La fosse
Planète Juridique - admin, 1/01/2015
Dans le cadre des rediffusions hivernales, le billet du jour, publié en mai 2010, est encore en rapport avec mon service militaire. Une histoire de travail d'équipe...
--o0o--
Le premier mois de mon service militaire s'est effectué en Allemagne où j'ai effectué ma période de "classes". J'ai raconté dans ce billet comment j'avais décidé d'obéir.
Pendant cette période d'instruction, nous avons eu à faire un parcours du combattant. Il s'agit d'un moment mythique, en théorie, mais en pratique c'est une autre histoire.
Notre encadrement avait divisé notre section de 140 hommes en quatre groupes pour que l'on évite de se marcher dessus. Chaque groupe se frottait à un morceau de parcours, sans (in)formation préalable.
Et dans ce parcours, se trouvait une fosse. Voici notre découverte du problème.
La fosse fait environ 2 mètres de profondeur, et forme un rectangle d'environ 8m sur 3. Nous sommes 35 jeunes appelés en tenue de camouflage avec nos grosses chaussures militaires. L'encadrement nous a gentiment demandé de nous entasser dans la fosse et nous donne la consigne suivante: "VOUS ALLEZ ME SORTIR DE CETTE FOSSE LE PLUS VITE POSSIBLE EN VOUS MAGNANT LE CUL".
Le sergent donne le signal de départ et déclenche un chronomètre. C'est la ruée... Trente cinq bonshommes se poussent pour monter les murs de la fosse, passer les bras sur le bord et se hisser dehors. Les plus forts écrasent les plus faibles. Les plus lourds marchent sur les mains des plus délicats. Mais au bout de dix minutes, tout le monde est sorti et attend les ordres.
Le sergent nous explique gentiment: "BORDEL MAIS VOUS ÊTES NULS! VOUS DEVEZ METTRE MOINS DE TROIS MINUTES! RECOMMENCEZ!"
Nous redescendons tous dans le fosse. Je me dis qu'il plaisante et qu'au bout de plusieurs essais, lassé de nous voir nous marcher dessus, il nous traitera de grosses larves et nous pourrons passer à l'obstacle suivant.
Las, après quatre essais, et malgré nos six minutes et nos mains endolories, le sergent persiste à vouloir nous faire descendre sous les trois minutes. Comment cela va-t-il finir?
Au cinquième essai, tout le monde est KO et nous obtenons la permission de souffler un peu avant de recommencer.
Il est temps pour moi de trouver une solution, car mes mains commencent à saigner à force de prendre des coups. Je me place au centre du groupe et demande l'attention de mes camarades d'infortune. Je leur explique qu'il me semble possible d'arriver à se sortir de ce mauvais pas en adoptant une stratégie commune. Plutôt que de se pousser les uns les autres pour sortir de la fosse, il faudrait s'entraider. Tout le monde semble d'accord. Nous discutons de plusieurs idées et arrivons à nous mettre d'accord sur la stratégie suivante: les six plus costauds vont sortir en premier, en prenant appui sur les autres qui leur feront la courte échelle. Une fois dehors, ils se mettront par deux pour attraper un soldat encore dans la fosse et le sortir en tirant le plus fort possible.
Le sergent nous fait redescendre dans la fosse et donne le signal du départ. Nos six gros costauds se font quasiment éjecter de la fosse par tout le monde. Une fois en haut, ils nous attrapent à tour de rôle et nous soulèvent littéralement pour nous jeter hors de la fosse.
Je revois encore aujourd'hui le vol plané des plus légers qui sont venus s'écraser en tas à deux mètres du bord de la fosse. Nous avons mis deux minutes et trente secondes pour vider la fosse. Le sergent avait la larme à l'œil. Nous aussi.
Cela m'a valu l'estime de mes camarades et le droit de passer la serpillière dans le bureau des gradés pour avoir parlé pendant un temps de repos.
La devise de mon régiment (de transmission): "Rien ne vaut que le silence".
Pendant cette période d'instruction, nous avons eu à faire un parcours du combattant. Il s'agit d'un moment mythique, en théorie, mais en pratique c'est une autre histoire.
Notre encadrement avait divisé notre section de 140 hommes en quatre groupes pour que l'on évite de se marcher dessus. Chaque groupe se frottait à un morceau de parcours, sans (in)formation préalable.
Et dans ce parcours, se trouvait une fosse. Voici notre découverte du problème.
La fosse fait environ 2 mètres de profondeur, et forme un rectangle d'environ 8m sur 3. Nous sommes 35 jeunes appelés en tenue de camouflage avec nos grosses chaussures militaires. L'encadrement nous a gentiment demandé de nous entasser dans la fosse et nous donne la consigne suivante: "VOUS ALLEZ ME SORTIR DE CETTE FOSSE LE PLUS VITE POSSIBLE EN VOUS MAGNANT LE CUL".
Le sergent donne le signal de départ et déclenche un chronomètre. C'est la ruée... Trente cinq bonshommes se poussent pour monter les murs de la fosse, passer les bras sur le bord et se hisser dehors. Les plus forts écrasent les plus faibles. Les plus lourds marchent sur les mains des plus délicats. Mais au bout de dix minutes, tout le monde est sorti et attend les ordres.
Le sergent nous explique gentiment: "BORDEL MAIS VOUS ÊTES NULS! VOUS DEVEZ METTRE MOINS DE TROIS MINUTES! RECOMMENCEZ!"
Nous redescendons tous dans le fosse. Je me dis qu'il plaisante et qu'au bout de plusieurs essais, lassé de nous voir nous marcher dessus, il nous traitera de grosses larves et nous pourrons passer à l'obstacle suivant.
Las, après quatre essais, et malgré nos six minutes et nos mains endolories, le sergent persiste à vouloir nous faire descendre sous les trois minutes. Comment cela va-t-il finir?
Au cinquième essai, tout le monde est KO et nous obtenons la permission de souffler un peu avant de recommencer.
Il est temps pour moi de trouver une solution, car mes mains commencent à saigner à force de prendre des coups. Je me place au centre du groupe et demande l'attention de mes camarades d'infortune. Je leur explique qu'il me semble possible d'arriver à se sortir de ce mauvais pas en adoptant une stratégie commune. Plutôt que de se pousser les uns les autres pour sortir de la fosse, il faudrait s'entraider. Tout le monde semble d'accord. Nous discutons de plusieurs idées et arrivons à nous mettre d'accord sur la stratégie suivante: les six plus costauds vont sortir en premier, en prenant appui sur les autres qui leur feront la courte échelle. Une fois dehors, ils se mettront par deux pour attraper un soldat encore dans la fosse et le sortir en tirant le plus fort possible.
Le sergent nous fait redescendre dans la fosse et donne le signal du départ. Nos six gros costauds se font quasiment éjecter de la fosse par tout le monde. Une fois en haut, ils nous attrapent à tour de rôle et nous soulèvent littéralement pour nous jeter hors de la fosse.
Je revois encore aujourd'hui le vol plané des plus légers qui sont venus s'écraser en tas à deux mètres du bord de la fosse. Nous avons mis deux minutes et trente secondes pour vider la fosse. Le sergent avait la larme à l'œil. Nous aussi.
Cela m'a valu l'estime de mes camarades et le droit de passer la serpillière dans le bureau des gradés pour avoir parlé pendant un temps de repos.
La devise de mon régiment (de transmission): "Rien ne vaut que le silence".
Dans le cadre des rediffusions hivernales, le billet du jour, publié en mai 2010, est encore en rapport avec mon service militaire. Une histoire de travail d'équipe...
--o0o--
Le premier mois de mon service militaire s'est effectué en Allemagne où j'ai effectué ma période de "classes". J'ai raconté dans ce billet comment j'avais décidé d'obéir.
Pendant cette période d'instruction, nous avons eu à faire un parcours du combattant. Il s'agit d'un moment mythique, en théorie, mais en pratique c'est une autre histoire.
Notre encadrement avait divisé notre section de 140 hommes en quatre groupes pour que l'on évite de se marcher dessus. Chaque groupe se frottait à un morceau de parcours, sans (in)formation préalable.
Et dans ce parcours, se trouvait une fosse. Voici notre découverte du problème.
La fosse fait environ 2 mètres de profondeur, et forme un rectangle d'environ 8m sur 3. Nous sommes 35 jeunes appelés en tenue de camouflage avec nos grosses chaussures militaires. L'encadrement nous a gentiment demandé de nous entasser dans la fosse et nous donne la consigne suivante: "VOUS ALLEZ ME SORTIR DE CETTE FOSSE LE PLUS VITE POSSIBLE EN VOUS MAGNANT LE CUL".
Le sergent donne le signal de départ et déclenche un chronomètre. C'est la ruée... Trente cinq bonshommes se poussent pour monter les murs de la fosse, passer les bras sur le bord et se hisser dehors. Les plus forts écrasent les plus faibles. Les plus lourds marchent sur les mains des plus délicats. Mais au bout de dix minutes, tout le monde est sorti et attend les ordres.
Le sergent nous explique gentiment: "BORDEL MAIS VOUS ÊTES NULS! VOUS DEVEZ METTRE MOINS DE TROIS MINUTES! RECOMMENCEZ!"
Nous redescendons tous dans le fosse. Je me dis qu'il plaisante et qu'au bout de plusieurs essais, lassé de nous voir nous marcher dessus, il nous traitera de grosses larves et nous pourrons passer à l'obstacle suivant.
Las, après quatre essais, et malgré nos six minutes et nos mains endolories, le sergent persiste à vouloir nous faire descendre sous les trois minutes. Comment cela va-t-il finir?
Au cinquième essai, tout le monde est KO et nous obtenons la permission de souffler un peu avant de recommencer.
Il est temps pour moi de trouver une solution, car mes mains commencent à saigner à force de prendre des coups. Je me place au centre du groupe et demande l'attention de mes camarades d'infortune. Je leur explique qu'il me semble possible d'arriver à se sortir de ce mauvais pas en adoptant une stratégie commune. Plutôt que de se pousser les uns les autres pour sortir de la fosse, il faudrait s'entraider. Tout le monde semble d'accord. Nous discutons de plusieurs idées et arrivons à nous mettre d'accord sur la stratégie suivante: les six plus costauds vont sortir en premier, en prenant appui sur les autres qui leur feront la courte échelle. Une fois dehors, ils se mettront par deux pour attraper un soldat encore dans la fosse et le sortir en tirant le plus fort possible.
Le sergent nous fait redescendre dans la fosse et donne le signal du départ. Nos six gros costauds se font quasiment éjecter de la fosse par tout le monde. Une fois en haut, ils nous attrapent à tour de rôle et nous soulèvent littéralement pour nous jeter hors de la fosse.
Je revois encore aujourd'hui le vol plané des plus légers qui sont venus s'écraser en tas à deux mètres du bord de la fosse. Nous avons mis deux minutes et trente secondes pour vider la fosse. Le sergent avait la larme à l'œil. Nous aussi.
Cela m'a valu l'estime de mes camarades et le droit de passer la serpillière dans le bureau des gradés pour avoir parlé pendant un temps de repos.
La devise de mon régiment (de transmission): "Rien ne vaut que le silence".
Pendant cette période d'instruction, nous avons eu à faire un parcours du combattant. Il s'agit d'un moment mythique, en théorie, mais en pratique c'est une autre histoire.
Notre encadrement avait divisé notre section de 140 hommes en quatre groupes pour que l'on évite de se marcher dessus. Chaque groupe se frottait à un morceau de parcours, sans (in)formation préalable.
Et dans ce parcours, se trouvait une fosse. Voici notre découverte du problème.
La fosse fait environ 2 mètres de profondeur, et forme un rectangle d'environ 8m sur 3. Nous sommes 35 jeunes appelés en tenue de camouflage avec nos grosses chaussures militaires. L'encadrement nous a gentiment demandé de nous entasser dans la fosse et nous donne la consigne suivante: "VOUS ALLEZ ME SORTIR DE CETTE FOSSE LE PLUS VITE POSSIBLE EN VOUS MAGNANT LE CUL".
Le sergent donne le signal de départ et déclenche un chronomètre. C'est la ruée... Trente cinq bonshommes se poussent pour monter les murs de la fosse, passer les bras sur le bord et se hisser dehors. Les plus forts écrasent les plus faibles. Les plus lourds marchent sur les mains des plus délicats. Mais au bout de dix minutes, tout le monde est sorti et attend les ordres.
Le sergent nous explique gentiment: "BORDEL MAIS VOUS ÊTES NULS! VOUS DEVEZ METTRE MOINS DE TROIS MINUTES! RECOMMENCEZ!"
Nous redescendons tous dans le fosse. Je me dis qu'il plaisante et qu'au bout de plusieurs essais, lassé de nous voir nous marcher dessus, il nous traitera de grosses larves et nous pourrons passer à l'obstacle suivant.
Las, après quatre essais, et malgré nos six minutes et nos mains endolories, le sergent persiste à vouloir nous faire descendre sous les trois minutes. Comment cela va-t-il finir?
Au cinquième essai, tout le monde est KO et nous obtenons la permission de souffler un peu avant de recommencer.
Il est temps pour moi de trouver une solution, car mes mains commencent à saigner à force de prendre des coups. Je me place au centre du groupe et demande l'attention de mes camarades d'infortune. Je leur explique qu'il me semble possible d'arriver à se sortir de ce mauvais pas en adoptant une stratégie commune. Plutôt que de se pousser les uns les autres pour sortir de la fosse, il faudrait s'entraider. Tout le monde semble d'accord. Nous discutons de plusieurs idées et arrivons à nous mettre d'accord sur la stratégie suivante: les six plus costauds vont sortir en premier, en prenant appui sur les autres qui leur feront la courte échelle. Une fois dehors, ils se mettront par deux pour attraper un soldat encore dans la fosse et le sortir en tirant le plus fort possible.
Le sergent nous fait redescendre dans la fosse et donne le signal du départ. Nos six gros costauds se font quasiment éjecter de la fosse par tout le monde. Une fois en haut, ils nous attrapent à tour de rôle et nous soulèvent littéralement pour nous jeter hors de la fosse.
Je revois encore aujourd'hui le vol plané des plus légers qui sont venus s'écraser en tas à deux mètres du bord de la fosse. Nous avons mis deux minutes et trente secondes pour vider la fosse. Le sergent avait la larme à l'œil. Nous aussi.
Cela m'a valu l'estime de mes camarades et le droit de passer la serpillière dans le bureau des gradés pour avoir parlé pendant un temps de repos.
La devise de mon régiment (de transmission): "Rien ne vaut que le silence".