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Procès Bonnemaison : la loi et le « colloque singulier » entre médecin et agonisant

Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 13/10/2015

Deux plaidoiries ont été prononcées, mardi 13 octobre, en faveur de Nicolas Bonnemaison. Elles n'émanent pas de ses avocats, mais de deux témoins que la défense a fait citer à la barre. Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d'éthique … Continuer la lecture

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Deux plaidoiries ont été prononcées, mardi 13 octobre, en faveur de Nicolas Bonnemaison. Elles n'émanent pas de ses avocats, mais de deux témoins que la défense a fait citer à la barre. Jean-Claude Ameisen, président du Comité consultatif national d'éthique (CCNE) et Michèle Delaunay, ministre déléguée chargée des personnes âgées et de la dépendance dans le gouvernement de Jean-Marc Ayrault, ont l'un et l'autre fait rejaillir la densité et la profondeur de leur réflexion sur les explications laborieuses que l'accusé avait livrées dans la matinée à la cour et aux jurés. A l'ancien urgentiste Nicolas Bonnemaison, jugé en appel devant la cour d'assises de Maine-et-Loire, à Angers, pour avoir accéléré la mort de sept de ses patients en fin de vie, il est notamment reproché de ne pas avoir respecté deux des conditions fixées par la loi Léonetti au placement sous sédation profonde : la collégialité de la décision et l'information des familles.

« La douleur et la souffrance doivent être soulagées à tous les moments de la vie, y compris quand la personne ne peut plus dire qu'elle souffre », a observé le Pr Ameisen, ajoutant : « Le strict respect de la loi ne doit pas conduire à des situations plus violentes que son non-respect.» Bien sûr, a-t-il souligné, la mise sous sédation profonde comporte le risque d'accélérer la mort du patient. Mais face à des patients dont la fin de vie est proche, la question est d'abord de savoir si « le respect du temps qu'il leur reste à vivre est plus important que les conditions dans lesquelles il s'écoule, avec ou sans souffrance. Il ne faut pas oublier que la souffrance et la douleur tuent aussi ».

Michèle Delaunay est allée plus loin encore, en évoquant d'abord la terrible réalité statistique. « Quatre-vingt-dix mille personnes finissent leur vie dans des établissements d'hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Sur ces quatre-vingt-dix mille personnes, 25 % vont mourir après avoir été transférées aux urgences. Et parmi elles, 75 % ne survivent pas à la première nuit. » Des chiffres qui, selon l'ancienne cancérologue, signifient que, dans la majorité des cas, ces décisions de transfert sont « inappropriées », les services d'urgence devenant des lieux de délestage pour des patients agonisant, au moment même où ceux-ci auraient besoin d'un environnement calme et mieux approprié à leur fin de vie. « On demande la collégialité, mais l'urgence n'est pas propice aux colloques », observe Michèle Delaunay.

Sur la nécessaire information des familles, Michèle Delaunay apporte là aussi son regard de praticienne hospitalière. « L'avis des familles est fragile, d'abord parce que tout le monde n'a pas le même, l'actualité récente est là pour le prouver. La famille n'a pas pour rôle de donner son sentiment. Elle n'est là que pour dire ce que, selon elle, la personne qui n'est plus en mesure de s'exprimer aurait souhaité. »

« J'émets une sorte d'atténuation au reproche qui est fait sur ce point à Nicolas Bonnemaison, a poursuivi Michèle Delaunay. J'ai dit qu'il n'avait pas la mentalité d'un meurtrier, et je le confirme à deux cents pour cent. Ses actes me paraissent davantage relever d'un questionnement : Est-ce qu'il y a quelque chose d'utile à faire pour ce patient ? » A l'interpellation de l'avocat général Olivier Tcherkessof, qui lui rappelait que la proposition de loi sur la fin de vie récemment adoptée par l'Assemblée nationale renforce la nécessité de la collégialité et de la transparence de la décision de sédation à l'égard du malade et de sa famille, Michèle Delaunay a répondu, plus en praticienne qu'elle a été qu'en parlementaire qu'elle est devenue : « La loi ne pourra jamais tout résoudre. Jamais. Il y a aura toujours, à un moment, un colloque singulier entre le médecin et la personne qui va mourir. Et dans ce moment, la loi doit se retirer sur la pointe des pieds. » 


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