L’affaire des Réunionnais de la Creuse
Actualités du droit - Gilles Devers, 17/02/2014
De 1963 à 1982, 1615 mineurs réunionnais âgés de 6 mois à 18 ans ont été exilés en métropole vers des départements touchés par l’exode rural.
En 1960, la Réunion c’est pas jojo. Une économie contrôlée par une caste, et la misère, un bon terreau pour des revendications indépendantistes alors que le mouvement de décolonisation se lève dans le monde. Michel Debré, se fait parachuter à la Réunion, pour y imposer la marque de l’Etat, et arrimer l’île à la France. Le pouvoir gaulliste, entre autres projets fumeux, avait celui d’organiser le transfert de Réunionnais vers les riantes campagnes françaises et surtout vers son agriculture qui manque de bras. Le brave Michel Debré est élu député en 1963, et il amorce cette pompe à transferts.
Ce plan est mis en œuvre via le Bumidom (Bureau pour le développement des migrations dans les départements d’outre-mer). On commence par des adultes et des mineurs orphelins. Mais les lascars du Bumidom recrutent auprès des familles démunies et de parents illettrés, en faisant miroiter un avenir fait d’études, de beau métier et de bonheur pour la famille. Avec pour méthode, l’abandon d’enfant et le consentement à l’adoption. Les liens familiaux sont cassés.
A Orly, le ton n’est plus le même : direction la campagne profonde, avec comme destinations privilégiées, la Creuse, le Gers, le Tarn… Pour quelques-uns c’est potable, mais pour le plus grand nombre c’est le jeu de massacre : DDASS, enfants placés, adoptions arrangées, travaux de la ferme, main d’œuvre des chantiers, délinquance… Des vies cassées.
Tout le monde sait que c’est devenu une sale affaire. Les premiers rapports sont publiés, et dans les départements concernés, les services de l’Etat pointent les dysfonctionnements. Mais rien ne change. Il faut attendre 1982 pour l’arrêt de ces migrations forcées et la dissolution du Bumidom. Entre 1963 et 1982, 1600 enfants sont concernés, dont 600 pour la Creuse.
En 2002, l’une des personnes concernées, Jean-Jacques Martial, dépose plainte… Un échec assuré, car les faits sont prescrits. Mais l’Etat fait semblant de se bouger et confie à l’IGASS un rapport, qui dénote bien des difficultés – que la vie est compliquée, ma brave Dame – mais écarte toute responsabilité de l’Etat. Objectivement, le doute plane souvent sur le consentement réel des parents à l’abandon de leurs enfants en vue de l’adoption, mais le rapport distribue les indulgences aux services. La coupure des ponts avec La Réunion était alors considérée comme une nécessité éducative... Et puis les dossiers ont été mal tenus, d’autres égarés… On met en avant des réussites individuelles, qui méritent plus que le respect, mais n’ont pas pour effet d’absoudre l’Etat de sa violence comportementale. Bref, admettre ses fautes, reconnaître les dommages causés et payer ? Jamais.
Ces enfants ont été retirés de leur famille par une violente politique d’Etat, au mépris de la parentalité, de la vie familiale, de la vie sociale et culturelle, et dans un contexte puant la xénophobie. Mais, en fait, il ne n’est rien passé.
Et il ne se passera rien. Pour se faire un peu de pub, le groupe soc’ à l’Assemblée nationale nous prépare pour demain un joli brassage d’air avec une « résolution » n° 1716 (Constitution, art. 34-1) relative aux enfants réunionnais placés en métropole dans les années 1960 et 1970.
Une motivation grandiloquente : « La France, patrie des droits de l’Homme, dispose aujourd’hui de l’occasion de contribuer à la restauration de ce passé et à la résorption des fractures passées. La déclinaison locale des politiques de l’État a pesé lourdement sur de jeunes enfants. Public qui aurait dû être protégé et tout particulièrement leur identité et leur mémoire. Si le préjudice est inestimable et irréparable, la République doit tenter de réconcilier ses pupilles, ses Réunionnais déplacés, avec leur histoire ».
Et après, du pur bidon de chez bidon. Je vous laisse prendre connaissance de ce chef d’œuvre.
« Vu l’article 34-1 de la Constitution
« Vu l’article 136 du règlement
« Considérant que l’État se doit d’assurer à chacun, dans le respect de la vie privée des individus, l’accès à la mémoire
« Considérant que les enfants, tout particulièrement, doivent se voir garantir ce droit pour pouvoir se constituer en tant qu’adultes
« Considérant que dans le cas du placement des enfants réunionnais en métropole entre 1963 et 1982 ce droit a été insuffisamment protégé
« L’Assemblée nationale :
« 1°) Demande à ce que la connaissance historique de cette affaire soit approfondie et diffusée.
« 2°) Considère que l’État a manqué à sa responsabilité morale envers ces pupilles.
« 3°) Demande à ce que tout soit mis en œuvre pour permettre aux ex-pupilles de reconstituer leur histoire personnelle ».
Et donc ?
De la fumée : approfondir la connaissance, responsabilité morale… et « reconstituer les histoires personnelles ». Tout ceci, « en demandant à ce que tout soit mis en œuvre… ». On va donc ranimer la guerre des mémoires pour un peu de commisération, un peu de pub frelatée et surtout la volonté de ne pas ouvrir le dossier.