Les Pussy Riot condamnées, Poutine piégé
Actualités du droit - Gilles Devers, 17/08/2012
Les Pussy Riot : comment les dirigeants d’une des grandes puissances du monde peuvent-ils laisser ainsi piéger… En construisant le piège eux-mêmes ! On n’est jamais mieux servi que par soi même.
Haro sur la juge
De partout, je lis haro sur la juge Marina Syrova qui a condamné Nadejda Tolokonnika, Ekaterina Samoutsevitch et Maria Alekhina, trois compositrices /chanteuses/danseuses du groupe Pussy Riot, à deux ans de camp pour leur show Sainte Vierge, chasse Poutine du 21 février dernier, dans la cathédrale du Christ Sauveur à Moscou.
C’est la perpétuelle question : sévérité des juges ou sévérité de la loi ? Et le juge peut-il appliquer la loi en faisant abstraction du contexte social ?
La loi
Pour ce qui est de la loi, le juge est dans le quasi laxisme. Le maximum encouru était de sept ans de prison, et nos belles amies se retrouvent avec deux ans, et même pas en prison : dans un camp, en régime non sévère. La période de détention provisoire faite en prison est décomptée.
Le juge aurait pu faire davantage, bien sûr, en puisant dans la jurisprudence de la CEDH sur la liberté d’expression, qui protége toutes les idées, même celles qui choquent, qui heurtent ou qui blessent (Handyside, 1976). Mais ne demandez pas un juge de réécrire la loi.
Le contexte et le poids de l’Eglise
Et puis il faut avoir zapé le contexte social pour ne taper que sur la juge.
L’Eglise orthodoxe, très majoritaire en Russie, a été très dure contre les « hérétiques ». Le porte-parole du patriarcat, Vsevolod Tchapline, avait estimé que les jeunes femmes avaient commis un « crime pire qu’un meurtre » et devaient être « punies ». En avril et à l’appel du patriarche Kirill, une prière collective avait regroupé des dizaines de milliers de fidèles devant la cathédrale, pour « corriger le sacrilège ». Neuf personnes, affectées au service de cathédrale, étaient parties civiles, et leur avocat, qui est le conseil habituel de l’Eglise, avait dans une interview au journal Moskovskie Novosti dénoncé « une petite pointe de l’iceberg extrémiste qui œuvre à détruire les piliers millénaires de l’Eglise orthodoxe » et ayant l’appui « des véritables ennemis et de l’Etat, et de l’orthodoxie ».
Hier, après la condamnation, l’Eglise a appelé à la clémence… A tout pêcheur miséricorde,…mais en commençant alors par le patriarche Kirill qui avait bien allumé le feu.
Poutine à la manœuvre… et piégé
L’excellent Le Monde (Occidental) nous explique que Poutine a tout manigancé et se frotte les mains. Je crois plutôt qu’il n’a en tête que les grands enjeux du pouvoir, qu’il néglige totalement la question des droits pensant la régler par la répression, et qu’il se fait rattraper par les évènements.
Dmitri Medvedev, qui était président à l’époque des faits, avait appelé à ne pas dramatiser l'affaire. Vladimir Loukine, le délégué aux droits de l'homme du Kremlin, avait qualifié les Pussy Riot de « polissonnes ». Sur la télé russe, il avait déclaré que la détention des jeunes femmes était « totalement contraire à notre loi », ajoutant : « Qui plus est, dans un Etat laïc, cette affaire n’est certainement pas criminelle, administrative tout au plus, et doit être jugée comme telle ».
Pour Poutine, c'est un réussite... Il se fait donner des leçons de droits de l’homme par de grands militants désintéressés comme Paul McCartney, Madonna ou Sting… Toutes les capitales occidentales lui font les cornes, et des comités de soutien au Pussy Riot fleurissent dans toute la Russie. Grande réussite et fine manœuvre en effet !
Si les responsables russes continuent sur cette voie, balançant des textes répressifs comme au bon vieux temps, ils auront systématiquement des retours sur le nez, et avec dégâts lourds. Un tribunal russe aurait définitivement interdit les gay prides à Moscou… Ca promet…
Solution : respecter la Convention européenne des droits de l'homme
En réalité, la Russie devra tôt ou tard prendre toute la dimension du choix qu’elle a fait de ratifier la Convention européenne des droits de l’homme et d’accepter le recours individuels. Tous les pays l'ont fait avec retard... Ce n’est pas plus compliqué : les textes et les procédés judiciaires contraires aux principes européens doivent être rectifiés, en préservant les données de la société russe.
Poutine, devant les dégâts, peut commencer par adapter les lois qui ont conduit ces femmes libres en prison. Il peut aussi ne rien faire, et s’apprêter à recevoir d’autres dégelées.