Pourquoi Philomena n'est-il pas un film français ?
Justice au singulier - philippe.bilger, 22/01/2014
Il y a des films absolument magiques dont on sort tellement admiratifs qu'on a besoin d'un très long moment de silence avant d'oser dire un mot de peur de rompre la grâce de deux heures de projection.
Philomena, un chef-d'oeuvre.
Un scénario à la fois limpide et structuré. Pas une inutilité, pas une baisse de rythme.
Des dialogues fins, spirituels, sensibles, intelligents. Un bonheur de l'expression et une élévation de l'âme.
Une réalisation en même temps superbe et invisible. Un regard de maître, celui de Stephen Frears, sur une histoire exaltante et terrible. Une mère aimante, déchirée et vaillante pourtant, au bout de 50 ans, recherche le fils qui lui a été arraché à sa naissance par une institution religieuse où une Soeur notamment a eu un rôle odieux et dissimulateur.
Elle va partir dans cette quête, das cette recherche en compagnie d'un journaliste d'abord sceptique, puis conquis, enthousiasmé, transformé par la personnalité authentique et généreuse de cette femme.
Le plus remarquable dans cette oeuvre inoubliable réside dans le parcours psychologique, intellectuel et humain que chacun des protagonistes va accomplir vers l'autre. L'homme va infiniment apprendre de cette femme dont la foi, la drôlerie et l'allure vont résister à la tragédie et lui-même, libre penseur, désinvolte, ironique, brillant se retrouvera, à la fin de ce chemin de tendresse, de souffrance et de nostalgie, différent, métamorphosé.
Mais pas besoin de grandes envolées ni d'élans pompiers pour faire percevoir l'intensité et la richesse de cette intense et réciproque relation.
Par petits signes, grâce à d'infimes attitudes, avec des gestes minuscules et pleins d'une infinie considération pour ce que l'autre représente, tout est magnifiquement proposé, suggéré, décrit et dévoilé.
On sort lavé de tout et prêt à toutes les aventures dont la vulgarité serait exclue. Dans cette salle de cinéma, dans le silence absolu qu'impose la vision d'un spectacle qui laisse loin derrière lui les médiocrités quotidiennes d'une programmation parfois bonne mais jamais irréprochable, on se nourrit, on s'enchante, on se réjouit, on pleure, on devient soi-même un être qui ne se reconnaît plus parce qu'il éprouve de la reconnaissance pour tous ceux, réalisateur, scénariste, comédiens et techniciens, qui ont libéré cette chose inouïe qu'est un objet d'art indépassable.
Deux acteurs géniaux, Judy Dench et Steve Coogan, également scénariste.
Pas une critique à formuler, pas la moindre réserve, une adhésion inconditionnelle.
J'ai aimé passionnément certains films français mais jamais au point d'être empli par une joie sans mélange. Un peu de lenteur, trop de nombrilisme, des acteurs inégaux, trop de narcissisme, la confusion entre originalité et provocation, un scénario étique un rire gras, une dérision de mauvais aloi, une humanité étriquée, un manque de grandeur, les mêmes séquences répétées et donnant au monde l'apparence d'une chambre à coucher ou d'un univers clos.
Dans toutes les oeuvres portées aux nues par les professionnels du cinéma français, aucune, comédies ou dramatiques, ne m'a empli d'une telle allégresse sereine, celle que le meilleur nous inspire et qui suscite de la joie profonde même quand les larmes coulent. Le très grand art est désespérément joyeux.
Seuls peut-être, les films de John Ford, en particulier "La prisonnière du désert", peuvent supporter la comparaison.
Je sais bien que tous les goûts sont dans la nature et que la subjectivité des uns et des autres est dominante qui nous conduit là où nous nous trouvons rassasiés de manière exemplaire.
On ne souhaite rien d'autre que cet assouvissement si rare, si singulier qu'il ressemble à de l'immatériel incarné.
Pourquoi Philomena n'est pas un film français ?
Tout simplement parce qu'il est parfait.