Qui peut jeter la pierre à Laurent Wauquiez ?
Justice au Singulier - philippe.bilger, 19/02/2018
J'ai toujours détesté les boucs émissaires. Ces êtres commodes sur lesquels on crache - même si à juste raison parfois - pour faire oublier ses propres turpitudes.
Laurent Wauquiez (LW) en est devenu un, idéal, et il convient d'admettre qu'il y a mis du sien. On s'en donne à coeur joie pour le comparer à Trump et à Le Pen, ce qui est absurde.
La semaine dernière il a donné une conférence d'absolue liberté devant les étudiants de l'école de management de l'EM Lyon Business School. Elle n'était évidemment possible que si la confidentialité était respectée. Au demeurant LW devait s'abstenir de tout sujet politique (Le Point).
Durant son propos qui a été qualifié par les étudiants et la direction de spontané et de passionnant, il a dérivé sur trois seuls minuscules extraits polémiques sortis de leur contexte et en effet peu gratifiants pour Nicolas Sarkozy, Gérald Darmanin et Emmanuel Macron au sujet de la chute de François Fillon (L'Obs, Le Figaro).
Leur diffusion sur TMC dans Quotidien a créé le scandale.
Qui peut jeter la pierre à LW ?
En tout cas pas l'étudiant gougnafier qui violant la morale et le règlement intérieur de son école a enregistré les échanges et les a livrés, sans doute contre paiement, au média concerné.
Pas davantage ce dernier qui en toute conscience de l'indécence de la manoeuvre a fait son beurre avec ces révélations résultant d'un montage vicié. Et qui continue à compte-gouttes sadique à jouir de sa transgression en rapportant que, selon LW, on serait en "dictature totale en France", ainsi que des critiques sur Juppé et Valérie Pécresse.
Le feuilleton médiatique va durer longtemps ainsi. On veut faire boire le Wauquiez jusqu'à la lie, jusqu'à l'hallali !
Celui-ci auquel on reproche d'être cynique était pourtant bien naïf de considérer qu'avec l'hostilité qu'il inspire, l'éthique et la confidence seraient respectées. Il a encore des illusions apparemment sur la nature humaine et sur la rectitude médiatique.
Ce qui a permis de "laver plus blanc" et de le tourner en dérision a été son affirmation que pour une fois il allait parler "vrai" alors que dans son rôle officiel il ne proférait délibérément que "des merdes".
Je considère en effet, comme l'ont souligné Alexis Corbière et François de Rugy, que sa lourde faute est l'affichage ostensible d'un double discours au détriment d'une pensée qui s'exprimerait partout et toujours avec sincérité et liberté. L'idée qu'il y aurait une parole "politicienne" se condamnant presque au mensonge et une autre authentique réservée à des initiés qui auraient le droit d'échapper à la langue conventionnelle.
Alors que pour ma part je suis persuadé que cette approche est catastrophique qui dégrade la parole, la divise en noir et blanc et fait du politique un domaine à part qui n'aurait pas à cultiver les belles vertus ordinaires.
Qui peut jeter la pierre à LW ?
En tout cas pas l'immensité des mondes politique et médiatique, toutes tendances confondues, qui, certes sur un mode moins abrupt que le sien et moins fièrement ambigu, fonctionnent en général, sur des registres divers, exactement comme lui-même en a donné l'exemple ? Même avec mon expérience modeste où j'ai toujours proféré ce que je pensais - à mon détriment parfois - sans jamais distinguer les prudences du on et les sincérités du off, je peux garantir que la norme était d'user un double langage, les essayistes, les politiques et les journalistes se lâchant seulement quand l'émission était terminée. La vérité n'offrait jamais ses exigences à plein temps.
Je ne suis pas davantage rassuré par l'émotion répandue et les serments les yeux dans les yeux. Le mensonge en général s'accommode assez bien de ces artifices. La vérité est plus nue.
Je n'irai pas féliciter LW pour avoir si cyniquement révélé qu'il y avait les coulisses d'un côté et la scène de l'autre. Il a absurdement permis à ceux qui pratiquaient comme lui mais sans le dire de se pousser du col et de se parer d'une intégrité dont tout contredit la plénitude. L'opprobre sur lui laisse croire que les autres seraient purs. Le temps d'une honteuse diffusion, il prend tout sur son dos. Une accalmie pour la classe politique !
Qui peut jeter la pierre à LW ?
Il ne reste plus grand monde.
J'écarte l'hypothèse qui me semble farfelue d'un "dérapage" organisé par LW lui-même pour complaire au noyau dur de son camp et pour créer une unité forcée.
Je suis étonné par le fait suivant. LW s'est certes excusé auprès de Nicolas Sarkozy - sans que nous connaissions le détail de sa contrition - mais je relève cependant que personne ne s'est interrogé sur ce qui aurait dû être l'essentiel avant le lynchage de LW : ses révélations, supputations et dénonciations sont-elles exactes ou non ? Plausibles ou non ?
J'ose espérer que le souci de la vérité sera toujours plus important que la crainte du scandale né de son surgissement.
Qui peut jeter la pierre à LW ?
En définitive personne d'autre que lui.