Des islamistes radicaux ? Non, des touristes !
Actualités du droit - Gilles Devers, 7/04/2012
Dans la belle région de Pau, deux frères de 28 et 23 ans mènent leur petite vie tranquille. Saad a son boulot, tout va bien, et Farid était bien content lundi d’avoir trouvé un job via une agence d'intérim.
Mais un tremblement de terre les attendait mercredi matin.
Saad raconte : « La porte de notre domicile a été fracturée par une quinzaine de policiers du GIGN, notre père jeté à terre, mon frère et moi-même menottés. »
Nous avons tous vu le plan d’attaque, qui a été national : « Vague d’arrestations chez les islamistes radicaux », a chanté la chorale de la presse, sous la direction de Guéant. Eh, chers amis journalistes, vous avez vérifié quoi, avant de reprendre ces sornettes ? On colle les affiches de Sarko ? Pas d’analyse critique ? En droit, il faut quelques motifs pour décider d’une garde-à-vue, non ?
Aujourd’hui, on sait tout du motif de cette arrestation et de cette garde-à-vue pour les deux frères de Pau. Ils avaient effectués un séjour en Asie ! Et la police veille ! Ah ah ah… Ils ont été interrogés pendant 24 heures sur un voyage de 4 mois qu'ils avaient effectué en Asie, et ils ont retracé leur emploi du temps parce que Saad avait tenu un joli carnet de voyage : « Après avoir passé au crible notre emploi du temps qui avait été retracé par mes soins dans un carnet de voyage, le parquet anti-terroriste a prolongé la garde-à-vue pour nous interroger sur notre culte ».
24 heures pour le carnet de voyage en Asie et 13 heures sur la pratique religieuse ! Du délire.
Je précise qu’il y a eu dix personnes arrêtées, et que toutes ont été relâchées sans aucune notification de charge. Vous avez tous vu qu’on peut se faire encabaner pour un « projet intellectuel d’enlèvement » (je ne dis rien de cette affaire, les infos sont trop partielles), et là pour ces dix personnes arrêtées on n’a pas trouvé le moindre « projet intellectuel » pour justifier même d’une présentation au parquet.
Conclusions de cette lamentable affaire.
D’abord l’honneur bafoué de ces personnes, clean au point que même au scanner des plus suspicieuses législations antiterroristes, on n’a rien trouvé. Rien de rien de rien.
Mon confrère Thierry Sagardoytho, du Barreau de Pau, a très bien réagi. Il engage un recours en responsabilité contre l’Etat : « Pour qu'une personne soit mise en garde à vue, il faut qu'il y ait des indices plausibles qui laissent penser que cette personne a commis ou tenté de commettre une infraction. Or, aucun indice ne permettait de penser que mes clients étaient impliqués dans une affaire délictuelle ». Dénonçant « une bavure policière », il explique que ses clients « ont été victimes d'une opération de communication judiciaire qui consiste à vendre la chasse aux islamistes à quinze jours des élections présidentielles », avec une garde à vue « digne d'un western ». Bien vu Thierry, la réplique est parfaite. C’est une faute de l’Etat.
Mais c’est aussi l’illustration de la misère des services du renseignement. Résumons.
Dans l’affaire Merah, on a vu que les services ne maîtrisaient rien. Un jeune un peu en vrac, au casier noir comme un corbeau, avec deux voyages en Afghanistan et au Pakistan (et sans doute d’autres) parvient alors qu’il ne travaille que fort peu, à amasser du fric et des armes. Lorsqu’une mère de famille porte plainte parce que son fils mineur a été séquestré chez ce jeune pour, sous la menace d’un sabre, se faire passer des cassettes de guérilleros et de supplices, la plainte reste sans suite. Et quand le jeune commence à tuer, il faut huit jours et une petite annonce dans la presse pour qu’on se rappelle de son existence.
Quelques jours après, on est allé arrêter les gus de Forsane Alizza,… un groupe archi connu, qui a même son site internet.
Dernier épisode avec cette palinodie des 10 « islamistes radicaux », libérés radicalement sans aucun grief.
Nos amis palois sont dans le bousin, car un tel épisode laisse des traces. Je leur adresse toutes mes amitiés. Mais j’ai bien l’impression – si j’analyse ces trois épisodes publics – que les flics du renseignement sont tout autant dans le bousin. Je leur adresse toutes mes amitiés aussi, car chacun a compris que si ça patauge à ce point, c’est que ça vient de la hiérarchie.
- Un problème, Monsieur l'inspecteur ?
- Je ne parlerai qu'en présence de mon avocat.