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On ne moralise pas, on est moral !

Justice au singulier - philippe.bilger, 9/04/2013

Pour que cette démarche salubre parvienne partout à ses fins, qu'on ne vienne pas non plus cracher en permanence sur les quelques médias qui permettront de l'éclairer, de la faciliter. La morale tout court doit devenir une idée neuve en France.

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Il y a toujours quelque chose de drôle à la suite des désastres politiques ou de société, d'ironique et, en même temps, de pathétique.

Jérôme Cahuzac a été exclu du PS et il est dorénavant livré à sa solitude et à sa conscience. J'espère qu'il saura résister à la tentation de placer son courage et de faire preuve d'audace dans un domaine totalement inapproprié : celui de l'Assemblée nationale.

Un grand vent de pureté et de transparence s'est levé et j'ose à peine dire que, si je l'approuve globalement, il frôle le ridicule à certains moments devant quelques comportements à l'éthique médiatiquement ostensible (Le Monde, Libération, Le Parisien, Le Figaro). François Fillon contraint Jean-François Copé à montrer patte blanche : sera-ce difficile ?

On va partir à la chasse des évadés fiscaux et je ne doute pas que durant les prochains mois, nous aurons à foison notre ration de secrets dévoilés et de scandales grands ou petits dénoncés. On tombera des nues parce qu'on s'apercevra que la profusion d'argent ne rassasie pas mais au contraire excite l'appétit.

On s'est léché les babines de contentement parce qu'on s'apprêtait, à la suite de Libération, à pourfendre Laurent Fabius mais, déception, celui-ci demeure dans le camp des ministres honorables.

François Hollande et Jean-Marc Ayrault ont décidé de mettre en oeuvre un grand plan de moralisation publique avec la gravité douloureuse qui sied après chaque catastrophe ayant failli emporter, plus qu'un ministre talentueux, le Pouvoir tout entier. On peut compter sur le président et sur son Premier ministre pour faire voter au plus vite ces mesures de peur que, la réflexion venant, on hésite à sauver la mise à une République pas assez soupçonneuse et vigilante. L'unanimisme qui est attendu de l'Assemblée nationale recouvrira d'un voile à la fois noble et vain des émois troubles et des dysfonctionnements étranges. Il faut toujours se méfier des votes consensuels : ils signifient que les députés s'accordent parce que persuadés que l'union ne fera pas la force et que la pureté célébrée et promise n'accouchera même pas d'une souris : seulement d'elle-même.

Quand la France se retrouvera confrontée à de telles dérives, quand demain un ministre, un Conseiller, un Haut fonctionnaire, une personnalité réputée intègre seront pris la main, le coeur, l'esprit dans le sac, il y aura la même effervescence dénonciatrice, les mêmes engagements. Un nouveau projet de loi.

Et ce cycle se répétera, gauche, droite, droite, gauche.

A cause de cette inéluctabilité, tout ce qui se déroule sous nos yeux citoyens depuis quelques jours prend un tour pathétique. Une grosse caisse qui fait du bruit pour rien. Un tintamarre superficiel pour pas grand chose. Du mouvement et de l'agitation mais aucune avancée véritable.

On s'émeut d'un sondage effrayant pour l'image des politiques. Pour 70% des Français, ils seraient corrompus. Cette vision est absurde mais comment une autre appréciation aurait-elle pu advenir ? Non pas tant à cause des mensonges et des tromperies, aussi indécents et honteux qu'ils aient été, mais parce que les remèdes proposés, mécaniques, stéréotypés font sourire ou frémir : on pressent qu'ils ne serviront qu'à donner bonne conscience aux gouvernants et à désillusionner les citoyens aspirant, malgré tout et tous, à une démocratie exemplaire.

Quand on moralise, si on croit nécessaires les lois éthiques, de redressement personnel, de réforme intellectuelle et morale, quand on projette de rendre la classe politique pure, digne et honnête, lorsque le Pouvoir se mue en éducateur, on peut être sûr de l'échec. Les imparfaits prétendent dicter leur conduite aux imparfaits.

Moraliser, c'est prendre un mauvais chemin. Il faut être moral.

Le citoyen qui déplore, qui vitupère devra voter pour le candidat qui n'a pas que des condamnations purgées à offrir à ses électeurs et ne pas faire triompher, comme d'habitude, son adversaire.

Pour que cette démarche salubre parvienne partout à ses fins, qu'on ne vienne pas non plus cracher en permanence sur les quelques médias qui permettront de l'éclairer, de la faciliter.

La morale tout court doit devenir une idée neuve en France.


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