Nullité de licenciement, la loi, la jurisprudence et la Cour d'appel de Paris
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Nadège Sado, 7/12/2011
Dans un arrêt récent (CA 15 septembre 2011 n°10/06651) , la cour d’appel de Paris a étendu l’application des nullités des licenciements au-delà des solutions légales et jurisprudentielles actuelles concernant un salarié qui, à la suite d’une action tendant à la requalification de contrats à durée déterminée successifs en contrat à durée indéterminée, s’est vu opposer comme réponse de la part de l’employeur la fin de la relation contractuelle.
L’affaire au départ pose la problématique d’une situation bien connue des juges du fond : un syndicat saisit le Conseil de Prud’hommes et sollicite, au bénéfice d’un salarié travaillant pour une chaîne de télévision connue la requalification des contrats à durée déterminée successifs qui se sont enchaînés depuis 1999 avec son employeur, en un contrat à durée indéterminée. Devant le juge départiteur, le syndicat sollicite également que soit ordonné la poursuite du contrat requalifié et, à titre subsidiaire, qu’il soit jugé que sa rupture constitue un licenciement nul et de nul effet. Obtenant la requalification en première instance, le syndicat interjette appel des autres chefs de demande.
La cour d’appel fait droit aux demandes du syndicat : elle sanctionne la décision de licenciement de l’employeur par la nullité et ordonne la réintégration du salarié.
Cette décision est-elle justifiée ?
La cour d’appel fait droit aux demandes du syndicat : elle sanctionne la décision de licenciement de l’employeur par la nullité et ordonne la réintégration du salarié.
Cette décision est-elle justifiée ?
Y répondre suppose préalablement un bref retour sur la jurisprudence de la Cour de cassation relative à la problématique de la « requalification – réintégration ».
Il est intéressant de noter que dans une affaire aux faits similaires à ceux de la présente espèce (Cass.soc.13 mars 2001), la requérante salariée n’avait pas obtenu le prononcé de la nullité de son licenciement.
Salariée au sein de la société France Télécom, l’intéressée avait conclu avec la société employeur une série de contrats à durée déterminée. Obtenant la requalification de ses contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée devant la juridiction prud’homale, cette requalification est confirmée ensuite par la société employeur par lettre en date du 25 juin 1998 laquelle, le même jour, convoque la salariée par courrier à un entretien préalable. Son licenciement est prononcé le 6 juillet 1998, au motif de l'arrivée du terme de sa mission.
La salariée se pourvoit en cassation, et fait valoir que son licenciement traduit en realité le refus par son employeur d'exécuter le jugement prononçant la requalification de son contrat en contrat à durée indéterminée, puisqu'il est notifié immédiatement après ledit jugement. Considérant que son licenciement caractérise un trouble manifestement illicite et constitue en réalité une mesure prise par l’employeur à raison de l’action en justice engagée par la salariée, cette dernière sollicite alors que les dispositions de l’article L. 122-14-4 du Code du travail soient écartées et que la nullité de son licenciement soit prononcée .
Il est intéressant de noter que dans une affaire aux faits similaires à ceux de la présente espèce (Cass.soc.13 mars 2001), la requérante salariée n’avait pas obtenu le prononcé de la nullité de son licenciement.
Salariée au sein de la société France Télécom, l’intéressée avait conclu avec la société employeur une série de contrats à durée déterminée. Obtenant la requalification de ses contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée devant la juridiction prud’homale, cette requalification est confirmée ensuite par la société employeur par lettre en date du 25 juin 1998 laquelle, le même jour, convoque la salariée par courrier à un entretien préalable. Son licenciement est prononcé le 6 juillet 1998, au motif de l'arrivée du terme de sa mission.
La salariée se pourvoit en cassation, et fait valoir que son licenciement traduit en realité le refus par son employeur d'exécuter le jugement prononçant la requalification de son contrat en contrat à durée indéterminée, puisqu'il est notifié immédiatement après ledit jugement. Considérant que son licenciement caractérise un trouble manifestement illicite et constitue en réalité une mesure prise par l’employeur à raison de l’action en justice engagée par la salariée, cette dernière sollicite alors que les dispositions de l’article L. 122-14-4 du Code du travail soient écartées et que la nullité de son licenciement soit prononcée .
La Cour de cassation a rejeté le pourvoi de la requérante, en rappelant un principe clair :« … la rupture du contrat de travail à l’initiative de l’employeur est soumise à la procédure de licenciement prévue par les articles L. 122-14 et suivants du Code du travail, et n’ouvre droit pour le salarié, dès lors qu’aucun texte n’interdit ou ne restreint la faculté de l’employeur de le licencier, qu’à des réparations de nature indemnitaire ; de sorte que le juge ne peut, en l’absence de dispositions le prévoyant et à défaut de violation d’une liberté fondamentale, annuler un licenciement. Le licenciement décidé par l’employeur ne constituant pas un trouble manifestement illicite, le juge des référés ne pouvait en prononcer l’annulation, ni ordonner la poursuite des relations contractuelles ».
La Haute Juridiction rappelait ainsi, outre la reconnaissance d’un pouvoir unilatéral d’appréciation de l’opportunité de la rupture du lien contractuel (existant par ailleurs au bénéfice de chacune des parties), le principe clair selon lequel le licenciement intervenu après une procédure de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée fondée sur l’article L. 122-3-13 alinéa 2 (devenu L1245-1 et suivants du code du Travail),s'il est considéré injustifié, il n’est pas pour autant, en soi entaché de nullité, il est soumis au régime de la rupture des contrats à durée indéterminée.
Cela signifie que le salarié n’a pas droit à l’exécution forcée de son contrat de travail, pas plus qu’il n’a droit à la réintégration.
La question se pose alors de savoir, en quoi l’arrêt du 15 septembre 2011 a pu conduire à une position différente de la cour d’appel de Paris ?
Il est important de noter le raisonnement en deux temps de la juridiction du second degré :
- dans un premier temps, la Cour d’appel confirme la requalification des contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée prononcée par les juges du 1er degré. Ainsi, les juges du fond sont demeurés fidèles à la position constante de la Haute Juridiction : la requalification d’un contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée suivie d’un licenciement n’ouvre pas, à elle seule, le droit à la reconnaissance de la nullité du licenciement.
- puis, dans un second temps, elle va plus loin puisqu’elle considère que les arguments de fait et de droit rapportés par le salarié fondent bien la nullité du licenciement pour atteinte à la liberté d'agir en justice.
En effet, les juges se sont ensuite attachés à analyser l’argument soulevé par le syndicat au visa de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), selon lequel la rupture ainsi intervenue s’analysait en un licenciement nul et de nul effet.
C’est ainsi qu’ils ont constaté que, d’une part l’instance avait initialement été introduite alors que le salarié était en cours d’exécution d’un nouveau contrat à durée déterminée et bénéficiait, à cette date, d’une ancienneté de plus de dix ans.
Qu’en suite de cette saisine, plus aucune mission n’avait été confiée à ce même salarié.
Or, la cour d’appel a considéré « qu'en l'absence de toute autre explication plausible avancée par la société employeurune telle attitude de la part de la société vis-à-vis du salarié (…), était manifestement destinée à dissuader le salarié (…) d’ester en justice pour réclamer la requalification de leur contrat de travail en contrat à durée indéterminée, et à échapper en ce qui concernait l’employeur aux conséquences de cette requalification. »
La cour d’appel de poursuivre qu’« en se comportant ainsi, France Télévision se rendait coupable d’une violation manifeste d’une liberté fondamentale du salarié, consacrée par divers instruments internationaux, notamment l’article 6’1 de la CEDH, violation qui est caractérisée, peu important que l’attitude de l’employeur n’ait pas réussi, en l’espèce, à dissuader les salariés, et qui entraîne la nullité du licenciement. ».
C’est parce qu’elle a constaté, au regard des éléments de fait et de droit qui lui étaient rapportés l’existence d’un lien de causalité entre la rupture intervenue et l’action formée par le salarié (et donc la violation d’une liberté fondamentale) que la Cour a fait droit à la demande du syndicat.
Dans l’arrêt du 13 mars 2001, la Cour de cassation avait déjà « ouvert une brèche » en rappelant que : « … le juge ne peut, en l’absence de dispositions le prévoyant et à défaut de violation d’une liberté fondamentale, annuler un licenciement. »
Nous rappellerons alors que la requérante avait bien évoqué l’hypothèse du licenciement-sanction en réponse à son action en justice. La difficulté a certainement résidé, selon les termes de Madame Claude-Roy Loustaunau, dans la démonstration du
" lien de causalité entre la rupture intervenue et l’action en requalification formée ". C’est vraisemblablement ce qui avait conduit la juridiction suprême à écarter cette argumentation.
Ainsi que l'affirme le professeur Gérard Couturier, aujourd’hui, la juridiction du second degré a "donné corps à cette possibilité ", ou encore, a clairement tenu à caractériser l’existence de ce lien.
Nous saurons bientôt si la Haute Juridiction confirmera cette ouverture. D’ores et déjà, nous pouvons nous interroger sur les effets à long terme qu’entraîne une telle décision, notamment au regard des conséquences indemnitaires puisqu'au cas d'espèce, la société a été condamné à verser au salarié les salaires dus depuis le 10 avril 2004...
La question de la réintégration suite à la requalification, dans une telle hypothèse, pourrait alors bien encore faire débat…
La Haute Juridiction rappelait ainsi, outre la reconnaissance d’un pouvoir unilatéral d’appréciation de l’opportunité de la rupture du lien contractuel (existant par ailleurs au bénéfice de chacune des parties), le principe clair selon lequel le licenciement intervenu après une procédure de requalification du contrat à durée déterminée en contrat à durée indéterminée fondée sur l’article L. 122-3-13 alinéa 2 (devenu L1245-1 et suivants du code du Travail),s'il est considéré injustifié, il n’est pas pour autant, en soi entaché de nullité, il est soumis au régime de la rupture des contrats à durée indéterminée.
Cela signifie que le salarié n’a pas droit à l’exécution forcée de son contrat de travail, pas plus qu’il n’a droit à la réintégration.
La question se pose alors de savoir, en quoi l’arrêt du 15 septembre 2011 a pu conduire à une position différente de la cour d’appel de Paris ?
Il est important de noter le raisonnement en deux temps de la juridiction du second degré :
- dans un premier temps, la Cour d’appel confirme la requalification des contrats à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée prononcée par les juges du 1er degré. Ainsi, les juges du fond sont demeurés fidèles à la position constante de la Haute Juridiction : la requalification d’un contrat à durée déterminée en un contrat à durée indéterminée suivie d’un licenciement n’ouvre pas, à elle seule, le droit à la reconnaissance de la nullité du licenciement.
- puis, dans un second temps, elle va plus loin puisqu’elle considère que les arguments de fait et de droit rapportés par le salarié fondent bien la nullité du licenciement pour atteinte à la liberté d'agir en justice.
En effet, les juges se sont ensuite attachés à analyser l’argument soulevé par le syndicat au visa de l’article 6-1 de la Convention européenne des droits de l’homme (CEDH), selon lequel la rupture ainsi intervenue s’analysait en un licenciement nul et de nul effet.
C’est ainsi qu’ils ont constaté que, d’une part l’instance avait initialement été introduite alors que le salarié était en cours d’exécution d’un nouveau contrat à durée déterminée et bénéficiait, à cette date, d’une ancienneté de plus de dix ans.
Qu’en suite de cette saisine, plus aucune mission n’avait été confiée à ce même salarié.
Or, la cour d’appel a considéré « qu'en l'absence de toute autre explication plausible avancée par la société employeurune telle attitude de la part de la société vis-à-vis du salarié (…), était manifestement destinée à dissuader le salarié (…) d’ester en justice pour réclamer la requalification de leur contrat de travail en contrat à durée indéterminée, et à échapper en ce qui concernait l’employeur aux conséquences de cette requalification. »
La cour d’appel de poursuivre qu’« en se comportant ainsi, France Télévision se rendait coupable d’une violation manifeste d’une liberté fondamentale du salarié, consacrée par divers instruments internationaux, notamment l’article 6’1 de la CEDH, violation qui est caractérisée, peu important que l’attitude de l’employeur n’ait pas réussi, en l’espèce, à dissuader les salariés, et qui entraîne la nullité du licenciement. ».
C’est parce qu’elle a constaté, au regard des éléments de fait et de droit qui lui étaient rapportés l’existence d’un lien de causalité entre la rupture intervenue et l’action formée par le salarié (et donc la violation d’une liberté fondamentale) que la Cour a fait droit à la demande du syndicat.
Dans l’arrêt du 13 mars 2001, la Cour de cassation avait déjà « ouvert une brèche » en rappelant que : « … le juge ne peut, en l’absence de dispositions le prévoyant et à défaut de violation d’une liberté fondamentale, annuler un licenciement. »
Nous rappellerons alors que la requérante avait bien évoqué l’hypothèse du licenciement-sanction en réponse à son action en justice. La difficulté a certainement résidé, selon les termes de Madame Claude-Roy Loustaunau, dans la démonstration du
" lien de causalité entre la rupture intervenue et l’action en requalification formée ". C’est vraisemblablement ce qui avait conduit la juridiction suprême à écarter cette argumentation.
Ainsi que l'affirme le professeur Gérard Couturier, aujourd’hui, la juridiction du second degré a "donné corps à cette possibilité ", ou encore, a clairement tenu à caractériser l’existence de ce lien.
Nous saurons bientôt si la Haute Juridiction confirmera cette ouverture. D’ores et déjà, nous pouvons nous interroger sur les effets à long terme qu’entraîne une telle décision, notamment au regard des conséquences indemnitaires puisqu'au cas d'espèce, la société a été condamné à verser au salarié les salaires dus depuis le 10 avril 2004...
La question de la réintégration suite à la requalification, dans une telle hypothèse, pourrait alors bien encore faire débat…