Un nouveau compromis à Bruxelles : l’accord du 9 décembre 2013 sur les travailleurs détachés
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Nathanaël Place et Stéphane Bloch, 11/12/2013
Les ministres du travail de l’Union Européenne sont parvenus à un compromis sur un projet de Directive visant à renforcer le contrôle des conditions de détachement des travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services. Sans attendre son adoption par le Parlement puis sa transcription par le droit interne, le gouvernement français a d’ores et déjà annoncé un renforcement des mesures de droit national visant à lutter contre le travail illégal.
Lundi dernier, 9 décembre 2013, les ministres du travail des 28 états membres de l’Union Européenne se sont accordés sur un projet de Directive relative à l’exécution de la Directive 96/71/CE adoptée le 16 décembre 1996 concernant le détachement de travailleurs effectué dans le cadre d’une prestation de services.
L’objectif des partisans du compromis obtenu n’était pas une remise en cause de la Directive : officiellement aucune capitale n’a envisagé, ni de revenir sur la libre circulation des travailleurs, inscrite de tout temps dans le marbre des textes, ni même de remettre en cause les règles de 1996.
« Cette Directive était un progrès » a affirmé Michel Sapin à l’issue du huis clos [des ministres] « L’abroger aujourd’hui serait un pas en arrière, un retour à la loi de la jungle (1) ».
Point de vue nuancé :
Illustration presque caricaturale de cette position, un article paru le jour même de l’adoption du compromis dans une publication économique polonaise dans lequel on peut lire : « i[Pendant les négociations sur la nouvelle Directive, la Belgique a directement accusé la Pologne de Dumping social, semblant oublier que les travailleurs flamands et wallons qui étaient prêts à faire le travail confié aux travailleurs polonais, ne se bousculaient pas au portillon et qu’ils ne changeront pas d’avis une fois la porte claquée au nez des travailleurs détachés polonais.
Les travailleurs venus de Pologne et d’autres pays d’Europe de l’Est continueront de s’acquitter des besognes ingrates et mal rémunérées que les travailleurs français et allemands refusent. A cette différence que, cette fois, ils le feront au noir, sans payer d’impôt- si bien que le tarif horaire risque de tomber plus bas encore qu’il n’est aujourd’hui [..] c’est l’Europe qui y a le plus à perdre. Au nom de slogans démagogiques, elle est sur le point de faire machine arrière sur l’une de ses plus grandes avancées : la libre circulation des personnes et des services]i » (3) .
Comme nous le savons depuis lundi, c’est pourtant la Pologne, rendue déjà célèbre au moment de l’adoption de la Directive Bolkestein (4) par son fameux « plombier », qui a fait pencher la balance en se ralliant à la position défendue par l’Allemagne et la France, privant leurs opposants de leur minorité de blocage (5).
Quel était l’enjeu de ce débat ?
Pour mémoire, un travailleur est considéré comme détaché au sens de la Directive de 1996 s’il travaille dans un état membre de l’Union Européenne parce que son employeur, membre aussi de l’Union Européenne cela va de soi, l’envoie provisoirement exercer ses fonctions dans cet état membre. Tel est le cas d’un prestataire de services, une entreprise de maçonnerie ou de peinture par exemple, qui remporte un contrat ou un marché en France et qui décide d’envoyer ses employés sur place pour la durée nécessaire à l’exécution de la prestation (2 ans maximum).
Les travailleurs détachés doivent être distingués des travailleurs migrants qui recherchent et trouvent un emploi dans un autre état membre.
Sans entrer ici dans le détail, il faut retenir que le salarié détaché bénéficie des droit sociaux du pays hôte (notamment en matière de salaire, de durée du travail et des congés) mais que son régime de protection sociale continue à relever de son pays d’origine. En d’autres termes, le salarié détaché en France est payé au smic et doit se voir appliquer le Code du travail et la Convention collective dont relève son activité mais son employeur demeure soumis aux cotisations sociales qui s’appliquent à ses autres employés continuant à travailler dans leur pays d’origine.
Quelques chiffres sont nécessaires pour se rendre compte, au-delà des principes, des enjeux en cause.
Bien qu’il soit toujours hasardeux de se livrer à des comparaisons en la matière (le taux de charges variant selon le risque concerné et la prestation servie), il est admis que le taux de cotisations patronales et salariales est, à grands traits, de 15 % en Roumanie, de 17 % en Slovénie, de 21 % en Pologne alors qu’il est de 45 % en France.
Dans le même temps, un salarié roumain touche un SMIC de 180 €, un salarié polonais de 370 €, un salarié slovène de 780 € alors que le SMIC en France s’élève à 1 430 € (6).
Selon un rapport d’information du Sénat publié en Avril 2013, la France aurait accueilli en 2011, 144 411 travailleurs détachés officiellement déclarés soit 30 % de plus qu’en 2010. Le ministère du travail estime quant à lui le chiffre réel, c’est-à-dire prenant en compte la fraude, plus proche de 350 000 pour la même période.
Si au terme de ce rapport, 61 % des déclarations de détachement de travailleurs proviennent de pays ayant adhéré à l’Union Européenne avant 2004, il apparaît que la dynamique est clairement du côté des nouveaux états membres qui ont adhéré après cette date : Chypre, Croatie, Bulgarie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République Tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.
Les demandes en provenance de ces pays ont augmenté de 44 % en 5 ans.
Le croisement de ces différentes données chiffrées permet de comprendre aisément l’attrait que représente la pratique du détachement, non seulement pour les salariés les plus concernés (fort différentiel de SMIC) mais également pour leur employeur d’origine (charges sociales contenues), ainsi que pour les donneurs d’ordre qui peuvent bénéficier d’une main d’œuvre moins onéreuse.
Des dérives ont ainsi vu le jour, accentuées par de fortes disparités salariales au sein de l’Union Européenne et la crise économique qui sévit depuis 5 ans dans cette zone.
Ces dérives (par exemple création de filiales « fantômes » dans des pays à faible taux de cotisations sociales, détournement de la règle de l’application du salaire du pays d’accueil par le paiement d’un salaire réduit associé à des indemnités de détachement, non-respect de la durée du travail, problème de sécurité) ont été dénoncées tant par le patronat français confronté à une concurrence déloyale que par les syndicats qui s’émeuvent des conditions de travail dégradées parfois imposées à la population concernée (7).
Face à cette situation jugée préoccupante, des initiatives judiciaires se sont multipliées et, pour la première fois en France, un promoteur immobilier a été condamné à une amende en matière correctionnelle pour complicité de travail illégal par la Cour d’appel de Chambéry dans un arrêt du 7 novembre 2013.
La Cour a considéré, en substance, que le maître d’œuvre aurait dû s’interroger sur le prix très bas des prestations, rendu possible par le fait que le maître d’œuvre avait confié des travaux de maçonnerie à une société turque qui les avait elle-même sous-traités à une entreprise polonaise dont les ouvriers travaillaient en France dans des conditions d’hygiène et de sécurité non conformes.
C’est dans ce contexte qu’a été adopté le compromis du 9 novembre 2013 qui, soulignons-le une nouvelle fois, n’a pas pour objet de revenir sur le principe de libre circulation des travailleurs au sein de l’Union Européenne, encore moins d’unifier les législations sociales et du travail des états membres mais de renforcer les mesures permettant de veiller à son exécution en jugulant son dévoiement du fait de dérives contestables.
Conçue à l’origine comme un instrument de lutte contre le dumping social, cette Directive a, de l’avis général, était détournée, comme nous l’avons rappelé plus haut, dans le cadre de stratégies d’optimisation sociale.
Les syndicalistes européens, la Confédération Européenne des Syndicats (CES) en tête ainsi que le Parlement Européen, dans sa résolution de 2008 (8) et le Comité Economique et Social Européen dans un avis rendu en 2010 (9) avaient appelé de leurs vœux une révision au moins partielle de la Directive.
Les organisations syndicales patronales, quant à elles, étaient davantage en faveur d’une amélioration de l’exécution de la Directive existante.
C’est cette dernière orientation qui a prévalu et abouti, en tout début de semaine à l’adoption d’un projet de Directive qui devra à présent être soumis au Parlement Européen puis transcrit dans le droit interne des pays membres, ce qui reporte son application à au moins 2016.
Nous en publierons le texte dès qu’il sera disponible mais, dès à présent, deux articles doivent retenir notre attention :
Le gouvernement français, par la voix de son ministre du travail, Michel Sapin, a d’ores et déjà annoncé que la France prendra rapidement des mesures d’anticipations de la Directive à venir.
Le renforcement de l’arsenal juridique français contre le travail illégal et la fraude au détachement devrait prévoir, notamment, une liste noire des entreprises frauduleuses qui seraient écartées des appels d’offres et une double notification des détachements, non seulement par l’entreprise qui détache, mais aussi par le maître d’ouvrage.
Le dispositif serait également étendu au secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire.
D’aucuns soulignent, dès à présent, que l’application des mesures prises passera nécessairement par une réforme de l’Inspection du travail, qui devra concentrer ses forces et moyens contre le travail illégal grâce à la formation et la constitution de groupes d’équipes de fonctionnaires spécialisés.
Reste enfin un débat auquel ne mettra pas un terme l’adoption de cette Directive, pas plus que n’y mettront un terme les mesures nationales annoncées : celui de la perspective d’une harmonisation sociale au niveau européen, vieille antienne de la constitution européenne rendue néanmoins de plus en plus difficile à concevoir au fur et à mesure de l’élargissement de l’Union Européenne.
******************************************************************************************************************************************************************
(1) Le Figaro.fr emploi 9 décembre 2013.
(2) Paul Lootens, Secrétaire Général de la Centrale Générale FGTB (Belgique) cité dans le Nouvel Observateur, Top News 9 décembre 2013.
(3) Dziennik Gazeta Prawena, 9 décembre 2013, article de Lukasz Guza
(4) Directive du 12 décembre 2006 n°2006/123/CE qui modifie la législation sur le marché des services au sein de la Communauté Européenne en simplifiant pour un prestataire de services d’un état membre les conditions dans lesquelles il peut opérer dans un autre état membre
(5) Il se dit que la Présidence française avait préparé de longue date ce retournement polonais en négociant des contreparties.
(6) Chiffres au 1er juillet 2013. Pour information, le SMIC le plus haut est au Luxembourg (1 874 €) et le plus bas en Bulgarie (160 €).
(7) Sans ignorer bien entendu la concurrence faite aux salariés établis en France en période de chômage.
(8) Résolution du 22 octobre 2008 sur les effets pour les Conventions Collectives dans l’Union Européenne 2008/2085 (INI).25 et 30.
(9) Avis sur la "dimension sociale du marché intérieur" 2011/C 44/15
L’objectif des partisans du compromis obtenu n’était pas une remise en cause de la Directive : officiellement aucune capitale n’a envisagé, ni de revenir sur la libre circulation des travailleurs, inscrite de tout temps dans le marbre des textes, ni même de remettre en cause les règles de 1996.
« Cette Directive était un progrès » a affirmé Michel Sapin à l’issue du huis clos [des ministres] « L’abroger aujourd’hui serait un pas en arrière, un retour à la loi de la jungle (1) ».
Point de vue nuancé :
- Par des responsables syndicaux considérant au contraire que « cette Directive est insuffisante et inacceptable…il faut absolument harmoniser les règles sociales européennes pour le bien être de la population, ou bien ça deviendra un cimetière social (2) » .
- Alors que dans le même temps, le Royaume Uni, la Hongrie, la Slovaquie, l’Estonie, la République Tchèque et Malte tentaient de défendre le statu quo en s’opposant à tout renforcement des règles de contrôle de l’application de la Directive qui porterait nécessairement atteinte, selon eux, aux principes essentiels de la libre circulation des personnes et des services.
Illustration presque caricaturale de cette position, un article paru le jour même de l’adoption du compromis dans une publication économique polonaise dans lequel on peut lire : « i[Pendant les négociations sur la nouvelle Directive, la Belgique a directement accusé la Pologne de Dumping social, semblant oublier que les travailleurs flamands et wallons qui étaient prêts à faire le travail confié aux travailleurs polonais, ne se bousculaient pas au portillon et qu’ils ne changeront pas d’avis une fois la porte claquée au nez des travailleurs détachés polonais.
Les travailleurs venus de Pologne et d’autres pays d’Europe de l’Est continueront de s’acquitter des besognes ingrates et mal rémunérées que les travailleurs français et allemands refusent. A cette différence que, cette fois, ils le feront au noir, sans payer d’impôt- si bien que le tarif horaire risque de tomber plus bas encore qu’il n’est aujourd’hui [..] c’est l’Europe qui y a le plus à perdre. Au nom de slogans démagogiques, elle est sur le point de faire machine arrière sur l’une de ses plus grandes avancées : la libre circulation des personnes et des services]i » (3) .
Comme nous le savons depuis lundi, c’est pourtant la Pologne, rendue déjà célèbre au moment de l’adoption de la Directive Bolkestein (4) par son fameux « plombier », qui a fait pencher la balance en se ralliant à la position défendue par l’Allemagne et la France, privant leurs opposants de leur minorité de blocage (5).
Quel était l’enjeu de ce débat ?
Pour mémoire, un travailleur est considéré comme détaché au sens de la Directive de 1996 s’il travaille dans un état membre de l’Union Européenne parce que son employeur, membre aussi de l’Union Européenne cela va de soi, l’envoie provisoirement exercer ses fonctions dans cet état membre. Tel est le cas d’un prestataire de services, une entreprise de maçonnerie ou de peinture par exemple, qui remporte un contrat ou un marché en France et qui décide d’envoyer ses employés sur place pour la durée nécessaire à l’exécution de la prestation (2 ans maximum).
Les travailleurs détachés doivent être distingués des travailleurs migrants qui recherchent et trouvent un emploi dans un autre état membre.
Sans entrer ici dans le détail, il faut retenir que le salarié détaché bénéficie des droit sociaux du pays hôte (notamment en matière de salaire, de durée du travail et des congés) mais que son régime de protection sociale continue à relever de son pays d’origine. En d’autres termes, le salarié détaché en France est payé au smic et doit se voir appliquer le Code du travail et la Convention collective dont relève son activité mais son employeur demeure soumis aux cotisations sociales qui s’appliquent à ses autres employés continuant à travailler dans leur pays d’origine.
Quelques chiffres sont nécessaires pour se rendre compte, au-delà des principes, des enjeux en cause.
Bien qu’il soit toujours hasardeux de se livrer à des comparaisons en la matière (le taux de charges variant selon le risque concerné et la prestation servie), il est admis que le taux de cotisations patronales et salariales est, à grands traits, de 15 % en Roumanie, de 17 % en Slovénie, de 21 % en Pologne alors qu’il est de 45 % en France.
Dans le même temps, un salarié roumain touche un SMIC de 180 €, un salarié polonais de 370 €, un salarié slovène de 780 € alors que le SMIC en France s’élève à 1 430 € (6).
Selon un rapport d’information du Sénat publié en Avril 2013, la France aurait accueilli en 2011, 144 411 travailleurs détachés officiellement déclarés soit 30 % de plus qu’en 2010. Le ministère du travail estime quant à lui le chiffre réel, c’est-à-dire prenant en compte la fraude, plus proche de 350 000 pour la même période.
Si au terme de ce rapport, 61 % des déclarations de détachement de travailleurs proviennent de pays ayant adhéré à l’Union Européenne avant 2004, il apparaît que la dynamique est clairement du côté des nouveaux états membres qui ont adhéré après cette date : Chypre, Croatie, Bulgarie, Estonie, Hongrie, Lettonie, Lituanie, Malte, Pologne, République Tchèque, Roumanie, Slovaquie et Slovénie.
Les demandes en provenance de ces pays ont augmenté de 44 % en 5 ans.
Le croisement de ces différentes données chiffrées permet de comprendre aisément l’attrait que représente la pratique du détachement, non seulement pour les salariés les plus concernés (fort différentiel de SMIC) mais également pour leur employeur d’origine (charges sociales contenues), ainsi que pour les donneurs d’ordre qui peuvent bénéficier d’une main d’œuvre moins onéreuse.
Des dérives ont ainsi vu le jour, accentuées par de fortes disparités salariales au sein de l’Union Européenne et la crise économique qui sévit depuis 5 ans dans cette zone.
Ces dérives (par exemple création de filiales « fantômes » dans des pays à faible taux de cotisations sociales, détournement de la règle de l’application du salaire du pays d’accueil par le paiement d’un salaire réduit associé à des indemnités de détachement, non-respect de la durée du travail, problème de sécurité) ont été dénoncées tant par le patronat français confronté à une concurrence déloyale que par les syndicats qui s’émeuvent des conditions de travail dégradées parfois imposées à la population concernée (7).
Face à cette situation jugée préoccupante, des initiatives judiciaires se sont multipliées et, pour la première fois en France, un promoteur immobilier a été condamné à une amende en matière correctionnelle pour complicité de travail illégal par la Cour d’appel de Chambéry dans un arrêt du 7 novembre 2013.
La Cour a considéré, en substance, que le maître d’œuvre aurait dû s’interroger sur le prix très bas des prestations, rendu possible par le fait que le maître d’œuvre avait confié des travaux de maçonnerie à une société turque qui les avait elle-même sous-traités à une entreprise polonaise dont les ouvriers travaillaient en France dans des conditions d’hygiène et de sécurité non conformes.
C’est dans ce contexte qu’a été adopté le compromis du 9 novembre 2013 qui, soulignons-le une nouvelle fois, n’a pas pour objet de revenir sur le principe de libre circulation des travailleurs au sein de l’Union Européenne, encore moins d’unifier les législations sociales et du travail des états membres mais de renforcer les mesures permettant de veiller à son exécution en jugulant son dévoiement du fait de dérives contestables.
Conçue à l’origine comme un instrument de lutte contre le dumping social, cette Directive a, de l’avis général, était détournée, comme nous l’avons rappelé plus haut, dans le cadre de stratégies d’optimisation sociale.
Les syndicalistes européens, la Confédération Européenne des Syndicats (CES) en tête ainsi que le Parlement Européen, dans sa résolution de 2008 (8) et le Comité Economique et Social Européen dans un avis rendu en 2010 (9) avaient appelé de leurs vœux une révision au moins partielle de la Directive.
Les organisations syndicales patronales, quant à elles, étaient davantage en faveur d’une amélioration de l’exécution de la Directive existante.
C’est cette dernière orientation qui a prévalu et abouti, en tout début de semaine à l’adoption d’un projet de Directive qui devra à présent être soumis au Parlement Européen puis transcrit dans le droit interne des pays membres, ce qui reporte son application à au moins 2016.
Nous en publierons le texte dès qu’il sera disponible mais, dès à présent, deux articles doivent retenir notre attention :
- Dans son article 9, le projet voté à la majorité qualifiée par le Conseil des ministres du travail prévoit que les Etats membres pourront décider librement du nombre et de la nature des documents exigibles des entreprises en cas de contrôle pourvu qu’ils en informent la Commission Européenne ; cette dernière vérifiera si elles sont justifiées et proportionnées.
- Dans son article 12, le projet institue une responsabilité solidaire des donneurs d’ordre et de leurs sous-traitants en cas d’abus et de fraude dans le seul secteur de la construction.
A l’origine, la France et ses partenaires (notamment l’Allemagne et la Belgique) exigeaient que cette disposition soit obligatoire. Devant la levée de boucliers des opposants à tout durcissement du contrôle (Royaume-Uni en tête), la France a réduit ses prétentions au seul secteur du BTP et accepté que les pays membres aient le choix d’instituer cette responsabilité solidaire ou de prendre « d’autres mesures appropriées » permettant d’infliger des sanctions « effectives et proportionnées », aux donneurs d’ordre dont les sous-traitants ne remplieraient pas leurs obligations envers les salariés détachés.
L’on peut ainsi imaginer qu’en lieu et place de la responsabilité solidaire soit prévu, par exemple, le paiement d’amendes à la charge du donneur d’ordre.
Le gouvernement français, par la voix de son ministre du travail, Michel Sapin, a d’ores et déjà annoncé que la France prendra rapidement des mesures d’anticipations de la Directive à venir.
Le renforcement de l’arsenal juridique français contre le travail illégal et la fraude au détachement devrait prévoir, notamment, une liste noire des entreprises frauduleuses qui seraient écartées des appels d’offres et une double notification des détachements, non seulement par l’entreprise qui détache, mais aussi par le maître d’ouvrage.
Le dispositif serait également étendu au secteur de l’agriculture et de l’agroalimentaire.
D’aucuns soulignent, dès à présent, que l’application des mesures prises passera nécessairement par une réforme de l’Inspection du travail, qui devra concentrer ses forces et moyens contre le travail illégal grâce à la formation et la constitution de groupes d’équipes de fonctionnaires spécialisés.
Reste enfin un débat auquel ne mettra pas un terme l’adoption de cette Directive, pas plus que n’y mettront un terme les mesures nationales annoncées : celui de la perspective d’une harmonisation sociale au niveau européen, vieille antienne de la constitution européenne rendue néanmoins de plus en plus difficile à concevoir au fur et à mesure de l’élargissement de l’Union Européenne.
******************************************************************************************************************************************************************
(1) Le Figaro.fr emploi 9 décembre 2013.
(2) Paul Lootens, Secrétaire Général de la Centrale Générale FGTB (Belgique) cité dans le Nouvel Observateur, Top News 9 décembre 2013.
(3) Dziennik Gazeta Prawena, 9 décembre 2013, article de Lukasz Guza
(4) Directive du 12 décembre 2006 n°2006/123/CE qui modifie la législation sur le marché des services au sein de la Communauté Européenne en simplifiant pour un prestataire de services d’un état membre les conditions dans lesquelles il peut opérer dans un autre état membre
(5) Il se dit que la Présidence française avait préparé de longue date ce retournement polonais en négociant des contreparties.
(6) Chiffres au 1er juillet 2013. Pour information, le SMIC le plus haut est au Luxembourg (1 874 €) et le plus bas en Bulgarie (160 €).
(7) Sans ignorer bien entendu la concurrence faite aux salariés établis en France en période de chômage.
(8) Résolution du 22 octobre 2008 sur les effets pour les Conventions Collectives dans l’Union Européenne 2008/2085 (INI).25 et 30.
(9) Avis sur la "dimension sociale du marché intérieur" 2011/C 44/15