Guide Data Culture : enfin un pas en avant pour l’ouverture des données culturelles
:: S.I.Lex :: - calimaq, 29/03/2013
En matière d’Open Data, les données culturelles accusent un retard conséquent en France, que j’ai eu l’occasion de déplorer à plusieurs reprises sur S.I.Lex, mais la parution récente d’un Guide Data Culture marque enfin un signe encourageant envoyé par le Ministère de la Culture, pour la politique d’ouverture des données.
Soumises à un régime particulier « d’exception », la réutilisation des données produites par les institutions culturelles a suscité un certain nombre de blocages et de difficultés ces dernières années, que j’ai résumées dans la présentation ci-dessous, avec un point sur les évolutions en cours au niveau européen. Cette crispation s’est notamment traduite encore le mois dernier par le fait que les données culturelles restent absentes de la nouvelle feuille de route du gouvernement pour la relance de la politique d’Open Data
Mais peut-être les choses sont-elles en train de commencer à évoluer, si l’on en croit ce qu’on lit dans le Guide Data Culture, publié le 22 mars dernier sur le portail Etalab. Ce rapport, signé par Camille Domange, correspondant Open Data du MCC et réalisé au niveau du département des programmes numériques, constitue à mon sens le premier signe clair envoyé par le Ministère de la Culture en faveur d’une politique d’ouverture des données culturelles.
L’exception culturelle compatible avec l’Open Data
Bien que rappelant le cadre de l’exception culturelle inscrit dans la loi du 17 juillet 1978, le guide en propose une lecture souple, compatible avec la démarche Open Data. Les institutions culturelles disposent en effet de la latitude de « fixer les conditions de réutilisation » des données qu’elles produisent et jusqu’à présent, elles ont plutôt eu tendance à utiliser cette faculté dans un sens restrictif. Le rapport Data Culture montre que l’exception culturelle peut tout autant être utilisée en faveur de l’ouverture (p.21) :
En d’autres termes, la faculté offerte aux établissements, organismes ou services culturels dans la détermination de leurs régimes de réutilisations ne doit par être perçue comme un bouclier entravant l’innovation dans le secteur culturel mais au contraire comme le moteur d’une stratégie numérique favorisant une dissémination et une réutilisation maîtrisées des données publique.
Le schéma ci-dessous est encore plus explicite, puisqu’il indique que l’exception figurant à l’article 11 de la loi ouvre « une grande latitude pour opérer une stratégie de diffusion et de réutilisation des données sur le web« , dans le sens de l’ « Open Data Culture » et du « Linked Open Data Culture« .
C’est une grande avancée par rapport aux orientations officielles précédentes du Ministère, notamment celles figurant dans le rapport « Partager notre patrimoine » paru en 2010, qui recommandait d’ouvrir les données à la réutilisation tout en maintenant des redevances pour les usages commerciaux, ce qui est incompatible avec les principes de l’Open Data.
Faire de la gratuité le principe
Le rapport Data Culture conseille cette fois de faire de la réutilisation libre et gratuite le principe, en réservant la mise en place des redevances à des cas exceptionnels, ce qui revient en réalité à réintégrer les données culturelles dans le régime de droit commun :
Une analyse fine du marché de la donnée publique dans le secteur culturel met en exergue qu’à l’exception des grand projets de réutilisation menés par de grands établissements publics, le plus souvent des établissements publics à caractère industriel et commercial, le bénéfice financier reste faible ou représente des revenus marginaux. A ce titre, une mise en balance des intérêts de l’Institution doit être réalisée entre les revenus financiers réalisés en matière de réutilisation de ses données et la stratégie numérique de dissémination, de visibilité et d’économie de notoriété qui peut être développée par une ouverture plus grande des données.
Il est donc clairement assumé que les données culturelles ne sont pas la poule aux oeufs d’or que certains voulaient y voir et que l’ouverture peut s’avérer plus intéressante en terme d’intérêt général que les stratégies de monétisation.
Recourir aux licences ouvertes
Tirant les conclusions de cette analyse, le rapport recommande aux institutions culturelles d’utiliser la Licence Ouverte/Open Licence d’Etalab, qui autorise toutes les formes de réutilisation des données, y compris commerciales, à condition de citer la source :
Un contrat de licence de rétilisation consenti à titre gratuit a été élaboré dans le cadre d’un groupe de travail conduit par la mission Etalab. . Ce contrat, qui s’appuie sur les dernières versions des licences libres et gratuites élaborées par les Administrations, a vocation à bénéficier aux réutilisateurs qui disposent ainsi d’un outil juridique adapté à la réutilisation gratuite et au souhait de favoriser l’innovation et le développement de l’économie numérique. Le recours à ce contrat de licence est fortement recommandé en ce qu’il permet de fixer par écrit les conditions de réutilisation des informations publiques.
Le rapport propose bien un modèle de contrat de licence consenti à titre onéreux, mais il prend la peine de l’accompagner de cette indication :
Le contrat Open Licence doit être le contrat type appliqué par le plus grand nombre afin de favoriser un mouvement Open Data dans le secteur culturel. Le contrat de licence consenti à titre onéreux doit être utilisé seulement dans des cas exceptionnels et justifiés par les services producteurs.
Mieux encore, au-delà de la dimension Open Data, le rapport incite également les établissements à se lancer dans des approches d’Open Content, c’est-à-dire de libération des contenus numérisés, notamment en ce qui concerne les oeuvres du domaine public. A cette fin, il incite à l’emploi de la Public Domain Mark, développée par Creative Commons et déjà recommandée par Europeana. Cette instrument permet une diffusion du domaine public numérisé, dans le respect de son intégrité, sans ajout de nouvelles couches de droits comme on peut souvent le déplorer.
Le rapport envisage également sous un jour favorable les stratégies de dissémination de contenus sur des plateformes extérieures, et notamment les partenariats avec Wikipédia. Au passage, il indique à propos de la licence Creative Commons CC-BY-SA, utilisée par l’encyclopédie collaborative que « Cette mise à disposition ouverte des oeuvres de l’esprit ne pose pas de difficulté théorique majeure au regard du système du droit d’auteur français« , ce qui est loin d’être anodin.
Certes, le rapport Data Culture ne dissimule pas que certains problèmes particuliers peuvent se poser en matière d’ouverture des données culturelles, comme par exemple la nécessité de protéger des données personnelles ou la présence de droits de propriété intellectuelle de tiers. Mais il indique que ces difficultés ne sont pas insurmontables et fournit des pistes de solution, sous la forme par exemple de très utiles clauses à insérer dans les contrats avec les prestataires pour garantir à l’administration qu’elle se fait bien céder tous les droits de propriété intellectuelle.
La limite de l’ouverture volontaire
Il y a donc vraiment lieu de saluer ce rapport, qui donnera aux nombreux porteurs de projets d’ouverture des données dans le champ culturel de nombreux éléments pour convaincre leurs tutelles et les moyens juridiques de les mettre en oeuvre. Il recoupe largement les recommandations du rapport Open Glam, qui avait été adressées l’an dernier au Ministère de la Culture par plusieurs associations.
La seule limite de cet exercice que l’on peut relever est d’avoir travaillé à droit constant, sans proposer de révision du cadre de la réutilisation des données culturelles. Il en résulte que les établissements culturels restent libres ou non de s’engager dans l’ouverture de leurs données, alors que pour les administrations centrales, la circulaire du 26 mai 2011 a mis en place le principe d’une mise à disposition gratuite sur Etalab.
Si l’on voulait aller plus loin, il ne serait nécessaire ni de modifier la loi, ni d’attendre la révision de la directive européenne de 2003, mais simplement de modifier cette circulaire pour les établissements relevant de la tutelle du Ministère de la Culture soient soumis aux mêmes obligations d’ouverture que les autres.
Suite à la parution de la feuille de route du gouvernement, les différents Ministères avaient jusqu’à la fin du mois de mars pour préciser leurs orientations en matière d’ouverture de leurs données. Il sera intéressant de voir si celles du Ministère de la Culture s’inscrivent dans la lignée des recommandations de ce rapport Data Culture.
PS : last but not least, le rapport est publié sous licence CC-BY, ce qui n’est pas si courant pour un document officiel en France !
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