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Libérer les traductions du domaine public sous Creative Commons : trois exemples de réalisation

:: S.I.Lex :: - calimaq, 13/07/2013

L’un des intérêts majeurs du domaine public est qu’il favorise la production de nouvelles adptations des oeuvres, et notamment leur traduction. Mais l’entrée dans le domaine public d’oeuvres littéraires écrites en langue étrangère peut n’avoir en pratique que peu d’incidences … Lire la suite

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L’un des intérêts majeurs du domaine public est qu’il favorise la production de nouvelles adptations des oeuvres, et notamment leur traduction. Mais l’entrée dans le domaine public d’oeuvres littéraires écrites en langue étrangère peut n’avoir en pratique que peu d’incidences pour le public français. En effet, les traductions de ces oeuvres sont considérées comme des oeuvres dérivées et protégées à ce titre pendant 70 ans après la vie des traducteurs. Il en résulte qu’il n’existe souvent pas de traductions réutilisables pour de nombreuses oeuvres importantes, quand bien même les originaux en langue étrangère sont dans le domaine public, et cela nuit incontestablement à leur accessibilité.

Translation. Par Brother O’Mara. CC-BY-NC-ND. Source : Flickr.

En janvier 2012, j’avais écrit un billet pour essayer d’inciter à la production de traductions en français sous licence Creative Commons d’oeuvres étrangères appartenant au domaine public. J’avais alors en tête l’exemple du projet Musopen, qui a réussi à financer par le biais du crowdfunding l’enregistrement par un orchestre de morceaux de musique classique, placés sous licence Creative Commons. L’intérêt est d’ouvrir les droits voisins d’interprètes et de producteurs qui demeurent sur la plupart des enregistrements de musique classique pour permettre la réutilisation.

La démarche me semblait excellente et le champ de la traduction littéraire pouvait tout aussi bien faire l’objet d’expérimentations similaires. Mais la traduction est également une opération complexe, nécessitant un haut niveau de compétences et il n’est pas si simple de lancer des initiatives en la matière. Un peu plus d’un an et demi après ce premier billet, il se trouve que plusieurs projets de traduction d’oeuvres du domaine public ont été placés par leurs promoteurs sous licence Creative Commons ces dernières semaines. Je tenais à la fois à les saluer et à essayer de susciter peut-être des vocations dans le domaine des traductions ouvertes.

I Ulysse par jour de Guillaume Vissac :

J’avais écrit mon billet de 2012 à l’occasion de l’entrée dans le domaine public des oeuvres de James Joyce et j’avais alors lancé la proposition un peu folle de s’attaquer à une traduction ouverte d’Ulysse, le roman emblématique de cet auteur. Le pari était sans doute trop difficile à relever, vu la complexité de cette oeuvre, mais Guillaume Vissac, l’auteur du blog Fuir est une pulsion, s’est engagé quelques semaines après dans une entreprise un peu folle : celle de traduire en ligne le roman au rythme d’une phrase par jour.

Depuis plus d’un an et demi, ce projet suit son cours, sur le site Ulysse par jour et c’est assez fascinant de voir se développer cet effort lent et minutieux pour se confronter avec le texte de Joyce.

Voici la manière dont Guillaume Vissac présente son entreprise :

2012 : James Joyce « tombe », comme le veut la formule, dans le domaine public. Moment idéal pour entreprendre un projet fou : traduire ce monument, jour après jour, phrase après phrase (ou presque). Deux traductions françaises sont déjà parues : une première, en 1929, signée Auguste Morel, assisté de Stuart Gilbert, Valery Larbaud et l’auteur lui-même et une seconde en 2004, menée par une équipe d’écrivains, traducteurs et universitaires sous la direction de Jacques Aubert. On n’ira pas dans cette direction mais on ne se privera pas de se référer à l’une ou à l’autre (cf. diverses notes de bas de page). Le but du jeu, dans cet exercice, serait d’opérer, par le biais de la traduction, une sorte de piratage poétique, au sens où l’entendait par exemple Kathy Acker. Que ceux qui veulent me joindre dans la bataille s’amènent : la phrase originale est dépliable en haut de chaque page et les commentaires sont faits pour ça.

La première phrase d'Ulysse traduite par Guillaume Vissac. Avec un système de géolocalisation pour suivre les pérégrinations des héros dans la ville de Dublin et des commentaires pour donner une dimension participative au projet;

La première phrase d’Ulysse traduite par Guillaume Vissac. Avec un système de géolocalisation pour suivre les pérégrinations des héros dans la ville de Dublin et des commentaires pour donner une dimension participative au projet.

Sur Twitter, il est aussi intéressant de suivre Guillaume Vissac, pour voir passer jour après jour, les phrases traduites qui viennent alimenter le site.

Tous les ans, le 16 juin, on célèbre le Bloomsday, en hommage à James Joyce et à son roman-phare Ulysse dont l’action se déroule entièrement le 16 juin 1904. Le mois dernier, Guillaume Vissac a choisi lors du Bloomsday de faire passer le site Ulysse par jour sous licence Creative Commons BY-SA.

Un très beau geste, qui peut contribuer à renforcer la dimension collaborative du projet. Il faut dire aussi que le travail de traduction à fournir pour venir à bout d’Ulysse est colossal. Après un an et demi, Guillaume Vissac a traduit 523 phrases du roman, soit  3, 80%. On comprend l’envie de se connecter à quelque chose de plus collectif et c’est ce que les licences Creative Commons permettent.

progressionII Le journal de Franz Kafka, retraduction par Laurent Margantin.

C’est un autre projet ambitieux dans lequel s’est lancé Laurent Margantin, celui de produire une nouvelle traduction du Journal de Franz Kafka. Auteur numérique sur le blog Oeuvres ouvertes depuis 2000 a commencé en avril 2013 à s’attaquer au journal de Kafka et a décidé d’accorder la priorité à cette entreprise sur ses autres travaux :

Je cesse à partir d’aujourd’hui toute activité littéraire personnelle sur support numérique. Ce pour plusieurs raisons, dont la principale est que je souhaite me consacrer exclusivement – ici même – à la traduction du Journal de Kafka. Je considère que mes propres textes – si j’écris encore – ne peuvent plus que passer au second plan, et préfère donc ne pas les mettre en ligne.

Le journal de Franz Kakfka - retraduction par Laurent Margantin.

Le journal de Franz Kakfka – retraduction par Laurent Margantin.

Il existe déjà une traduction en français du Journal de Franz Kafka par Marthe Robert, mais cette dernière étant décédée en 1996, elle sera réellement réutilisable qu’à partir du 1er janvier 2067… De plus, cette traduction malgré sa qualité commence à être datée et le domaine public permet précisément d’envisager de nouvelles interprétations du texte de Kafka.

Le 3 juillet dernier, à l’occasion des 130 ans de la naissance de Kafka, Laurent Margantin a décidé de placer le site où il est effectue sa traduction sous licence Creative Commons CC-BY-NC-SA.

Ce geste rendra son travail réutilisable et parteable, ce qui est en phase avec le projet de Web-association des auteurs que Laurent Margantin a lancé récemment pour appeler les textes d’auteurs à se disséminer sur la Toile et auquel j’ai eu le plaisir de contribuer.

III Traduction collaborative du Magicien d’Oz, par Yann Houry

Le dernier exemple que je voudrais citer est intéressant, car il repose sur un processus collaboratif mis en place pour traduire les textes en ligne. Le professeur Yann Houry s’était déjà signalé en créant un manuel de français de 4ème pour Ipad, diffusé gratuitement et placé sous licence Creative Commons CC-BY-NC-SA.

Cette initiative s’inscrit dans une démarche militante et Yann Houry tient des propos que je partage entièrement sur les impacts du droit d’auteur en matière d’éducation :

Il faut dire et redire à quel point le droit d’auteur est une plaie pour le monde de l’éducation, un fléau qui restreint drastiquement la diffusion des œuvres. Combien de pépites, de découvertes resteront dans les tréfonds de mon ordinateur et de ceux de mes collègues ? Combien d’ouvrages ne pourront être partagés sous le prétexte que les droits d’auteur ont enfermé la culture pour une vingtaine d’années d’abord (lors de la Révolution française), puis pour cinquante, aujourd’hui pour soixante-dix ans ?

Or pour son nouveau projet de manuel de 6ème, Yann Houry avait besoin de pouvoir disposer d’une traduction de passages du Magicien d’Oz de L. Franck Baum, qu’il pourrait intégrer dans son livre en Creative Commons. Il n’est pas possible pour cela de recourir à des traductions récentes encore protégées par des droits d’auteur. Mais heureusement, le Magicien d’Oz est dans le domaine public et il était possible de produire une nouvelle traduction, susceptible alors d’être placée sous licence Creative Commons.

Pour ce faire, Yann Houry a lancé un appel à contributions et un travail collectif s’est engagé sur un pad, pour traduire les passages retenus. Une équipe s’est rassemblée pour avancer et jusqu’à 17 personnes à la fois ont oeuvré ensemble pour aboutir à une nouvelle traduction de ces extraits.

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Il reste d’ailleurs encore plusieurs extraits à traduire et vous pouvez collaborer, si vous souhaitez participer à cette initiative de production d’une ressource pédagogique ouverte. La dynamique que suscite ce genre de projets est particulièrement réjouissante et elle montre que beaucoup pourrait être fait dans le domaine de l’éducation, en faisant appel à l’intelligence collective. De ce point de vue, un corpus de traductions récentes sous Creative Commons d’oeuvres du domaine public serait un atout considérable.

***

Voilà donc trois exemples qui montrent que l’idée d’associer traductions du domaine public et licences Creative Commons peut s’avérer féconde. bravo à ces trois auteurs pour ces réalisations inspirantes !

C’est une des facettes du domaine public qui pourrait sans doute être mise davantage à contribution pour produire des contenus ouverts. Avec l’essor du crowdfunding, on pourrait imaginer de lancer une initiative un peu similaire à Musopen, pour constituer une bibliothèque de traductions libres. Cela pourrait donner un Tradopen, qui occuperait un créneau intéressant.

Si vous connaissez d’autres exemples de ce genre, n’hésitez pas à le signaler dans les commentaires du billet ?


Classé dans:Domaine public, patrimoine commun Tagged: Creative Commons, Domaine public, joyce, kafka, L. Franck Baum, Magicien d'Oz, traduction, ulysse

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