Vite une loi contre la liberté et le talent !
Justice au singulier - philippe.bilger, 7/10/2014
On a perdu du temps avec des broutilles comme la loi sur le mariage pour tous.
On ne va pas à l'essentiel avec ces minuscules escarmouches qui prétendent mettre à mal le mérite et interdire les redoublements.
On s'égare parce qu'on refuse de s'en prendre au seul adversaire qui vaille : la nature, et aux scandaleuses inégalités qu'elle crée. C'est contre cette injustice odieuse qu'il faut porter le fer. Nulle part ailleurs.
Il me semble que la récente polémique qui a éclaté, démesurée, à la suite des propos tenus par Eric Zemmour à ONPC, m'autorise cette ironie caricaturale.
Dans quel monde vit-on, dans quelle France pour que des controverses normales sur le plan intellectuel suscitent un tel émoi, comme on si on venait de découvrir que la contradiction existe, que le langage est capable de brutalité et l'esprit de vérité ? Et qu'aucune émission n'est condamnée à la fatalité de la médiocrité à cause de la grisaille insipide et bienséante de la plupart des invités ?
Dans quelle République pense-t-on pour que le plus sérieusement du monde Aude Baron, rédactrice en chef du Plus (Nouvel Observateur), puisse lancer un débat sur l'interrogation suivante : Laurent Ruquier a-t-il bien fait d'inviter Eric Zemmour ?
D'abord, le premier n'avait aucune raison de ne pas convier le second pour la promotion de son livre tout à fait remarquable au demeurant. Laurent Ruquier sait tout ce que son émission lui doit ainsi qu'à son brillant complice d'alors Eric Naulleau. Eric Zemmour n'a jamais eu, en dépit de leur départ, la moindre aigreur publique à l'égard de L.Ruquier qui les avait remplacés par Natacha Polony et Aymeric Caron.
Pour ma part, j'aurais adoré dialoguer vigoureusement avec Naulleau et Zemmour, de même qu'avec leurs successeurs, ainsi qu'avec Léa Salamé et toujours Aymeric Caron aujourd'hui. Mais l'ostracisme que je subis de la part de L.Ruquier me semble justifié, dans cet univers où l'entre-soi compte plus que le "pour tous", puisque je n'ai cessé d'écrire à quel point celui-ci m'énervait à cause de son omniprésence dérangeante et de ses rires anticipés et satisfaits. Il y a là un motif d'exclusion compréhensible.
Que Léa Salamé, Aymeric Caron, Daniel Cohn-Bendit, Michel Denisot qui est demeuré d'une placidité tolérante ou Anne Dorval, égérie de Xavier Dolan, aient pour une fois trouvé face à eux une personnalité digne de ce nom non seulement n'a pas été une catastrophe mais s'est au contraire avéré une aubaine. C'est ce type d'émission qui devrait constituer la référence, et non pas l'inlassable défilé promotionnel d'artistes et de politiques, pour les uns trop creux, pour les autres trop prudents (Figaro Vox).
La question sur la présence d'Eric Zemmour ou non renvoie en réalité à un procès bien plus profond. Non seulement il avait toute légitimité pour être présent, non seulement il permettait à ses interlocuteurs de montrer leur pugnacité lucide ou convenue mais en plus il avait osé exprimer ce que lui avait envie de dire, avec force et sans détour, et pour cela il n'avait pas hésité à secouer le cocotier médiatique et le ronron qui impose de ne jamais aller trop loin dans l'analyse historique, sociale et politique. Il y a des limites à ne jamais franchir car les grands espaces font peur aux petits du cercle, qui s'adorent et se congratulent dans leur réserve. Dans tous les sens du terme. Les bousculades sont interdites et priorité doit tout de même être laissée à ceux qui portent la bonne parole.
Avec Eric Zemmour, cette règle implicite a été clairement et délibérément transgressée et je me rappelle il y a longtemps un autre iconoclaste, Christophe Hondelatte, qui avait révélé la supercherie de ces exercices médiatiques.
Comment ne pas percevoir le tremblement intellectuel causé par une démarche si ouvertement atypique quand on lit le billet, toujours sur le Plus, d'un certain Clément Avarguès-Charriéras qui reproche à Eric Zemmour d'avoir proféré "le discours habituel sur le déclin de la France, l'immigration, l'islamisation de la société et la hausse de la délinquance. Des propos dangereux..."
Il est piquant d'entendre dénoncer un "discours habituel" quand sa critique représente aujourd'hui le comble de la convention.
Aurait-il fallu, pour plaire à ceux qui ont besoin, comme on respire, de poncifs généreux mais faux, soutenir que la grandeur de la France ne cessait de s'amplifier, que l'immigration était une formidable chance pour elle, que l'islamisation, si elle était constatée, constituait une avancée et non pas un risque pour la démocratie et qu'enfin, contre toute évidence, la délinquance baissait ?
Ce serait des stupidités, elles vraiment dangereuses, mais si on a toute latitude pour les dénigrer dans notre for intérieur, il convient de respecter la décence et de ne pas les faire sortir de soi pour les pourfendre ! Le sommeil civique de certains est sacré, cela risquerait de les réveiller.
Il est insupportable, pour beaucoup, de s'affronter dans l'espace politique et médiatique à une liberté d'expression prise au sérieux.
Pour que nos timorés de la pensée et du langage, nos amoureux d'une contradiction mais douce, quasiment consensuelle soient comblés, que la gauche continue son mouvement de moins en moins dissimulé vers un paradis qui serait un enfer : nous n'aurions plus le droit d'être nous-mêmes parce que la liberté et le talent, l'apanage de quelques-uns, seraient une intolérable offense pour tous les autres.
Vite, une loi contre Eric Zemmour !