Le nouveau monde est en retard...
Justice au Singulier - philippe.bilger, 2/09/2018
Le nouveau monde est en retard et l'ancien ne désarme pas.
De quelque côté qu'on les appréhende, ces derniers mois montrent que la machine présidentielle se grippe et que l'efficacité gouvernementale bat de l'aile. Rien n'est devenu médiocre mais insensiblement, la difficulté des temps prend le pas sur l'éblouissement des débuts et de partout, pour la France comme pour l'Europe et le monde, les vents mauvais soufflent. D'un coup, la magie est retombée. Ainsi ce quinquennat a une tonalité ordinaire !
Le paradoxe est que ce constat est d'autant plus traumatisant que le quinquennat avait démarré sur les chapeaux de roue et s'était poursuivi durant à peu près un an sur un mode remarquable. L'excellence, la tenue, la discrétion, le professionnalisme, la solidarité, la cohérence, le courage politique et la vertu publique étaient de retour et c'était comme une bouffée d'air démocratique qui faisait mieux respirer la France.
Puis les choses ont changé.
Je suis fasciné, dans la quotidienneté comme en politique, par ces moments où la bascule s'accomplit. Où la liberté et la spontanéité se dégradent, où les aurores s'affadissent et où ce qui apparaissait irrésistible, dominateur et indépassable se délite.
On sent bien que pour ce quinquennat déjà bien entamé, les causes de cette banalisation sont multiples. Il ne faudrait pas négliger, pour leur élucidation, l'objective dureté de l'environnement, le tempérament rétif des Français qui souhaitent en effet la réforme mais pour le voisin et, plus généralement, le fait qu'un pouvoir n'arrive jamais en terrain conquis mais que peu à peu le réel reprend le dessus et qu'il lui arrive de faire mal.
Mais à côté de cela qui n'est pas rien, d'autres raisons révèlent que, pour l'instant, l'artiste a perdu la main.
Je voudrais attirer l'attention de ceux qui ont tendance à sous-estimer les exigences éthiques et l'obligation d'une rectitude présidentielle constante et entière, sur la concomitance entre les premières dérives sur ce plan et le surgissement de l'amateurisme dans une pratique politique de maîtrise et de gouvernement qui s'était vantée de sa qualité par rapport aux précédents quinquennats. La morale a connu des ratés et la politique des couacs.
Faut-il rappeler la multitude des épisodes troublants, de Benalla à Besson, de Nyssen à Pénicaud, d'Emelien à Kohler, qui projettent une lueur délétère, qu'elle ait ou non une issue judiciaire, sur un mandat qu'on aurait rêvé de voir à l'abri, intouchable ?
En Europe, la voix d'Emmanuel Macron est toujours aussi forte mais est de moins en moins entendue. Le couple franco-allemand perd de son influence et la volonté d'en découdre avec le front Orban-Salvini est maladroite de la part du président car en dénonçant les nationalismes, notre président renforce leur discours déjà probablement majoritaire. Il détourne aussi de l'esprit européen authentique qui ne devrait pas être le refus des Etats et des patriotismes mais leur éventuel dépassement quand ils sont à court de solutions purement nationales. Une Europe avec les peuples plus que contre eux.
Sa démarche toute d'empathie et d'intelligence avec Donald Trump - le caresser dans le sens d'une rationalité espérée - a montré ses limites car le président des Etats-Unis est non seulement un goujat - son absence à l'enterrement de McCain pour jouer ostensiblement au golf est d'une indécence absolue - mais surtout une personnalité totalement imprévisible qui obtient de grands succès sur le plan intérieur mais dérègle à loisir l'international. Son unique système est de dire non quand le oui est dominant, oui quand le non serait bienvenu.
Pour la France, je ne sais pas si le président et son gouvernement ont "tué" le pouvoir d'achat mais il est clair en tout cas que c'est prendre les retraités pour des imbéciles que de tenter de leur démontrer qu'ils gagnent à perdre de l'argent !
Dans un autre domaine, comme on est loin de l'ambition d'une politique pénale soucieuse des moyens et consciente de l'obligation de susciter, par sa vigueur, sa cohérence, son humanisme non niais, enfin la confiance des citoyens ! Comme on est éloigné aussi de ce triptyque capital qui, dans la République, devrait réunir le pouvoir politique, la police et la Justice pour la réussite des deux dernières dans leur combat contre la délinquance et la criminalité, avec une solidarité malheureusement jamais acquise !
Un funeste projet va banaliser la cour d'assises en privant les citoyens de l'honneur de juger les accusés de viols. Le peuple va donc être spolié quand on a tout fait, sur les plans politique et médiatique, pour le convaincre de l'importance de cet enjeu !
Marlène Schiappa aspire à faire de la défense légitime de la cause des femmes un quadrillage délirant du quotidien, dépossédant l'humain de sa liberté, de sa responsabilité et de son pouvoir de résistance ou de retenue. Pour les infractions sexuelles sur mineurs, elle a abandonné malheureusement le principe d'une présomption absolue de non consentement à partir de 13 ou 15 ans. Les conséquences judiciaires en seront entravées.
Le vaudeville lié au prélèvement des impôts à la source est éclatant, pour la démonstration d'une organisation qui prend l'eau, même pour des citoyens eux-mêmes peu familiers avec ces mécanismes (JDD).
Fluctuations et fiasco dont on espère qu'ils ne sont surtout pas dus au fait que ce projet avait été initié par François Hollande qui ne dit pas que des bêtises dans sa reconquête inconcevable ; mais faut-il en politique insulter l'avenir surtout avec un socialisme étique et orphelin ? Quand aigrement il critique Emmanuel Macron en soutenant qu'il ne suffit pas d'empiler les réformes mais qu'il convient d'avoir une vision présidentielle (même s'il ne l'a pas eue), il a raison.
La démission courageuse et responsable de Nicolas Hulot, dans un univers qui a oublié que l'important n'était pas d'être ministre mais d'accomplir, manifeste pour le moins que son bilan n'était pas jugé bon, par celui qui était le mieux placé pour l'apprécier et l'évaluer même si une ironie gouvernementale l'a prétendu tel .
La culture est plombée par de maigres avancées et par une ministre qui a perdu tout crédit. Il ne suffit pas de régulariser le transgressif mais de se dispenser de celui-ci.
Le remaniement qui sera annoncé le 4 septembre remplacera Nicolas Hulot, c'est sûr. Je parie pour Sébastien Lecornu mais j'ai un doute : il semble fait pour ce poste.
On n'ira sans doute pas plus loin dans le remaniement. Il ferait beau voir que la médiocrité de tel ou telle puisse être un critère déterminant pour l'exclure quand le décret présidentiel va décider de tout !
Le nouveau monde est en retard en effet. Arrivera-t-il jamais ?