Histoire d'eau
Justice au singulier - philippe.bilger, 29/07/2012
Laure Manaudou (LM) a été éliminée lors des séries du 100 mètres dos aux Jeux Olympiques (JO) de Londres. A ma grande déception, car nous avions nourri l'espoir d'un formidable retour qui l'aurait vu nager aujourd'hui sur le dos comme hier en crawl.
Pourtant, à bien y réfléchir et à considérer les statistiques, dans tous les domaines, de l'art au sport et de la politique à la scène, il y a si peu de réussites pour tant d'échecs quand la gloire d'antan prétend redevenir actuelle et que la nostalgie croit pouvoir se muer en renaissance.
On comprend le ressort de ces destinées lassées soudain par une forme d'anonymat et désireuses de voir à nouveau la lumière se projeter sur elles. Il faut un courage inouï pour accepter l'ombre après avoir brillé, pour ne pas regretter l'éclat quand la quotidienneté ordinaire est votre lot.
LM, en dépit de ses protestations de bonheur intime, n'a pas su, pas voulu résister aux remontées du passé, à la force singulière de cette envie qui n'est pas faite de vanité mais tout simplement de la certitude que l'existence avait du prix, que les pulsations du coeur et du corps étaient plus puissantes qu'aujourd'hui et que donc il faut tout tenter pour se ressusciter.
Mais on n'y arrive pas. Quel que soit l'effort, les heures d'entraînement, on butera sur la triste réalité du passage du temps. La gloire, pour personne, ne repasse les plats. J'imagine comme la jeune femme tellement adulée doit souffrir, avec son tempérament de battante, d'avoir été si rapidement éliminée.
Un éclairage sur le sport de haut niveau, et qui est susceptible d'expliquer ce déclin et, je l'espère, les triomphes de demain, nous est donné par une passionnante double page du Monde sur Fabrice Pellerin (FP) qui entraîne à Nice deux extraordinaires nageurs, Camille Muffat et Yannick Agnel, dont les personnalités et les comportements sont très différents, mais qui sont motivés par une même indépassable confiance en eux-mêmes qui, pour FP, est la qualité fondamentale des compétiteurs exceptionnels. Son appréciation est d'autant plus intéressante qu'elle se fonde sur l'inégalité, par ailleurs, des dispositions techniques, au plus haut chez Camille, plus atypiques chez Yannick.
FP, avec sa remarquable analyse de sa fonction d'entraîneur et des liens qu'elle crée avec ce couple dont il a la charge, nous permet d'aller plus loin en excluant toute amitié de sa pédagogie. Il souligne d'ailleurs - et sa position n'est pas un paradoxe - que son enseignement et ses méthodes qui consistent à aider le plus possible ses deux "poulains" sur les plans susceptibles de leur faire gagner, au moment crucial à Londres, une médaille d'or, s'arrêterait là où l'amitié prendrait la relève. Ce n'est pas sécheresse ni défaut de sensibilité mais seulement la constatation que les exigences qu'il est nécessaire de formuler ne peuvent l'être, et ne seront entendues, que dans un climat étranger à ce que l'affectif pur a de trop subjectif et de trop fragile.
L'impossible retour de LM n'est pas seulement la conséquence de l'inéluctable flamboiement d'hier par rapport à l'inévitable régression d'aujourd'hui mais sans doute, aussi, du fait que la championne, depuis le faîte qu'elle a connu, n'a plus été confrontée à une atmosphère aussi dure et éprouvante que celle subie à Nice. Entre sa peopolisation et la natation, LM n'a pas cessé d'osciller et ses histoires amoureuses, le bonheur d'être devenue mère, son compagnonnage médiatique avec son frère, certaines polémiques l'ont rendue plus familière avec un univers clairement opposé à la philosophie d'un FP dressant une cloison étanche entre l'intime de ses nageurs et les exercices quotidiens qu'il leur imposait.
Si j'ose dire, LM n'avait plus seulement la tête à l'eau ou dans l'eau !
J'ose espérer que ce billet, malgré les limites de son sujet, bénéficiera d'une interprétation qui rapportera son fond à tous ceux qui auront été défaits un jour par le sort ou qui rêveraient de redonner vie, au risque du déclin, à la grandeur de ce qui fut.