Peut-on remixer le symbole Copyright lui-même ?
:: S.I.Lex :: - calimaq, 10/04/2012
Depuis le début de l’année, j’ai le grand plaisir d’être devenu chroniqueur sur OWNI, avec un billet hebdomadaire publié directement sur la soucoupe consacré aux aventures tumultueuses de la propriété intellectuelle dans l’environnement numérique.
Pour illustrer ces billets et leur donner une identité visuelle particulière, l’une des graphistes d’OWNI, Marion Boucharlat, a réalisé chaque semaine une illustration originale, en détournant le symbole du copyright ©, en fonction du thème du billet.
Voici quelques exemples ci-dessous de ses réalisations :
Comme tous les contenus d’OWNI, ces images sont sous licence CC-BY-NC-SA et vous pouvez donc vous-même les réutiliser, en respectant les conditions de la licence.
Marion ayant quitté OWNI récemment (non sans avoir réalisé cette superbe infographie à propos des CGU des grands médias sociaux), je voulais faire un clin d’œil à son travail dans ce billet, en m’arrêtant sur une question qui m’a taraudé ces derniers temps : a-t-on bien le droit de remixer ainsi le symbole copyright lui-même ?
Marque suprême de l’appropriation et de l’interdiction, le © ne serait-il pas lui-même protégé, ce qui ferait des réalisations de Marion… des contrefaçons illicites ? Vous pensez peut-être que la question est saugrenue, mais d’autres (grands malades…) se la posent tout comme moi.
Alors ? Suspens…
Le site de l’INPI (Institut National de la Propriété Intellectuelle) se montre à première vue relativement rassurant :
L’utilisation du sigle © (copyright) est-elle soumise à autorisation ?
Le Copyright est le système de protection des œuvres littéraires et artistiques en vigueur dans les pays anglo-saxons. Il est l’équivalent des droits d’auteur en France.
Les œuvres protégées par le copyright sont souvent identifiées par le sigle ©.
Alors que l’utilisation de ce sigle a une signification précise dans les pays anglo-saxons, aux Etats-Unis notamment, son utilisation n’a aucune portée juridique en France, et n’est donc soumise à aucune autorisation.
Fort bien (même si le terme “utilisation” ne renvoie certainement pas ici au remix), mais qu’en est-il aux Etats-Unis, où le symbole © est apparu pour la première dans le Copyright Act de 1909 ? L’apposition de cette marque était alors nécessaire (et l’est restée jusqu’à ce que les Etats-Unis adhèrent à la Convention de Berne en 1989) pour qu’une oeuvre bénéficie d’une protection.
L’article de Wikipedia nous apprend d’ailleurs que ce symbole est le résultat d’un compromis.
Les rédacteurs de la loi souhaitaient initialement que le terme “copyright” figure en toutes lettres sur les oeuvres pour indiquer qu’elles étaient protégées, y compris pour les… peintures ! Les artistes, soucieux de l’intégrité de leurs oeuvres, ne l’entendaient pas ainsi et voulaient que l’inscription du seul nom de l’auteur suffise. En guise de compromis, on imagina qu’un symbole discret, prenant la forme d’un C dans un cercle, placé à côté du nom de l’auteur, signale qu’une notice de copyright plus complète était consultable ailleurs.
Ce serait finalement un… bibliothécaire (bouhouuuuu !!!), Herbert Putman, Librarian of the Congress de l’époque, qui aurait introduit cette formule dans le texte final de la loi ! Pourquoi un bibliothécaire ? Tout simplement parce que la Bibliothèque du Congrès aux Etats-Unis joue un grand rôle en matière juridique, puisque c’est elle qui abrite le Copyright Office, qui gère l’enregistrement des brevets et des copyrights.
Mais tout ceci ne nous dit pas si le symbole © lui-même est protégé aux Etats-Unis…
Selon le Copyright Office américain, on ne peut revendiquer la protection du copyright pour un certain nombre de choses, dont :
Titles, names, short phrases, and slogans; familiar symbols or designs; mere variations of typographic ornamentation, lettering, or coloring; mere listings of ingredients or contents
Les symboles courants sont donc exclus du champ de la protection et aux Etats-Unis, les caractères typographiques ne peuvent pas non plus être protégés. On aboutit donc à la conclusion que le symbole du Copyright est libre de droits et qu’on peut le remixer à loisir sans craindre d’être inquiété.
Ce qui est en un sens assez cocasse, quand on sait à quel point le copyright peut constituer une entrave, souvent abusive, à la pratique du remix !
Me voilà donc sur le point d’absoudre Marion de tout soupçon d’avoir commis des contrefaçons en illustrant mes billets.
Sauf que…
Vous le savez bien, le démon de l’appropriation est féroce et en cherchant bien, on trouve néanmoins quelqu’un sur cette planète qui a tenté de s’approprier le symbole du copyright. On peut d’ailleurs considérer qu’il s’agit en quelque sorte du Copyright Madness ultime, car quoi de plus délirant que de chercher à copyrighter le copyright !
En réalité, ce n’est pas exactement comme cela que les choses se sont passées…
Le blog canadien Excess Copyright a en effet repéré en mai 2011 que la société de gestion collective Access Copyright (l’équivalent de notre Centre français du droit de copie) utilisait comme logo sur son site le symbole copyright lui-même et qu’elle l’avait visiblement… enregistré comme marque. Si !
Access Copyright is an aggressive Canadian copyright collective that, despite its name, effectively restricts and charges for “access” to literary and artistic works.
Believe it or not, Access Copyright is claiming “™” trademark (i.e. monopoly) rights in the ubiquitous and universal “©” symbol.
For once, I must say that words fail me….
Il y a donc bien quelqu’un, tapi quelque part, qui pourrait surgir comme un troll de sa boîte, pour un jour venir chercher noise aux remixeurs du symbole Copyright !
Mais il aurait sans doute fort à faire, car les détournements de ce signe sont nombreux (ici, ici, ici, là, là, là, là ou encore là !). Attention à la dilution de marque !
Du coup, merci encore à Marion d’avoir pris ces risques fous pour illustrer mes billets et je vous laisse admirer ci-dessous la suite des images qu’elle a réalisées !
PS : je ne suis pas certain finalement que le Copyright Madness ultime, ce soit d’avoir enregistré comme marque le copyright… Car figurez-vous que quelqu’un a visiblement essayé de déposer à l’INPI le sigle Copyleft ! Qui dit mieux ?
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