Ouverture du procès de la tentative d’assassinat de l’ex-avocat Karim Achoui
Chroniques judiciaires - Pascale Robert-Diard, 17/09/2013
Le cas est sans doute unique dans les archives judiciaires. Devant la cour d'assises de Paris, mardi 17 septembre, Karim Achoui se présentera en qualité de partie civile, victime d'une tentative d'assassinat, après avoir successivement occupé ces dernières années les bancs de la défense, comme avocat pénaliste de plusieurs figures du milieu, et la place de l'accusé, lorsqu'il a été jugé pour complicité dans l'évasion du braqueur Antonio Ferrara – condamné à sept ans de prison en 2008, il a été acquitté en appel en 2010.
Face à lui, dans le box, comparaissent six hommes, dont trois présentent des casiers judiciaires chargés. Dix condamnations pour Djamel Hakkar, suspecté d'être le commanditaire de cette tentative d'assassinat, onze pour Jacques Haddad, fiché au grand banditisme, sept pour Ruddy Terranova, formellement reconnu par Karim Achoui comme étant celui qui lui a tiré dessus à deux reprises le 22 juin 2007.
Ce soir-là, vers 22 heures, l'avocat, âgé de 39 ans, quitte son cabinet du boulevard Raspail à Paris, dans le 7e arrondissement, en compagnie d'une amie. Il a appris dans la journée sa condamnation à un an de prison, 10 000 euros d'amende et cinq ans d'interdiction d'exercer pour avoir imité la signature de son ex-femme dans l'achat d'un commerce de chaussures. Alors qu'il se dirige vers sa voiture, il voit surgir deux hommes à scooter. Le passager, casqué, sort une arme de poing d'un sac qu'il porte en bandoulière. Karim Achoui se met aussitôt à courir, mais il est atteint de deux balles de 11,43 sous l'omoplate et dans le fessier.
Après quelques semaines durant lesquelles il est entre la vie et la mort, Karim Achoui reçoit les journalistes sur son lit d'hôpital et met en cause explicitement les services de police dans cette tentative d'assassinat. "Pour certains flics, en particulier une frange de la brigade de répression du grand bandistime (BRB), j'étais l'homme à abattre." Plus tard, sur un plateau de télévision, il insiste : "Autour de moi, il y a des gros voyous, dont certains sont sortis de prison grâce à ma défense. Je pense que je gêne un certain nombre de policiers. A un moment précis, ils ont fait courir le bruit dans le milieu du grand banditisme que j'étais une balance… Ils ont voulu me griller, car je ne suis pas contrôlable." Le renouvellement de ces accusations, avec la mise en cause nominative d'un policier dans son livre L'Avocat à abattre, lui vaudra une condamnation pour diffamation.
Après cinq ans d'enquête, l'instruction du juge Patrick Gachon parvient à une tout autre conclusion: l'ex-avocat – il a été radié du barreau en 2012 – aurait bien fait l'objet d'un contrat du milieu. Les témoignages recueillis auprès de ses collaborateurs évoquent le mécontentement de plusieurs de ses clients et les menaces dont le pénaliste faisait l'objet, qui l'avaient d'ailleurs conduit à faire appel à des agents de sécurité. L'un des trafiquants de drogue que Karim Achoui avait défendus devait même confier au policier son étonnement que "personne n'ait tenté de le tuer plus tôt que ça". Un autre déclarait : "Il y a beaucoup de gens qui ne l'aiment pas. On a tous rigolé quand on a vu qu'il accusait la police. De toute façon, il ne peut pas dire que c'est un de ses clients qui lui a tiré dessus, ne serait-ce que pour son image. »
Montants d'honoraires jugés trop élevés, promesses de jugement clément "parce qu'il disait qu'il connaissait le juge" non tenues, accusations de détournement d'argent ou de "balance" sur fond de règlement de comptes entre bandes rivales, relations entretenues avec la compagne d'un de ses clients pendant que celui-ci était incarcéré : au procès qui s'ouvre devant la cour d'assises de Paris, ce ne sont pas tant les charges – parfois fragiles – accumulées contre les six hommes accusés de tentative d'assassinat qui risquent de retenir l'attention, mais bien l'exercice périlleux et controversé que Karim Achoui faisait de son métier d'avocat.