Contre les gravures de démocratie...
Justice au Singulier - philippe.bilger, 24/06/2019
Il y a des gravures de démocratie comme il y a des gravures de mode. Le culte des apparences, de leur apparence. L'enthousiasme pour la superficialité. Mais tout n'est pas si simple. Il y a des questionnements sur l'intime qui pourraient ne pas être scandaleux.
Par exemple Bernard de La Villardière a récemment suscité une polémique à Voltage parce qu'il a déclaré qu'il aurait bien aimé questionner le président sur sa sexualité. Alors que le freudisme est partout et qu'on explique tout par le sexe, cette interrogation serait interdite ? Alors que Brigitte Macron, certes en toute pudeur, n'hésite pas nous décrire leur couple comme "très fusionnel" et ouvre donc la porte à des intrusions plus discutables, il serait honteux de se pencher sur le rapport capital qu'on entretient avec sa sexualité, quelle qu'elle soit, et les conséquences qu'elle emporte dans la vie pratique, dans notre quotidienneté ?
Thierry Lévy, cet ami disparu et qui manque tant, soutenait qu'on a "la parole de son corps". N'aurait-on pas de la même manière les discours et les actions de son rapport au sexe et de la conception du monde qu'il induit ?
D'autant plus que nous savons bien, pour le percevoir en nous-mêmes - et j'ai été témoin, par mon goût de l'analyse, de beaucoup de ces relations entre l'intime de soi et le transparent du verbe ou de l'action - que nous sommes gouvernés, quoi qu'on en ait, par des humeurs qui viennent de loin, des forces ou des faiblesses surgies de nos tréfonds. J'ose dire que nous ne sommes libres qu'en partie. Soumis et à la fois autonomes.
Pour dépasser le cas de Bernard de La Villardière, il est clair que dans l'espace politique et médiatique, il y a un risque constant d'être jugé sur des éléments aussi capitaux que mon cheveu sur la langue ou, pour Nathalie Loiseau, son inaptitude à une présentation gracieuse ou, pour l'humoriste Charline Vanhoenacker, le fait qu'elle n'est pas Ava Gardner !
On comprendra aisément pourquoi j'évoque Nathalie Loiseau qui n'a pas été ménagée sur le plan esthétique alors que son fond aurait dû nous importer et cette humoriste belge qui n'est pas à critiquer sur ce dont elle n'est pas responsable mais sur les ridicules et aigres sottises qu'elle a proférées sur Salut les Terriens et Sud Radio (Le Parisen).
Il est préoccupant que dans l'appréciation des citoyens, la part futile prenne de plus en plus de place : j'entends la part de nature, celle contre laquelle on ne peut rien, celle avec laquelle on s'arrange tant bien que mal, celle qui vient au premier plan alors qu'elle se trouve être un terreau à partir duquel s'invente l'essentiel.
Quoi qu'on pense de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, j'ai détesté qu'on focalise sur les tics de l'un et l'air emprunté de l'autre. Je n'aime pas davantage que Donald Trump qui semble réussir sur le plan intérieur et n'est pas éloigné d'une réélection soit moqué sans cesse sur son physique et ses attitudes immédiates même s'il semble prendre plaisir en certaines circonstances à se caricaturer.
Il m'est arrivé de tomber dans ce travers, la grâce et l'élégance incontestées de Barack Obama, sans cesse mises en avant, n'ont pas offert la moindre garantie sur son excellence présidentielle.
De la même manière qu'avant, le mythe Kennedy si peu justifié s'est appuyé sur un responsable plus charismatique qu'exemplaire. Le vernis plus que la substance. Et que le formidable premier mandat de Richard Nixon a cloué le bec à ceux qui ne l'appréhendaient qu'au travers, selon eux, d'une "sale gueule".
Pour la France, combien de fois, pour les personnalités auxquelles on prête un avenir certain dans la reconstruction de la droite et pour l'échéance présidentielle, ai-je entendu l'expression d'une désolation esthétique, comme s'il était grave, et offensant pour la République, qu'un Xavier Bertrand ou qu'un Bruno Retailleau ne soient pas Alain Delon ou même Jacques Chirac dont l'allure a parfois fait oublier l'immobilisme !
Je suis lassé, je l'avoue, par ce primat de l'esthétique qui par exemple n'a pas été pour rien dans le succès d'Emmanuel Macron dont l'épouse a subi scandaleusement le pire en sens inverse. Ce culte de l'apparence comme critère démocratique, me paraît dangereux parce qu'il révèle des prédispositions à la contemplation de soi, à une forme d'autarcie satisfaite, à la bienveillance constante du regard qu'on porte sur soi. On se mire dans la glace républicaine comme on se fait beau dans son quotidien.
Je n'irais pas jusqu'à soutenir "Vive les laids, les neutres" mais je rêve pour notre démocratie de caractères qui ne soient pas tentés par eux-mêmes, qui puissent se défaire de soi et chez qui la médiocrité de l'apparence est un plus pour se fuir et n'avoir à s'occuper que des profondeurs et des réalités de la vraie vie, qu'elle soit intellectuelle, artistique, médiatique, politique ou autres.
Pourtant, dans l'activité de l'esprit, pour la parole, pour la tenue, pour la politesse, pour tout ce dont on a la responsabilité d'en être les créateurs, je suis conscient de l'importance de l'esthétique. Celle-ci est une exigence qui non seulement ne contredit pas l'essentiel mais l'orne et le sublime.
Mais que les citoyens soient de grâce préservés des gravures de démocratie ! Sinon ils y perdraient beaucoup.