Alain Orsoni, avocat, procureur, historien et accessoirement accusé
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 12/05/2015
Alain Orsoni est assis dans le prétoire au milieu d'une brochette d'accusés libres qui, tous, ont l'âge d'être ses fils. Le sien, Guy Orsoni, a pris place dans le box aux côtés des trois autres accusés détenus qui comparaissent depuis lundi 11 mai devant la cour d'assises des Bouches-du-Rhône à Aix-en-Provence pour meurtre et tentative de meurtre en bande organisée. Attentif, l'ancien dirigeant nationaliste griffonne quelques notes sur une enveloppe en écoutant le contrôleur général et actuel directeur interrégional de la police judiciaire (DRPJ) de Marseille, Eric Arella, livrer à la cour et aux jurés une sorte d'exposé magistral sur dix ans d'histoire politico-criminelle en Corse.
Au fil de son propos s'enchaînent et s'expliquent, dans une logique policière apparemment implacable, les multiples règlements de comptes entre clans qui fondent l'accusation dans ce dossier. De temps à autre, Alain Orsoni secoue la tête, soupire, lève les yeux au plafond. Quand Eric Arella termine son exposé, le sombre décor est posé : les dix jeunes hommes à l'allure sage et aux gueules d'ange qui sont renvoyés devant la cour d'assises seraient tous, à des degrés de responsabilité divers, les bras armés de l'affrontement sanglant qui oppose depuis 2008 — date du retour en Corse d'Alain Orsoni après douze ans d'exil au Nicaragua et en Espagne — les membres de son "clan" à ceux du Petit Bar, dont les frères Castola, sur fond de différents financiers, de haines familiales et d'enjeux de pouvoir sur la région ajaccienne. Au projet d'assassinat d'Alain Orsoni déjoué par la police en août 2008 et dans lequel sont impliqués des membres du Petit Bar, auraient ainsi répondu, selon l'accusation, l'assassinat de Thierry Castola, le 3 janvier 2009, celui d'un de ses proches, Sabri Brahimi, le 29 janvier, et enfin la tentative d'assassinat dont a été victime Francis Castola le 22 juin de la même année.
"LE CLAN ORSONI N'EXISTE PAS"
Alain Orsoni se lève et vient se planter face à la cour : "J'ai noté un nombre incalculable de contre-vérités dans l'exposé de Monsieur le contrôleur général. Il me semble nécessaire de donner aux jurés un autre éclairage". Et le voilà tout à la fois procureur de l'enquête policière, historien du nationalisme corse, biographe de sa vie et de ses engagements politiques et redoutable avocat de son fils, arrêté en 2011 après deux ans de cavale.
A l'adresse du responsable policier campé derrière lui, il lance: "Vous vous adressez à des jurés qui ont l'énorme responsabilité de décider de l'avenir de ces jeunes gens. Je ne parle pas du mien, il est derrière moi. Vous faites des hypothèses en partant d'un postulat : le clan Orsoni. Je dis, moi, que le clan Orsoni n'existe pas." Il poursuit : "J'ai été un combattant, un militant nationaliste très engagé, j'assume mon combat, mon passé et mes erreurs. Mais est-ce que, à cause de ce combat, il est normal que l'on me traite de bandit ?" lance le fondateur du Mouvement pour l'autodétermination (MPA). En écho au policier qui avait insisté sur les deux surnoms donnés à son parti par ses adversaires — le MPA avait été rebaptisé "Mouvement pour Alain" ou "Mouvement pour les affaires" — Alain Orsoni observe : "C'est donc un crime de vouloir faire des affaires ? de vouloir travailler au pays ? On parle de dérives. Mais au PS, au RPR et à l'UMP aussi il me semble qu'il y a des dérives. Est-ce qu'on met tout le monde dans le même sac pour autant ?" Il enchaîne : "J'ai toujours travaillé. Si je suis ce chef soi-disant mafieux, qu'on m'apporte des preuves ! Où sont mes commerces ? Où sont mes intérêts dans le bâtiment ? Aucun ! Mon seul revenu, c'est le salaire que j'ai touché comme dirigeant de l'ACA [le club de foot d'Ajaccio dont il est devenu le dirigeant en 2008 à la suite du décès de son président et ami, Michel Moretti].
Alain Orsoni en vient ensuite à ce qui constitue le cœur du procès, sa rivalité supposée avec les Castola, dont aurait hérité son fils Guy, accusé d'être le chef du commando qui a perpétré l'assassinat de Thierry Castola et la tentative d'assassinat contre son frère Francis. Il s'explique d'abord sur les raisons pour lesquelles il avait refusé de "porter le cercueil" de son "ami intime" Francis Castola père, assassiné en 2005, qui fut son frère d'armes dans le mouvement nationaliste, le parrain de sa fille et son associé au Nicaragua. "Quand je suis venu à l'enterrement, on m'annonce que ceux qui allaient porter le cercueil, c'était presque l'ensemble du Petit Bar et moi. Mais pour moi, le Petit bar, c'est une bande de crapules patentées qui font du racket, du trafic de came et qui terrorisent les petits commerçants. Je n'ai pas eu envie d'être associé à ça. Je fais partie des citoyens corses qui condamnent sans ambiguïté le grand banditisme", dit-il.
"CELUI-LÀ N'A PAS BESOIN D'AVOCAT"
Mais il y a cette lettre encombrante d'Alain Orsoni retrouvée pendant l'enquête au domicile de l'un des deux frères Castola — "Le gibier n'a pas coutume de payer les cartouches du chasseur qui veut le tuer. J'exterminerai ta race, n'approchez plus de mon fils" — et qui lui vaut d'être renvoyé pour "menaces de mort". "J'étais dans la colère", explique l'accusé en évoquant pour sa défense une autre lettre, adressée à la mère de Thierry Castola, après la mort de celui-ci. "Comment peux-tu penser que je vous ai fait ça ?", écrivait-il, en rappelant l'amitié qui le liait à son père. "C'est une lettre de condoléances. Je voulais tuer la rumeur. Parce que la rumeur, en Corse, engendre la folie", indique-t-il à la barre. Il ajoute, soudain glacial : "Chez les frères Castola, il y a le loup [Francis] et l'agneau [Thierry]. Si on veut décimer un clan, on ne s'attaque pas à l'agneau, on s'attaque au loup".
Il poursuit en se retournant, souverain, vers le contrôleur général Eric Arella : "La Corse n'est pas cartésienne. Elle a de fortes influences moyen-orientales. Pour vous, il y a un mort, et puis il y a une riposte. Je vais vous expliquer le syndrome du sac poubelle. Vous en mettez un dans la rue alors que c'est interdit. Trois jours plus tard, il y en a dix qui viennent de tous les côtés. Eh bien, je vais vous dire, les règlements de comptes, c'est pareil. Vous ne savez pas d'où ils viennent."
Alain Orsoni plonge ses yeux dans ceux des jurés : "Je sais de la manière la plus absolue que mon fils est innocent. On ne peut pas se contenter d'approximations. Je compte sur vous." Au fond de la salle les policiers qui assurent la sécurité de l'audience apprécient la prestation en connaisseurs. "Celui-là, il n' a pas besoin d'avocat", murmure l'un d'eux.