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(Toujours) pas de résiliation judiciaire en cas de régularisation des manquements de l’employeur

K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Stéphane Bloch, Fabien Crosnier, 10/07/2017

Confirmation de jurisprudence : la Cour de Cassation a rendu une décision le 21 juin 2017 de laquelle il ressort que la régularisation, à la date du jugement, des manquements invoqués par le salarié à l’appui d’une demande de résiliation judiciaire, doit conduire au rejet de cette dernière.
1. Les faits
Un salarié adresse deux courriels à connotation raciste à l’un de ses collègues de travail. Dans les semaines qui suivent, l’auteur des courriels est sanctionné par un avertissement. Un an plus tard, le salarié pris pour cible par les courriels litigieux saisit le Conseil de Prud’hommes d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail. Il se fonde pour ce faire sur la jurisprudence selon laquelle l’employeur manque à son obligation de sécurité de résultat dès l’instant où un salarié est victime de harcèlement moral sur son lieu de travail, quand bien même il aurait pris toutes les mesures pour les faire cesser.

2. La décision
Les juges du fond retiennent que la direction a entendu la victime sur les faits dès qu'elle en a été avisée et qu'elle a sanctionné l’auteur des courriels incriminés par un avertissement avant de lui demander de présenter ses excuses à l’intéressé, l’employeur ayant par ailleurs reconnu la qualité du travail fourni par ce dernier et l’en ayant félicité à plusieurs reprises.

Elle en déduit que le manquement de l'employeur, qui a réagi avec diligence et efficacité dès qu'il a été informé des faits survenus, ne présentait pas un caractère de gravité suffisant pour empêcher la poursuite du contrat de travail.

Le salarié se pourvoit en cassation. Rejet du pourvoi et confirmation de l’arrêt d’appel. Pour la Cour de Cassation en effet, l'employeur a réagi avec diligence et efficacité en sanctionnant l'auteur des messages dès qu'il a été informé des faits litigieux et lui a demandé de présenter des excuses. Elle relève par ailleurs que les faits ne se sont pas reproduits ultérieurement. Elle en tire la conséquence que le manquement reproché à l’employeur n’a pas un caractère de gravité suffisant pour empêcher la poursuite du contrat de travail .

3. Le sens de l’arrêt et la portée
Deux circonstances ont conduit au rejet des demandes du salarié :

- la rapidité avec laquelle l’employeur a réagi en prenant les dispositions adaptées pour mettre un terme à la situation dénoncée ;

- l’absence de tout nouvel incident depuis l’envoi des courriels litigieux et la réaction de l’employeur suscités par ces derniers. Autrement dit, l’employeur avait fait rapidement et effectivement cesser les agissements racistes de l’intéressé.

Cet arrêt s’inscrit dans le droit fil des arrêts rendus par la Cour de Cassation en 2014. L’on sait en effet que cette dernière a, depuis cette date, « réorienté » sa construction jurisprudentielle (dans un sens plus sévère envers les salariés) puisqu’elle estime désormais qu’un salarié n’est fondé à obtenir la résiliation judiciaire (1) ou la prise d’acte de la rupture (2) de son contrat de travail aux torts de l’employeur qu’à la condition que les manquements invoqués soient si graves qu’ils empêchent la poursuite du contrat de travail.

La faute de l’employeur légitimant la résiliation judiciaire (ou la prise d’acte de la rupture) est ainsi le « miroir » de la faute grave qui, à l’autre extrémité du rapport de travail, justifie la rupture immédiate par l’employeur (donc sans préavis) du contrat de travail du salarié. La Cour de Cassation entend ainsi vraisemblablement canaliser l’opportunisme de salariés qui seraient tentés par un « auto-licenciement ».

Il en résulte plusieurs conséquences.

Tout d’abord
, la jurisprudence exige une certaine contemporanéité entre la date à laquelle les manquements reprochés à l’employeur se sont produits, et la date à laquelle le salarié prend l’initiative de solliciter la résiliation judiciaire ou la prise d’acte de la rupture du contrat de travail (3). Au cas particulier, les faits invoqués remontaient à plus d’un an.

Ensuite, la demande de résiliation judiciaire doit être rejetée si les manquements invoqués ont été régularisés à la date à laquelle le juge statue (4).

L’employeur se voit ainsi gratifier en quelque sorte d’une « seconde chance ». C’est précisément ce que confirme, en creux, l’arrêt du 21 juin 2017 puisque plus aucun incident raciste n’était à déplorer après que l’employeur avait sanctionné l’auteur des courriels litigieux sitôt ceux-ci portés à sa connaissance. Rappelons en effet que depuis le 1er juin 2016, la Cour de cassation décide que l’employeur ne méconnait pas (i.e plus) son obligation de protection de la santé des salariés en matière de harcèlement moral, s'il justifie (i) avoir pris toutes les mesures immédiates propres à faire cesser le harcèlement dès qu'il en a été informé (ce qui était bien le cas ici) et (ii) avoir mis en œuvre toutes les mesures de prévention prévues par les articles L. 4121-1 et L. 4121-2 du Code du travail (ce point n’était pas débattu en l’espèce) . (5)

(1) Cass. soc. 26 mars 2014, n°12-21.372 ; Cass. soc. 12 juin 2014, n°13-11.448
(2) Cass. soc. 22 juin 2017 n° 16-11440
(3) Cass. Soc. 19 novembre 2014, n°13-17.729
(4) Cass. soc. 1er juillet 2009 n° 07-44.198 ; Cass. soc. 21 janvier 2014 n° 12-28.237
(5) Cass. soc., 1er juin 2016, n° 14-19.702





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