Nicolas Sarkozy, Premier ministre de rattrapage ?
Justice au singulier - philippe.bilger, 27/10/2014
François Bayrou qui ne parle jamais pour ne rien dire a déclaré que le président de la République ne pourrait pas continuer ainsi, avec une majorité déchirée, jusqu'à la fin du quinquennat et que donc, à un moment ou à un autre, la dissolution serait inévitable.
Il a ajouté qu'avec cette éventualité hautement prévisible, Nicolas Sarkozy, président de l'UMP, pourrait devenir un Premier ministre de cohabitation et qu'une telle perspective était sans doute inscrite dans sa tête (Le Grand rendez-vous-Europe 1-Le Monde-i-Télé, repris par Le Figaro).
Même si je n'apprécie pas ces atteintes subtiles ou brutales, par sadisme ou lucidité, à la légitimité de François Hollande, force est de considérer que l'hypothèse évoquée par ce centriste libre et conséquent est tout à fait plausible.
J'ajoute qu'elle réparerait une injustice ou consolerait d'un malentendu démocratique.
En effet, après avoir fait un bilan de son quinquennat, il était incontestable qu'on pouvait créditer Nicolas Sarkozy d'une énergie jamais lassée, d'un sens du mouvement, d'une appétence démesurée pour l'action, d'une aptitude à l'animation de ses équipes, d'une volonté de surmonter tous les obstacles et d'un orgueil, voire d'une vanité certaine. A rebours, lui ont manqué l'allure, l'impartialité dans l'arbitrage, la sérénité, les vertus de retenue et d'élégance, le respect de la République dans ce qu'elle doit avoir d'exemplaire et d'équitable, la pensée à long terme.
Alors qu'à l'évidence il était infiniment doué pour la gestion dans l'urgence, l'opératoire à court terme et l'immédiateté des situations de crise où son agitation a pu apparaître alors comme la seule réponse adaptée.
On devine où je veux en venir.
Nicolas Sarkozy aurait été probablement un Premier ministre d'exception. S'il s'était arrêté là, son destin déjà n'aurait pas été médiocre. S'il avait aspiré ensuite à la charge suprême, nul doute que le président n'aurait pas oublié les enseignements et les leçons du Premier ministre, les avertissements prodigués par le réel et par l'incarnation discutable ou non de sa personnalité dans l'espace de ce pouvoir encore dépendant.
Sans qu'il soit coupable puisque, contre son gré, son ambition n'a pas pu être alors satisfaite, l'avoir obligé à sauter par-dessus la case de Premier ministre l'a projeté, trop vite, sans préparation ni précaution, dans un monde trop grand, trop raffiné, trop majestueux pour lui. Sa victoire de 2007, nette, loin de faciliter son apprentissage présidentiel, lui a fait perdre d'emblée tout sens des choses et il a cru connaître de toute éternité ce qu'en réalité il n'avait jamais su.
On ne passe pas impunément, en une seule fois, en un unique saut, de l'effervescence quotidienne et de la proximité souhaitable et rude du ministère de l'Intérieur à la distance et à la réserve que l'Elysée aurait dû imposer. Monter les marches du Palais en jogging, le visage suant, était la traduction vulgaire de ce contraste éclatant.
En effet,il est dur, après avoir tapé sur les épaules, de quitter ce ministère, la familiarité et la brutalité de l'univoque, le narcissisme inévitable sécrété par une omniprésence techniquement et politiquement justifiée, pour le royaume de l'équivoque, du ralenti, de la litote et de l'allusif. Une maîtrise ostensible, pragmatique et directe pour une domination subtile et raffinée. N'est pas Mitterrand qui veut après avoir été Sarkozy !
Nicolas Sarkozy avait trop payé de sa personne pour accepter de se faire rembourser plus tard par un silence et une classe de bon aloi.
Il n'a pas été Premier ministre. Il le sera peut-être demain, mais dans la cohabitation.
Pour lui, ce ne sera pas la même chose que d'être appuyé même du bout de l'esprit par un président complice et solidaire ou de devoir exercer son pouvoir sous la vigilance et la tutelle négatives d'un chef de l'Etat plus soucieux de compter ses outrances ou ses bévues que ses réussites.
Mais ceci sera une autre histoire.