Le Général, le particulier et l'illusion
Justice au singulier - philippe.bilger, 9/08/2014
Le Conseil constitutionnel a amputé le pacte de compétitivité mais presque validé la réforme de Christiane Taubira. Apparemment, il se montre plus regardant pour le social que pour le pénal !
Au sujet de ce dernier, on n'a pas assez dénoncé la promotion-sanction du général Soubelet appelé à diriger la gendarmerie d'outre-mer. On lui a fait scandaleusement payer sa lucide intervention - alors qu'il était le numéro trois dans la hiérarchie de la gendarmerie - devant une commission parlementaire de l'Assemblée nationale : il avait notamment souligné "le décalage entre la progression des interpellations de délinquants (+ 4%) et la diminution du nombre des incarcérations (-33%). Ce constat accablant pour le garde des Sceaux n'a pas plu au ministre de l'Intérieur Valls qui désirait qu'elle fût ménagée (Le Figaro Magazine, Valeurs actuelles).
Comment ne pas approuver ce général surnommé "général courage", tant aujourd'hui il convient de féliciter celui qui ose proférer les vérités même les plus criantes, les plus évidentes ?
Deux tragédies criminelles récentes, chacune avec sa spécificité de lieu et d'action, ont montré à quel point la France endure le hiatus entre une réalité trop souvent terrifiante et un humanisme conseilleur mais des victimes pour payeurs.
A Dolomieu (Isère), après le braquage d'un tabac-presse le 29 juillet commis par deux malfaiteurs, Hugo Villerez, courageux client, était abattu parce qu'il tentait d'intervenir à l'extérieur pour permettre l'interpellation de l'un d'eux.
Mukaël Erdem, qui s'est vu reprocher cet acte, a été mis en examen, notamment pour vol accompagné de violences ayant entraîné la mort, puis incarcéré. De même que Morgan Vert qui l'accompagnait et s'est malheureusement suicidé en se pendant (jdd.fr).
Une troisième personne qui aurait fourni l'arme a été mise en examen du chef de complicité et placée sous contrôle judiciaire (le Figaro).
Un immense émoi après ce désastre humain : près de 700 personnes aux obsèques de la victime.
A l'Alma, dans un quartier de Roubaix déshérité dont les habitants se sentent abandonnés par les pouvoirs publics, un père de famille de 27 ans unanimement apprécié, courageux - il avait sauvé quelqu'un d'une noyade - a été tué par deux jeunes gens qui faisaient des rodéos en pleine nuit avec une voiture volée et qu'il avait interpellés de sa fenêtre pour les faire cesser.
Ulcérés, ils l'ont cherché puis trouvé dans cet immeuble délabré et au moins un coup de couteau dans la gorge lui a été porté avec un effet mortel.
Rapidement, l'un des protagonistes a été interpellé puis l'autre s'est livré plus tard : petit délinquant pour le premier, selon le procureur adjoint de Lille, et jeune majeur au casier chargé pour le second.
Le nouveau maire UMP de Roubaix Guillaume Delbar est conscient de "devoir reprendre le pouvoir dans ces quartiers que l'on a abandonnés", où la police n'ose plus aller de peur de susciter des réactions de rejet avec la conséquence que des drames comme celui dont Ahmed Boudaoud a été victime se produisent (Le Parisien).
Mukaël Erdem a écrit une lettre à la mère d'Hugo Villerez pour exprimer ses remords et expliqué qu'il avait tiré, "paniqué", parce que celui-ci venait vers lui. Selon son avocate, sa démarche était spontanée et sincère et il désirait l'accomplir immédiatement.
Je n'ai aucune raison de considérer ce geste comme tactique, d'abord parce qu'il est très rarement mis en oeuvre à ce stade initial alors qu'en cours de procédure et avant l'audience, il risque d'être perçu pour seulement habile. Que ce jeune homme ait éprouvé le besoin de s'adresser à cette mère donne de sa personnalité une image que le crime n'a pas totalement dégradée.
Mais il n'y a aucun rapport avec ce mouvement intime que la procédure va intégrer et cette justice "réparatrice" qui pousserait victimes et condamnés à se rencontrer et à dialoguer. Cette éventualité est réglementée par une longue procédure et, à supposer que la psychologie de certains y trouve son compte, peu appréciée par l'administration pénitentiaire puisque seule la Maison Centrale de Poissy en permet la réalisation depuis 2010 mais en confrontant des groupes, sans lien direct entre un criminel et sa victime.
Il paraît que, l'un en face de l'autre, le criminel avouerait pourquoi il est passé à l'acte et, devant la victime prendrait conscience des faits.
Stéphane Jacquot qui a créé l'Association nationale de la justice réparatrice prétend que cette interrogation et cette exigence sont "très peu développées au cours d'un procès", ce qui est totalement faux.
Le plus souvent, sauf à l'égard de faits délictuels ou criminels simples et utilitaires, le prévenu ou l'accusé ont du mal à démêler les motivations profondes de leurs agissements et s'ils n'y parviennent pas à l'audience malgré son caractère irremplaçable, ils demeureront encore plus inconnus à eux-mêmes en face de leurs victimes.
Parlons net : cette justice réparatrice est, au pire un gadget pour curiosités malsaines, au mieux une relation qui n'aura aucune incidence sur le cours de la justice pénale puisqu'elle se déroulera, la sanction infligée.
Il y a bien mieux à faire en suivant l'avertissement du général Soubelet et tant de pistes seront à explorer quand un pouvoir prendra enfin l'univers pénal au sérieux : défendre la police, ne pas la noyer sous une bureaucratie étouffante, refuser qu'une certaine magistrature défasse ses réussites ou rende vaines ses enquêtes, instaurer ou restaurer confiance et estime du citoyen à l'égard des magistrats qui auront beaucoup de chemin à faire, réfléchir à une articulation plus cohérente entre justice et police sur le plan ministériel, construire des prisons, rendre l'exécution des peines enfin efficace...
Il ne suffira pas de succéder à Christiane Taubira : il conviendra de refaire là où elle a défait et de faire là où elle n'a rien fait.