Allonger à 30 ans la prescription pour violences sexuelles sur mineur ? (567)
Planète Juridique - admin, 1/06/2014
Sur une initiative parlementaire le Sénat vient de décider d’allonger la durée de la prescription en matière d’infractions sexuelles commises sur des personnes mineures.
Avec la loi du 9 mars 2004 il avait déjà été décidé de faire partir la prescription à la majorité de la victime – art. 7 du CPP - pour venir en aide à celles et ceux dont les parents auraient négligé du temps de l’enfance d’engager des poursuites avec parfois les meilleures intentions du monde notamment éviter un parcours judiciaire également traumatisant.
Par ailleurs, dans cette même loi de 2004, le délai de dix ans de prescription des crimes et délits sexuels sur mineurs avait été porté dans certaines circonstances à 20 ans.
Deux sénatrices UMP, Mme Chantal Jouanno et Mme Muguette Dini sensibles au fait que certaines victimes pouvaient enfuir au plus profond d’elles-mêmes des faits connus d’elles seules et ne voir ces faits remonter à leur mémoire que tardivement, proposaient de faire partir le délai de prescription du jour où elles se trouvaient en situation de porter plainte. Ce dispositif avait pour faiblesse de rendre les faits quasiment imprescriptibles, portant ainsi atteinte à l’un des ressorts de notre droit pénal qui veut qu’un jour ou l’autre la société renonce à rechercher à punir. Il s’agit alors à travers ce droit à l’oubli de prendre en compte les intérêts de chacun, de la victime comme de l’auteur, des personnes comme de la société en tournant la page. Seuls les crimes contre l’humanité sont imprescriptibles. Ils sont en nombre limités. M°Pettiti, bâtonnier de Paris aujourd'hui décédé, proposait en son temps de faire entrer l’exploitation sexuelle des enfants comme elle se pratique dans certains pays tels les Philippines dans le groupe des crimes contre l’humanité. Il n’a pas été suivi. On le regrettera.
Reste que pour ne pas risquer la censure du Conseil Constitutionnel les parlementaires sensibles aux arguments de Mmes Jouanno et Dini ont du rechercher un compromis.
Il a été trouvé à travers la proposition du sénateur Philippe Kaltenbach et adopté : on fera passer à 20 ans le délai de prescription de10 ans et à 30 ans celui de 20. Reste bien sûr à l’Assemblée Nationale à approuver.
J’avoue avoir été réservé en 2004 quand on est passé de 10 à 20 estimant que souvent on serait appelé à payer en monnaie de singes les victimes à qui, le plus souvent, ont offriraient tous comptes faits de faux espoirs. Car il ne suffit pas d’ouvrir droit à poursuite – et pas seulement de porter plainte - encore fait-il avoir des chances raisonnables de pouvoir apporter la preuve. Quand les faits se sont déroulés alors que la victime avait 4 ou 5 ans comme cela arrive régulièrement on peut imaginer que deux ou trois décennies plus tard il sera difficile, pour ne pas dire quasi impossible, de faire la preuve de la vérité.
La condamnation ne peut pas intervenir simplement sur une plainte. Il faut que le juge ait l’intime conviction que les faits sont avérés. Or on sera souvent plusieurs décennies plus tard devant une absence de preuve matérielles : pas de traces de violences valablement relevées sur corps de la victime ; pas de sperme, pas de témoins. Mieux on sera souvent dans le flou sur les circonstances des faits allégués. Si avec la même « sincérité » que la victime prétendue, le mis en cause dénie les faits, les juges devront relaxer ou acquitter au risque de causer un nouveau traumatisme à la personnes plaignante.
Réservé j’étais pour 20 ans, encore plus le suis-je sur 30 ans avec les mêmes arguments que développe Antoine Garapon, magistrat et directeur de l’Institut des hautes études judiciaires (Le Figaro du 28 mai 3014).
Pour autant à ‘expérience aujourd’hui j’aurai deux nuances à une opposition absolue
D’abord j’ai pu vivre des situations où plus de 15 ans après les faits le mis en cause admettait que la victime disait vrai. Comme dans ce cas où l’accusé était même soulagé de constater que sa victime ait enfin parlé et ait été prise en compte. En l’espèce cette jeune fille alors âgée de 8-9 ans avait été violée par le jeune homme de 15-16 ans accueilli avec elle par une famille de l’ASE. Elle n’avait pas parlé à l‘époque ; pire elle avait tenté en plusieurs circonstances d’en finir avec la vie. Acceptant d’engager une psychothérapie, elle avait été convaincu de la nécessité de porter plainte et là, suprême difficulté, les policiers la voyant se présenter, scarifiée et alléguant des faits aussi anciens, avaient refusé de recueillir sa plainte en prétextant, à tort bien sûr, que mineure elle ne pouvait pas porter plainte sans être accompagné de ses parents.
Elle avait beau alléguer que son placement à l’ASE se justifiant par le fait que son père l’avait abandonnée et qu’elle était en conflit avec sa mère, on ne pouvait pas exiger qu’elle se présente au commissariat avec l’un ou l’aitre. Sa plainte ayant finie par être enregistrée les policiers n’eurent aucun difficulté à retrouver l’agresseur qui en les voyant arriver les policiers s’en sentit soulager d’un poids important. Le jeune homme admit les faits quitte à les relativiser légèrement. Depuis il n’avait pas commis les moindres infractions sexuelle ou autre. Je l’ai jugé – et condamné - devant le tribunal pour enfants alors même qu’il avait 33 ans.
En d’autres termes, il est des cas, très limités certes, où la victime pourra obtenir satisfaction malgré le temps écoulé. Pourquoi la priver d’obtenir de se faire rendre justice ? Encore faut-il la préparer à ce que l’affaire tourne vinaigre avec un mis en cause pas du tout près à accepter ses responsabilités voire velléitaire
Deuxièmement : l’enjeu pour la victime est-il toujours d’obtenir formellement une condamnation ? Ou cherche-t-elle simplement à montrer au mis en cause qu’il a été rattrapé par la patrouille et le mettre en situation de supporter une accusation, un regard et d’évoquer des scènes que sans doute il ne voulait plus voir. La satisfaction de la victime peut n’être somme toute que morale.
Tout cela m’amène aujourd’hui en entendant les arguments d’Antoine Garapon qui étaient un temps les miens, à accepter cet allongement du délai de prescription en matière de violences sexuelles sur mineur.
Pour autant il faut un délai butoir et, au risque de choquer, il faut savoir abandonner l’idée de passer par la justice pénale.
Ici il me semble qu’une disposition devrait enfin être introduite dans notre procédure pénale dont l’architecture essentielle date de la loi Guigou du 17 juin 1998 votée sous la pression des associations : la victime qui se heurte à un obstacle judiciaire et ne voit pas sa plainte prosperer (classement du parquet, non lieu de juge d’instruction ou relaxe ou acquittement - doit être reçue par le procureur de la République qui lui expliquera les tenants et les aboutissants de l’affaire. (1) Une issue judiciaire bouchée ne signifie pas qu’elle a menti et est tenue pour une menteuse. Il faut aussi lui ouvrir les voies pour dépasser cette agression et son souvenir. A défaut on donne une prise à son agresseur qui non seulement a abusé d’elle, mais continue à la faire souffrir.
(1)Voir JP Rosenczveig, « La justice et les enfants », Chapitre IV, le droit des enfants victimes à se voir rendre justice 2013, Dalloz, 3 euros