La droite Trocadéro ou le flou du roi ?
Justice au Singulier - philippe.bilger, 15/05/2019
Quel étrange paradoxe que celui qui se rapporte à la carrière politique d'Edouard Philippe !
Le Premier ministre est très discuté, s'il partait il ne manquerait pas à beaucoup de Français mais en revanche on serait prêt à lui concéder Paris pour qu'il nous débarrasse d'Anne Hidalgo car à l'heure actuelle celle-ci n'a pas d'opposants assurés de la battre.
Alors on songe à Edouard Philippe.
D'autant plus qu'apparu en pleine lumière, grâce à Emmanuel Macron, après le défaite d'Alain Juppé, nommé Premier ministre grâce à une parfaite intelligence tactique - quelqu'un qu'on sort miraculeusement d'une ombre probable vous sera infiniment reconnaissant et dévoué -, à chaque fois qu'on désirait vanter Edouard Philippe, on ne trouvait rien de mieux à dire : "oui, il a été un bon maire du Havre".
Au fond c'était peu mais il fallait s'en contenter.
Je suis obligé d'admettre qu'au début il a fait de l'effet. Presque plausible comme incarnation, avec son maître, du nouveau monde. Si vite relégué dans une ancienneté d'autant plus blâmable qu'elle avait laissé espérer du neuf.
Sa roideur souriante, son austère décontraction, son inconditionnalité souple, son intransigeance à éclipses (Notre-Dame des Landes...) et sa rectitude molle ont quelque temps étonné. Agréablement en certaines circonstances.
Récemment le Premier ministre s'est perdu dans un propos acerbe qu' il aurait voulu drôle et percutant en dénonçant "la droite Trocadéro" (Le Figaro).
D'abord je déplore cette illusion "homérique" laissant croire que le mot est une argumentation, la saillie du verbe une démonstration. Je ne crois pas davantage, contrairement à Laurent Wauquiez, qu'Edouard Philippe représente "la gauche Solférino", ce qui me semble relever de la même approximation. On pourrait élargir cette analyse en déplorant la multitude de ces termes visant à pulvériser l'adversaire en le qualifiant sommairement ou en s'imaginant que Veilleurs, Sens commun, fascistes, cocos, homophobes, antisémites ou racistes seraient à eux seuls des dénominations accablantes sans même le début d'une explication, d'une justification.
Ensuite le Premier ministre était-il si bien placé, vraiment légitime pour se moquer d'une droite qui était faite de plusieurs chapelles dont la juppéiste et qui en tout cas ne méritait pas la moindre dérision de quelqu'un qui l'a quittée tout en prétendant ne l'avoir jamais abandonnée ? Transfuge avec une mauvaise conscience telle qu'elle l'a seulement conduit à invoquer sans cesse sa non appartenance à LREM. François-Xavier Bellamy a d'ailleurs répondu comme il convenait à cette saillie crachant, tous comptes faits, sur sa famille en lui prêtant des défauts et des comportements, sur le plan politique, que son très ancien nouveau monde a été loin de répudier.
Etait-elle d'ailleurs si honteuse que cela la droite Trocadéro, à supposer qu'elle ait eu véritablement une identité. La victoire éclatante de François Fillon à la primaire de la droite et du centre a été détruite à cause de lui et par une intervention judiciaire qui l'a mise délibérément à mal. Mais sa substance elle-même appelait-elle un tel opprobre deux ans après ?
J'ai l'impression qu'Edouard Philippe - le flou du roi, au mois dans la première phase jupitérienne du quinquennat présidentiel - a profité de ce "en même temps", gage de plénitude intellectuelle mais, sur un plan personnel, prétexte à toutes les voltes et fluctuations : Emmanuel Macron a choisi un Premier ministre pour que son envie de dépasser la droite et la gauche soit plausible avec un homme de droite feignant d'oublier d'où il venait, avec une personnalité tentée par la gauche pour surprendre.
Il est clair qu'Edouard Philippe devrait avoir la délicatesse élémentaire de se taire sur sa famille d'origine parce que sa démarche pourrait ne pas être stigmatisée seulement s'il avait eu la modestie et l'élégance d'adopter un profil bas. On a le droit de changer mais qu'on ne fasse pas passer ce changement pour une admirable constance.
Le singulier est qu'Alain Juppé refusant, lors de sa vie politique, d'être l'inspirateur de quoi que ce soit, devient, depuis qu'il a rejoint le Conseil constitutionnel et son univers juridico-somptuaire, une sorte de sage qu'on invoque à tout bout de champ. Edouard Philippe évidemment, Gilles Boyer aidé et repêché par le premier, Jean-Pierre Raffarin et ses contorsions...
En se moquant de la droite Trocadéro - elle existe donc puisqu'on l'attaque selon la remarque pertinente de Bruno Retailleau -, Edouard Philippe cherche à faire oublier que son destin ne dépend que d'Emmanuel Macron. Celui-ci, il est vrai, l'a sauvé et lui permet, durant le temps qu'il décidera, grâce à sa pratique politique singulière, de s'honorer d'être le flou du roi.