Aïn al-Arab
Actualités du droit - Gilles Devers, 9/10/2014
Aïn al-Arab est la troisième ville syrienne, de 400 000 habitants, proche de la frontière turque, avec une importante population kurde. Vous ne connaissez pas Aïn al-Arab ? Alors, parlons de Kobané. Dans le contexte de la désagrégation de l’Etat syrien, Aïn al-Arab est devenu pour nos braves cerveaux de consommateurs d’informations, Kobané. La ville se trouve depuis plusieurs mois exposée à la progression des combattants de Daech, hors de la zone de contrôle militaire syrien. La population a quitté la ville, et restent des combattants Kurdes, courageux et sous-armés.
Nos sympathiques médias nous appellent ces jours-ci à pleurer sur le sort de cette ville de gentils Kurdes livrés aux assauts des méchants djihadistes. Pleurons sur commande, donc, et il y a de quoi,… mais ça n’empêche pas de réfléchir un peu.
Le sort de la ville et de ses habitants est d’abord le fruit des années d’efforts des Etats-Unis et de son sinistre allié, l’Arabie Saoudite – les grands boss de toutes les formes d’intégrisme – avec une politique systématique de destruction des Etats puissants de la région : l’Irak, la Syrie et la Libye. Kobane n’est pas une ville kurde. C’est une ville syrienne à majorité kurde, et si l’Irak et de Syrie n’avaient pas été démolis par les bandits de Washington, il n’y aurait aucun problème de sécurité à Aïn al-Arab. C’est clair.
Erdogan, qui voit tout ce qu’il peut gagner en devenant un pivot sunnite dans la région, agit ouvertement pour le reversement du régime de Damas. La Turquie est un gros morceau de l’OTAN, et Erdogan s’est résolu à rejoindre la coalition cornaquée par Obama. Mais, loin des discours guerriers, les troupes turques restent sagement derrière la frontière… qui n’est pas la frontière avec le Kurdistan (…), mais avec la Syrie.
La Turquie n’est pas prête pour une guerre sur un territoire étranger. Envoyer des apprentis djihadistes pour combattre l’armée syrienne dans des groupuscules incontrôlés est une chose,… mais laisser les soldats turcs poser une semelle en Syrie en est une autre. Les petits guerriers en fromage blanc genre les chroniqueurs du Monde (Occidental) stigmatisent l’inaction de l’armée turque, soudain devenue responsable tout. Mais qui ne voit dans quel bourbier serait plongée l’armée turque, venant combattre sur le sol syrien ?
Et puis il faut clarifier,… un minimum. Les combattants kurdes se sont inscrits dans le mouvement armé contre Assad, mais quel est le but véritable : renverser Assad et changer la structure du pouvoir à Damas, ou gagner une indépendance pour devenir partie d’un Kurdistan libre ? Erdogan sait que pour ces combattants, l’indépendance d’un Etat kurde est le seul mobile, la lutte contre Assad n’étant qu’une nécessité. Alors, comment l’armée turque pourrait-elle venir prêter main forte à ceux dont le but est la création d’un Etat, qui amputerait la Turquie d’une part de son territoire ? Une alliance objective avec le PKK, le Parti des travailleurs du Kurdistan ? Autant rêver… Sauf que l’importante communauté turque proteste, et vigoureusement. Les manifestations sont nombreuses en Turquin avec le bilan d’une vingtaine de morts, et plusieurs province sous couvre-feu.
Les Etats-Unis font les malins, et expliquent que ce qui arrive à Kobané est triste, mais que l’enjeu est la défense de Badgad. Oki. Sauf que cette bataille de Kobané montre, outre les conséquences du jeu mortifère qu’a été la casse des Etats,… et la vanité totale de la coalition. Que peut faire la coalition ? Rien, à part quatre bombardements par jour sur des cibles de plus en plus difficiles à trouver. Cette stratégie militaire est nulle : elle offre juste de belles victoires à Daech… Face 15.000 combattants, qui ne seraient rien sans des relais locaux d’une population éreintée par les pouvoirs politiques, rien n’est possible sans une force au sol et disposant de relais locaux. Et çà, ce n’est pas demain la veille… Les US qui n’ont su créer d’armée ni en Afghanistan, ni en Irak, y parviendraient maintenant, en formant des soldats sunnites, destinés à combattre des groupes armés sunnites, et pour renforcer les pouvoirs chiites de l’Irak et de son allié syrien ? Aberrant… En attendant, les Kurdes de Syrie, d’Irak et de Turquie, qui misaient tout sur l’allié US voient, à l’épreuve des faits, ce que vaut un discours d’Obama.
La France propose d’établir une « zone tampon ». Gentils stratèges que Hollande et Le Drian… Qu’ils méditent un instant sur leur échec au Nord-Mali, avant de s’aventurer entre l’Irak et la Syrie…
L’Iran entre le jeu, et sur les bases les plus établies. Cet allié de la Syrie a apporté un aide constante, sans implication militaire directe, mais devant la menace que représente Daech pour la région, l’Iran laisse entendre qu’il pourrait passer à la vitesse supérieure. « Kobane relève de la souveraineté et de l’intégrité territoriale de la Syrie, et si son gouvernement nous demande un concours, nous sommes prêts à l’accorder », a indiqué la porte-parole de la diplomatie iranienne Marzieh Afkham. D’autant plus légitime que la coalition internationale, qui a exclu l’Iran, pourtant géographiquement plus concernée que l’Arabie Saoudite, pleure sur Koba. Pour lutter contre Daech, Téhéran propose une politique très logique : le renforcement des gouvernements irakien et syrien. Imparable, mais cet appui iranien est irrecevable par la grandiose coalition mondiale.
Et pourtant… A terme, dans cette spirale de la destruction, et quelques soient les vues des uns et des autres, rien ne peut s’envisager de durable dans la région sans reconnaitre le rôle central de ces Etats à l’histoire millénaire. Des pays qui étaient déjà de grandes civilisations quand les Indiens vivaient paisiblement sur leur terre, en Amérique du Nord.
Daech va donc récupérer Kobané, et contrôlera un large territoire près la frontière syro-turque. Gardez ouvert le dossier Daech : il y en a pour des années.