La suppression du tribunal correctionnel pour mineurs : un triple message (470)
Droits des enfants - Jean-Pierre Rosenczveig, 20/05/2012
Visitant ce dimanche le tribunal pour enfants de Paris en compagnie de M° Pierre Joxe, ex ministre de l’intérieur et sémillant avocat de 78 ans, la nouvelle garde des sceaux a annoncé son intention de supprimer le tribunal correctionnel pour mineurs mis en place depuis le 1er janvier 2012 sur la base de la loi du 10 août 2011.
Cette annonce était espérée et attendue. On doit se réjouir sans état d’âme de la voir survenir dès les premiers pas de Mme Taubira. Il faut y trouver trois messages.
Premier message : le gouvernement Ayrault entend tenir les engagements du candidat Hollande quand ses adversaires se sont complus durant la campagne à clamer que son programme était vide et, paradoxe, que de toute façon il ne le suivrait pas. Dans un courrier adressé à l’Association Française des Magistrats de la Jeunesse (conf. mes blogs précédents) François Hollande réaffirmait le 28 avril dernier qu’il entendait supprimer ces juridictions d’un nouveau genre. Les moins de 18 ans doivent être jugés pour ce qu’ils sont, c’est-à-dire comme des enfants avec une procédure spécialisée et des magistrats spécialisés. Promesse avancée, promesse tenue. Jeunesse et justice, acte 1.
C’est en effet le deuxième message de François Hollande que de vouloir veiller à un droit spécifique pour les moins de 18 ans. Il entend marquer un coup d’arrêt symbolique à la démolition systématique de la protection judiciaire de la jeunesse engagée depuis 2002, spécialement accentuée depuis 2007 comme l’a rappelé en 2009 le Comité des droits de l’enfant de l’ONU.
On sait que Nicolas Sarkozy comme ministre de l’intérieur et comme président de la république formait le projet d’abaisser la majorité pénale à 16 ans. Ce faisant il serait revenu à avant 1906. Pour lui les jeunes d’aujourd’hui ne sont les plus jeunes d’hier et ont plus de maturité. Dès lors ils doivent être punis comme les adultes qu’ils sont en fait. L’assertion est fausse : les enfants d’aujourd’hui ne sont pas plus matures que ceux d’hier ; le fait qu’ils maitrisent telle ou telle technologie ne doit pas faire illusion ; pas plus que leur taille. On se souvient de l’assertion sarkoziste selon laquelle les halls des tribunaux pour enfants étaient jonchés de grands blacks allongés ! Même grands physiquement, les jeunes que je côtoie sont malheureusement souvent petits dans leur tète. En tous cas, peu matures et généralement incapables de mesurer les conséquences de leurs actes, ce qui ne signifie pas qu’ils ne doivent pas en rendre compte et être punis. Je pourrais multiplier les exemples tirés de ma pratique quotidienne.
L’ancien président s’est heurté au Conseil constitutionnel quand il a voulu avancer vers l’abaissement de la majorité à 16 ans. Sa décision d’août 2002 constitue un obstacle majeur. La Convention internationale relative aux droits de l’enfant en ses articles 1, 37 et 40 constituait un deuxième obstacle.
A supposer que ait été possible il eût fallu mettre en harmonie la majorité pénale avec la majorité civile : comment imaginer qu’on demande à un individu de rendre des comptes comme majeur sans lui reconnaitre les droits d’un majeur ? Les électeurs de M. Sarkozy et d’abord les parents de France auraient-ils admis que leur rejeton de 16 ans soit considéré comme majeur avec notamment le droit de partir de la maison ou de se marier ?
Empêché de mener une attaque frontale sur un point tenu pour essentiel Nicolas Sarkozy et ses conseillers ont donc choisi une autre stratégie : vider de son contenu le statut des 16-18 ans.
Trois mesures majeures y ont contribué :
1° Le retrait du bénéfice de l’excuse de minorité qui veut qu’un mineur encourt une peine moitié moindre que celle encourue par un majeur pour des faits identiques. Deux lois de 2007 ont facilité ce retrait, voire la loi l’enlève automatiquement au mineur doublement récidiviste ... quitte au tribunal à la rétablir avec une décision très motivée. Un jeune de plus de 16 ans peut donc encourir les mêmes peines qu’un adulte jusqu’à la réclusion à perpétuité pour un assassin de 16 ans.
2° Le dispositif des peines-plancher applicable aux majeurs en récidive légale l’est également aux mineurs. Il s’agit ici encore de restreindre la liberté d’appréciation des juges dans le prononcé des peines.
3° La troisième mesure était donc la création du tribunal correctionnel pour mineurs. Pour des délits punis de 3 ans – un vol simple – ou plus, commis en situation de récidive, c‘est-à-dire après une première condamnation à une peine, ce ne sera plus le tribunal pour enfants avec un juge des enfants comme président et deux assesseurs civils qui en jugera, mais le tribunal correctionnel pour mineurs où les deux assesseurs seront remplacés par deux magistrats professionnels non spécialisés donc censés être moins laxistes. A partir du 1er janvier 2014 ces trois magistrats professionnels devaient s’adjoindre deux jurés populaires de telle sorte que le juge des enfants professionnel soit plus sûrement marginalisé. Car il est indéniable qu’avant tout Nicolas Sarkozy se méfiait des juges des enfants sensés être des Pères Noêl laxistes et compassionnels, insensibles au besoin de sécurité de nos concitoyens.
Et c’est bien le troisième message que porte l’annonce de Mme Taubira : il s’agit de commencer à restaurer la confiance que la République porte à ses magistrats, du siège comme du parquet et par-delà aux travailleurs sociaux, dans leur capacité à la fois de mener des réponse éducatives de qualité pour peu qu’on leur en donne les moyens et encore de tenir des postures fermes face à la délinquance juvénile quand il le faut.
Je le répète une fois de plus ici, cette justice est performante : dans 85% des cas les jeunes dont nous préoccupons comme mineurs ne sont plus délinquants une fois devenus majeurs. Pas plus que la médecine ne peut guérir 100 % de ses patients, nous ne pouvons éradiquer le crime systématiquement avant 18 ans. En tous cas la justice pénale de mineurs ne mérite pas l’opprobre à laquelle elle a été vouée 10 ans durant.
Christiane Taubira, dans la foulée de François Hollande, tient à réaffirmer l’importance qu’il y a à mettre en oeuvre pleinement la protection judiciaire de la jeunesse. Contrairement à ce qu’avancent ses opposants, l’ordonnance du 2 février 1945 régulièrement mise à jour, n’est pas ringarde. Ses principes sont bons er demeurent d’actualité, la priorité éducative n’exclue pas la fermeté. Pas d’angélisme mais un travail en profondeur et sur la durée sur la personne du jeune et sur son environnement familial. On n’a pas fait mieux jusqu’ici comme démarche. On n’est pas dans la vengeance sociale, mais dans le souci de conduire un jeune en conflit avec la loi à rebasculer du bon coté. Le but n’est pas de punir, mais d’éviter la récidive. La menace d’une peine n’a jamais empêché un passage à l’acte contrairement à ce que des archaïques comme M. Ciotti peuvent dire.
Faut-il rajouter trois illustrations concrètes pour montrer combien ceux qui nous gouvernaient étaient incompétents ?
1) Quand Mme Dati demandait à la commission Varinard des propositions visant à simplifier la justice des mineurs, non seulement on lui a avancé une nouvelle juridiction, dont on attend qu’outre les mineurs récidivités de 16-18 ans, elle juge leurs complices ou coauteurs majeurs au risque de noyer le tribunal sous des dossiers massifs notamment de trafic de drogue, mais dans le même temps on l’empêche de juger ses complices même âgés de 16-18 ans non récidivistes. Il faut donc couper le dossier en deux : saisir le TCM pour le récidiviste et le TPE pour le non récidiviste. Bonjour la simplification !
2) La loi du 10 août 2011 veut qu’il y ait au moins un juge des enfants parmi les trois magistrats composant le TCM. Résultat on voit des TCM avec 1 juge des enfants, d’autres avec deux, d’autres avec trois. Bonjour l’égalité des justiciables devant la justice !
3) A Bobigny, premier tribunal pour enfants de France, on peine à trouver deux ou trois dossiers pour composer les 25 audiences programmées sur 2012. Parfois une seule affaire est au rôle. On déplace donc trois juges professionnels sur une demi-journée pour une affaire et on préempte un créneau horaire quand on en a si peu pour juger à travers des audiences de tribunal pour enfants. Bonjour la gestion !
Définitivement la suppression du TCM est une bonne chose. Comme je l’ai déjà développé, ici d’autres mesures s’imposent dans et en amont des juridictions pour enfants, à court et à moyen terme.
La majorité sortante s’est délectée sur le thème de la justice des mineurs à faire lois sur lois pour l’affichage politique quand elle avait besoin de remobiliser son électorat. Encore trois en 2011 et une en février 2012. La plupart de ces dispositions ne sont pas appliquées car pas adaptées. Elle aurait mieux fait de prendre des mesures concrètes qui s’imposaient pour que toute mesure éducative décidée soit mise en œuvre sur le champ. Elle est restée dans le champ de l’incantation.
En vérité elle n’a jamais été intéressée par la justice des mineurs. Elle était dans l’ignorance des réalités de terrain. Elle a déconstruit sur des bases idéologiques datées du XIX° siècle un instrument monté patiemment au fur et à mesure des années et performant. Il est encore temps de le reconstruire car ses fondations sont solides et ses personnels dévoués. Il faut toiletter cette jungle législative qui a voulu nous étouffer mais aussi envoyer un message fort aux professionnels. C’est la voie qu’entend apparemment suivre la nouvelle ministre. Il faut concrétiser et poursuivre. La feuille de route est chargée.