Fillon peut-il gagner devant le tribunal ?
Actualités du droit - Gilles Devers, 22/11/2012
Il y a des fraudes compliquées et d’autres plus simples, et celle qui a permis la victoire de l’homme au pain au chocolat est des plus simples.
Où est le loup ?
Lundi soir, le sénateur Patrice Gélard, président de la Cocoe (Commission d’organisation et de contrôle des opérations électorales) avait donné les chiffres : 98 voix de plus à Copé. Le lendemain, c’était le recollement des votes pour les motions, et là, surprise : le libellé du PV n’est pas le même… car apparaissaient trois fédérations de plus : Nouvelle-Calédonie, Wallis-et-Futuna et Mayotte (territoire occupé par la France). Au total 1 304 militants non comptabilisés, ce qui est fâcheux.
Après, prenez vos calculettes :
Nouvelle-Calédonie, 535 voix à Copé, 643 voix à Fillon ;
Wallis-et-Futuna : 14 à Copé, 3 à Fillon ;
Mayotte : 41 à Copé et 68 à Fillon.
Si on ajoute aux chiffres donnés par la Cocoe, on trouve Fillon à 88 004, et Copé 87 978. Avec 26 voix d’avance, Fillon est élu, et Copé est dans les choux.
Les faits sont-ils contestables ?
Non. Eric Ciotti a déclaré que Gélard avait reconnu cette erreur lors d'un échange téléphonique avec François Fillon. Dans l’après-midi, Ciotti a publié le pv où l’on voit la liste de toutes les fédérations, la ligne pour les Français de l’étranger, et rien pour les trois fédérations d’outre-mer.
Oui, mais le PV a été signé par tous les membres de la commission, dont les scrutateurs de Fillon...
Et la belle jambe… Il ne s’agit pas d’une erreur d’appréciation, mais d’une erreur matérielle. Un oubli purement mathématique doit être réparé, surtout quand cet oubli signifie que des votes n’ont pas été pris en compte.
Le PV de la commission est définitif…
Il faudrait connaitre la pratique de l’UMP ou le texte d’un règlement non publié sur le site. L’article 29 du statut dit en tout et pour tout :
« Avant le Congrès, le Conseil National élit en son sein une Commission d’organisation et de contrôle des opérations électorales composée de sept membres titulaires et de deux suppléants.
« Elle a autorité pour préparer et organiser les opérations de vote nationales et territoriales et s’assurer de leur régularité. Elle rend compte devant le Bureau Politique ».
Peut-on légalement rectifier une décision prise ?
Les tribunaux connaissent cette question des erreurs matérielles, et il existe une procédure de rectification de ces erreurs. Il faut qu’elles soient purement matérielles, et ne remettent pas en cause l’appréciation portée sur les faits. Cela joue pour une erreur de calcul.
Donc, l’argument selon lequel la Cocoe a statué et aucune rectification n’est possible, ne vaut pas tripette.
Mais Fillon est obligé de saisir la commission des recours !
C’est loin d’être évident.
La Commission nationale des recours statue sur les refus d’adhésion (art. 31), les recours formés contre les décisions disciplinaires (art. 32) et, sur demande du bureau politique, sur les infractions aux statuts ou aux décisions des instances et des organes de direction de l’Union commises par un adhérent ou un comité (art. 33).
Il n’est dit nulle part qu’elle soit organe de recours pour les élections, et le règlement intérieur publié ne dit rien non plus.
D’ailleurs, l’article 29 prévoit que la Cocoe, qui s’assure de la régularité des élections en « rend compte devant le Bureau Politique ». Nous sommes donc dans le cadre d’un examen politique, et je ne vois pas bien ce qui interdirait le Bureau Politique de demander la réparation de cette mathématique, car la fidélité au statut est que le vote des militants soit respecté.
Le recours en justice serait irrecevable si Fillon n’a pas d’abord saisi la commission des recours.
Ni le statut, ni le règlement intérieur ne prévoit une telle disposition qui, si elle existait, devrait être explicite pour bloquer un recours devant le juge de droit commun.
Mais en défense, Copé pourrait opposer qu’il y a eu des vraies fraudes, et qu’il faut les prendre en compte.
Il pourrait le demander, mais il est peu probable que le juge accepte… et se mette lui-même à recompter les 150 000 bulletins. Surtout, il y a eu une décision politique de la Cocoe, qui est seule maître pour apprécier la régularité de l’élection. Après bien des débats internes, le choix a été fait de prendre en compte tous les suffrages, avec l’idée que les fraudes se neutralisaient, et il est hautement improbable qu’un tribunal s’estimerait en droit de revenir sur un tel choix, qui est de nature politique et relève de la souveraineté du parti. Il en va différemment du rétablissement d’une erreur mathématique.
Fillon exercera-t-il le recours ?
Il a fait part de sa volonté de rétablir le résultat, et a parlé de recours en justice. Mais il n’est pas le seul à pouvoir exercer ce recours. Tout militant a intérêt à agir, car la rectification de l’erreur mathématique conduit à inverser le résultat. Ce qui intéresse chaque militant.