protégé.
Pourquoi serait-il honteux d'admettre cela alors qu'au contraire la certitude de n'être pas dépourvu d'impartialité, même sur des points mineurs, ne pouvait que donner du poids et de la légitimité aux critiques de fond ?
Ou bien faut-il considérer qu'on en est au point où, dans cette République, quoi que fasse le président, même de l'estimable et de l'élégant, rien ne lui sera crédité ? Par principe il ne pourrait pas être autre chose qu'un bloc à dénigrer ?
Cette promenade interrompue aux Tuileries aurait pu, il est vrai, susciter la désapprobation parce qu'elle était peut-être de nature à amplifier la banalisation de la fonction présidentielle. Avec cette synthèse que le pouvoir français ne parvient jamais à mener à bien entre majesté et simplicité. Dans l'arbitrage à opérer entre ce risque et le rapprochement citoyen que cet échange aux Tuileries a permis, j'opte pour le second terme.
Je n'ai pas à m'excuser d'avoir trouvé que le président en l'occurrence avait eu de la tenue et du cran. On l'aurait moqué si le couple avait décampé. Il faut lui rendre grâce pour n'avoir pas eu une attitude indigne de nos espérances.