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L’échec fondamental des militants des droits de l’enfant (509)

Droits des enfants - jprosen, 12/01/2013

Le débat sur « le mariage pour tous » aura déjà eu pour conséquence de percer sans retenue la bulle dans laquelle nous étions installés depuis les années 80 : notre société reste autocentrée et n’en a que faire d’une réflexion sur les … Continuer la lecture

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Le débat sur « le mariage pour tous » aura déjà eu pour conséquence de percer sans retenue la bulle dans laquelle nous étions installés depuis les années 80 : notre société reste autocentrée et n’en a que faire d’une réflexion sur les droits de l’enfant. Le droit au mariage aujourd’hui ; le droit à l’enfant demain !

Certes, par un vieux réflexe compassionnel, nos concitoyens   s’indignent régulièrement au gré des drames et affaires qui défraient la chronique. Par exemple pour l’enlèvement d’un enfant; a fortiori pour un meurtre d’enfant et, bien sûr, plus encore s’il y a eu violence sexuelle. Ces indignations certes sincères sont sélectives et durent plus ou moins longtemps, vite chassées par une autre actualité. Quelques jours pour des dizaines d’enfants qui flambent dans les gourbis dans lesquels ils étaient contraints de vivre;  à peine quelques heures pour les enfants roms parqués dans des camps aux taudis construits de bric et de broc et régulièrement mis à bas par les bulldozers. On pourrait multiplier les illustrations de ces émotions et sincérités successives. La vérité veut de dire que, dans le même temps, des initiatives privées ou des démarches publiques admirables sont menées souvent avec une discrétion qui honore leurs auteurs. Mais soyons réalistes et objectifs : l’arbre ne peut pas cacher la forêt !

Notre société s’est remobilisée dans le début des années 80 sur l’enfance maltraitée à la suite du rapport du dr Pierre Strauss (1980) relayé à bon escient par l’affaire du petit David sorti opportunément de son placard en 1982, avant que l’on  prenne conscience publiquement des violences sexuelles à enfants (1985), puis des violences institutionnelles (1990) avec Stanislas Tomkiewicz et Pascal Vivet, et que s’engage enfin une réflexion sur les violences psychologiques.

Dans la dynamique développée par le projet de Convention internationale sur les droits de l’enfant une révolution semblait s’être produite : pour suivre la formule de Françoise Dolto, l’enfant devait être tenu pour une personne, mineure certes, mais une personne et non plus comme un être fragile qu’il fallait protéger contre autrui, et contre lui-même.

On parlait désormais des droits (de l’homme) de l’enfant. Certes, comme toute personne, l’enfant devait être protégé dans son intégrité physique et psychique contre les violences, positives ou négatives, contre les discriminations ou toutes formes de mal-traitance ; mais, comme personne, on devait le tenir pour un être doué d’une sensibilité, d’une capacité de comprendre et d’agir sur le cours de sa vie. Dès lors, il se voyait reconnaître les droits et les libertés fondamentales de la personne : liberté de conscience et de pensée, liberté d’expression individuelle et collective.

Certes les conséquences de cette approche révolutionnaire n’étaient pas unanimement et aisément acceptées. N’allait-on pas désinvestir les parents ? Les droits d’expression des élèves – décret de février 1991 – n’allaient-ils pas priver les enseignants de leur autorité ? Nous avions réussi à faire passer cette idée que la prise en compte des droits de l’enfant pouvait aller de pair avec une meilleure prise en compte des droits des adultes. Ainsi affirmer le droit de l’enfant à deux parents également responsables rassurait les parents non mariés ou séparés après avoir ou non été mariés : ils étaient bien des parents à part entière. De la même manière, entendre l’enfant en justice pouvait être de nature à éviter qu’il soit objet d’un conflit exacerbé entre adultes désireux de parler en son nom.

La Convention de Nations unies sur les droits de l’enfant (CIDE) du 20 novembre 1989 était ratifiée en 1990 avec une seule réserve et deux déclarations interprétatives sous l’impulsion du président Mitterrand.

Après avoir exprimé avec vigueur en 1993 sa résistance fondamentale à ce texte qui selon elle ne créerait d’obligations que pour les Etats, mais pas de droits directement invocables par les citoyens devant les juridictions, rabaissant dès lors sensiblement la portée de ce traité, la Cour de cassation devait en 2005 se résoudre à une interprétation juridique plus classique de la force des dispositions des traités : la CIDE pouvait être d’application directe comme le disait même avec prudence depuis la première heure le Conseil d’Etat. Ce même Conseil d’Etat en était venu à affirmer que l’article 3 de la CIDE qui veut qu’en toute matière l’intérêt supérieur de l’enfant devait l’emporter et était d’application directe ! (conf. Colloque de l'association Louis Chatin du 20 novembre 2009 in JDJ 296 de juin 2010).

Certains ont pu croire, pour s’en inquiéter, que l’heure de l’enfant-roi avait sonné ; d’autres plus pragmatiques se réjouissaient de ces avancée, mais dénonçaient fossé toujours important entre les droits formels affichés et droits réels.

On voit aujourd’hui que même ceux-là se trompaient, se berçaient de mots et ont été embarqués par un effet de mode et de langage malgré quelques avancées notables (audition de l’enfant en justice, enfants handicapés, droit de l’enfant sur son dossier médical, co-responsabilité parentale, etc.)

En vérité, depuis une bonne demi-décennie, les droits des enfants étaient en panne dans ce pays (1).

Au premier degré nous dénoncions une ambiance sécuritaire qui, pour camoufler la faillite des politiques économiques et sociales, voulait qu’on focalise sur les mauvais sujets que sont les enfants, pour ne pas dire les enfants des banlieues, pour ne pas parler des enfants issus de l’immigration. Dans la dernière période historique le discours sur les droits de l’enfant ne passait plus ; il fallait d’abord leur parler de leurs devoirs quand nul n’ignore quels devoirs découlent des droits. L’abandon du débat engagé entre les pouvoirs publics et les associations le 20 novembre, journée nationale et internationale sur les droits de l’enfant, le refus du président Sarkozy de recevoir le Défenseur des enfants - avant de lui tordre le cou en 2011 - qui devait légalement lui remettre ce même 20 novembre son rapport annuel, le fait pour Jacques Chirac et Nicolas Sarkozy de ne pas répondre au Comité des experts de l’ONU sur les Observations faites à la France quant à son (non)-respect de la CIDE furent autant d’illustrations de cette démarche.

On voit aujourd’hui qu’il y avait plus grave : fondamentalement notre pays n’a pas adhéré à cette idée que l’enfant est une personne. Il s’apprête à démolir les références parentales des enfants ; pire encore, il se prépare à donner le feu vert à la fabrication artificielle d’enfants par des couples qui en passeraient commande à travers ces médecins qualifiés de "sorciers de la vie" dénoncés dans les années 80. On en est revenu purement et simplement à cette idée que l’enfant est un bien que les adultes peuvent commander soit naturellement ou scientifiquement. Le droit à l’enfant l’emportera sur le droit de l’enfant. D’ailleurs ne dit-on pas « Combien as tu d’enfants ? » et non pas « Combien de fois es-tu parent ? ». Etre et avoir !

Dans les année 85-90 en animant le Regroupement des associations qui militaient pour la promotion des droits de l’enfant j’avançais que l’on vérifierait si nous basculions réellement dans un autre regard sur l’enfant à l’aune des réponses apportées à  quelques débats symboliques où il ne serait pas possible de trouver un compromis, mais qui obligeraient à un choix entre le droit des adultes et celui de l’enfant.

Je prenais souvent comme exemple l’accès aux origines et l’accouchement sous « X » où, au nom du droit des femmes, on prive des enfants de l’accès à la connaissance de leur filiation, voire à la reconnaissance tout bonnement de leur filiation. Or la filiation d’un enfant lui appartient autant qu’à ses géniteurs.

L’accouchement sous « X » existe encore et l’enfant peut être privé d'accéder à  son histoire. Je ne néglige pas l’avancée relative que représente la loi de 2001 pour l’enfant devenu majeur s’il saisit le Conseil national pour l’accès aux origines. Mais je rappelle que si la mère s’y refuse son droit au secret l’emportera sur celui de son enfant.

Reste encore que si une femme ne reconnait pas son enfant et si le père informé ne fait aucune démarche, cet enfant sera de facto « orphelin » de père et de mère sans que le procureur de la République, représentant de l’Etat et censé venir défendre les plus faibles, intervienne. L’enfant deviendra pupille de l’Etat et adoptable si ses deux filiations sont absentes. Et on prend pour acquis qu’il n’a pas de père si celui-ci manque à l’appel. Hypocritement on a donc adopté à travers trois lois successives (1987, 1993, 2002) la -co-responsabilité parentale … sans rendre obligatoire la reconnaissance de leur enfant par ses parents. Un million d’enfants au bas mot sont concernés.

Aujourd’hui l’ouverture de l’adoption aux couples homosexuels, voire le recours aux PMA renvoyé à la loi Famille de mars 2013 (Le Monde du 11 janvier 2013), s’inscrivent dans le droit fil de notre histoire : le droit des adultes d’avoir des enfants quand ils le veulent, comme ils le veulent, de qui ils le veulent ! Peu importe les conditions de conception de cet enfant ; il suffit qu’il soit aimé par ceux qui l’accueillent. Si les choses psychologiques étaient si simples, cela se saurait. Au nom du droit des adultes à l’égalité on gomme que l’enfant n’est pas un objet comme les autres. Peu parmi ceux qui nous gouvernent en sont choqués. L’opinion reste cependant majoritairement hostile : 63% des français seraient hostiles à la PMA (sondage in Le Figaro de jeudi dernier).

La création d’un lien de droit entre  homosexuels qui veulent partager leur vie – par le mariage ou une union civile proche du mariage – n’est pas en cause. De longue date – trois décennies au moins - le mariage n’est pas le lieu fondateur de la famille. 52% des premiers enfants naissent hors le mariage ensemble de leurs parents. Désormais c’est le contenu – la filiation et les responsabilités parentales – qui font famille.

On ne doit pas toucher à la filiation car qu’on le veuille ou pas on glisse des droits de l’adulte à être parent à la négation de l’enfant personne. (2)

En effet, l’adoption ouverte aux couples homosexuels revient à nier une partie de la réalité de la conception de l’enfant. Tout enfant a du masculin et du féminin dans son histoire biologique. On ne peut pas le nier. Cette filiation biologique est première  et fondatrice. Bien évidemment elle n‘est pas unique. Il y a aussi l’affectif, le social, le juridique. On peut reconnaitre un lien affectif sans nier le biologique (3) ; on pouvait consacrer les responsabilités parentales sans créer un lien de filiation par le statut du tiers. Le gouvernement s’y est refusé.

En vérité, le discours sur le droit de l’enfant n’a donc été qu’un effet de mode. Force est de le constater avec humilité. Pour répondre aux attentes de reconnaissance et de statut d’une partie de la population on remet en cause le statut de l’enfant sujets de droit en cours de construction. Certains osent même affirmer – je les ai dénoncés ici – qu’on s’apprête à légiférer au nom des enfants. Quelle imposture ! Et sans vergogne comme pour ces couples homosexuels partis à l’étranger concevoir un enfant avec une PMA en violation affichée de la loi française qui demandent ensuite au pays de régulariser afin de ne pas sanctionner les enfants que l’on a soi-même mis dans ces situations.

Mais il y a peut-être plus grave encore qu’un retour aux années avant 80 ; tout simplement nous régressons. L’enfant n’était alors pas considéré comme un sujet de droits, mais en contrepartie il était généralement - hélas pas toujours et parfois avec excès admettons-le - protégé par la cellule familiale. Désormais cette cellule familiale  n’est pas la structure naturelle d’accueil des enfants, mais un mode d’organisation dont la forme, le contenu et la durée sont décidées par les adultes au regard de leurs propres attentes. Aux enfants de s’adapter ! Comment Caroline Fourest peut-elle affirmer (Nouvel Observateur du 10 janvier 2013) que « les familles homoparentales semblent inventer un modèle intéressant articulé autour de l’enfant et non autour du coupe » ?  C’est tout l’inverse.

Nous entrons dans une période où l’enfant devient, avec l’appui des sciences de la vie, un objet revendiqué de désir entre adultes, solitaires ou en groupe, du même sexe ou pas, qui s’organisent pour répondre à leurs attentes d’adultes. Où est la cellule familiale, plus ou moins ébranlée, certes généralement présente au temps jadis qui avait le souci d’accueillir un enfant et de le protéger, de l’encadrer et de l’accompagner pour lui-même ?

Il s’agit non pas d’une régression, mais plutôt d’une révolution sociétale dont les enfants feront les frais. L’inverse de celle à laquelle nous appelions comme militants des droits de l’enfant.

Nous avons échoué. Le pays s’en mordra les doigts.

On le voit le débat dépasse, et de loin, la question du « mariage pour tous ». Il mériterait qu'on le traite posément dans l'intérêt général, et pas des seuls bobos.

(1) sur les droits de l'enfant voir notamment le papier 499
(2) Sur le sujet même - mariage et adoption - voir mes différents papiers sur ce blog - les derniers 507, 505, 502 - où je m'évertue de longue date à vouloir distinguer les deux questions en avançant qu'une loi sur le statut du tiers aurait permis reconnaître l'homoparentalité sans déconstruire la question de la filiation.
(3) Comment permettre à l'enfant d'accéder à sa filiation biologique, respecter sa filiation affective et disposer d'une filiation juridique stable quand elles sont dissociées grâce à la chaine du froid?


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