Allo le juge national, ici la CJUE !
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Stéphane Bloch, Gratiane Kressmann, 2/05/2017
Le sort des certificats A1, suite et fin ?
« Allo la CJUE, ici le juge national ! ». Tel était le titre que nous avions donné le 25 février 2016 à un article consacré au sort des certificats E101 (aujourd’hui A1) délivrés par les Etats membres de l’Union européenne aux salariés européens.
Plus précisément, la Cour de cassation, dans un arrêt du 6 novembre 2015, avait posé à la CJUE une question préjudicielle sur le point de savoir si l’effet attaché aux certificats A1 s’imposait aux institutions et autorités de l’Etat d’accueil ainsi qu’aux juridictions du même Etat membre lorsqu’il était constaté que les conditions de l’activité du travailleur salarié n’entraient manifestement pas dans le champ d’application matériel des règles dérogatoires du règlement n°1408/71.
Par un arrêt très attendu du 27 avril 2017, la première chambre de la CJUE a répondu par l’affirmative suscitant le courroux du Ministère des Affaires sociales qui considère que cette décision ne va pas faciliter la lutte contre le travail illégal (voir notamment Le Monde du 29 avril 2017 Eco & Entreprise, page 3).
Pour bien appréhender la portée de cet arrêt, un rappel rapide s’impose.
Plus précisément, la Cour de cassation, dans un arrêt du 6 novembre 2015, avait posé à la CJUE une question préjudicielle sur le point de savoir si l’effet attaché aux certificats A1 s’imposait aux institutions et autorités de l’Etat d’accueil ainsi qu’aux juridictions du même Etat membre lorsqu’il était constaté que les conditions de l’activité du travailleur salarié n’entraient manifestement pas dans le champ d’application matériel des règles dérogatoires du règlement n°1408/71.
Par un arrêt très attendu du 27 avril 2017, la première chambre de la CJUE a répondu par l’affirmative suscitant le courroux du Ministère des Affaires sociales qui considère que cette décision ne va pas faciliter la lutte contre le travail illégal (voir notamment Le Monde du 29 avril 2017 Eco & Entreprise, page 3).
Pour bien appréhender la portée de cet arrêt, un rappel rapide s’impose.
LES FAITS
Le litige opposait une société allemande aux autorités de sécurité sociale françaises au sujet d’un redressement fondé sur l’application de la loi française relative à la sécurité sociale du fait du non-paiement par cette société des cotisations au régime français de sécurité sociale pour des travailleurs salariés travaillant à bord de bateaux de croisière sur des fleuves français.
Les autorités françaises estimaient que les salariés concernés, ayant été affectés pendant toute la durée de leur contrat sur des bateaux navigants exclusivement en France, étaient soumis au régime de sécurité sociale français en vertu de l’article 13 §2 a) du règlement n°1408/71 énonçant la règle générale selon laquelle « le travailleur occupé sur le territoire d'un État membre est soumis à la législation de cet État, même s'il réside sur le territoire d'un autre État membre ou si l'entreprise ou l'employeur qui l'occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d'un autre État membre ».
Pour sa part, la société revendiquait l’application du droit de la sécurité sociale suisse aux salariés concernés en s’appuyant sur des certificats A1 (ex E101) attestant leur affiliation au régime de sécurité sociale suisse. La Cour de cassation, estimant que les conditions de l’activité des salariés en question n’entraient manifestement pas dans le champ d’application matériel de l’article 14 du règlement n° 1408/71 a posé à la CJUE la question de savoir si, dans de telles circonstances, l’administration compétente ou la juridiction de l’Etat membre d’accueil pouvaient porter une appréciation, et le cas échéant remettre en cause à titre exceptionnel, la validité d’un certificat A1 délivré par l’administration compétente d’un autre Etat membre.
Comme le souligne l’avocat général devant la CJUE dans ses conclusions, « la demande soulève la question délicate de la mise en balance, dans le domaine de la sécurité sociale, d’une part, des principes de la sécurité juridique et de la libre circulation des travailleurs au sein de l’Union et, d’autre part, de la nécessité d’assurer une application correcte des dispositions pertinentes du règlement n°1408/71. Cette question a pris de l’ampleur ces dernières années en raison de l’intégration des marchés du travail des Etats membres ».
Les autorités françaises estimaient que les salariés concernés, ayant été affectés pendant toute la durée de leur contrat sur des bateaux navigants exclusivement en France, étaient soumis au régime de sécurité sociale français en vertu de l’article 13 §2 a) du règlement n°1408/71 énonçant la règle générale selon laquelle « le travailleur occupé sur le territoire d'un État membre est soumis à la législation de cet État, même s'il réside sur le territoire d'un autre État membre ou si l'entreprise ou l'employeur qui l'occupe a son siège ou son domicile sur le territoire d'un autre État membre ».
Pour sa part, la société revendiquait l’application du droit de la sécurité sociale suisse aux salariés concernés en s’appuyant sur des certificats A1 (ex E101) attestant leur affiliation au régime de sécurité sociale suisse. La Cour de cassation, estimant que les conditions de l’activité des salariés en question n’entraient manifestement pas dans le champ d’application matériel de l’article 14 du règlement n° 1408/71 a posé à la CJUE la question de savoir si, dans de telles circonstances, l’administration compétente ou la juridiction de l’Etat membre d’accueil pouvaient porter une appréciation, et le cas échéant remettre en cause à titre exceptionnel, la validité d’un certificat A1 délivré par l’administration compétente d’un autre Etat membre.
Comme le souligne l’avocat général devant la CJUE dans ses conclusions, « la demande soulève la question délicate de la mise en balance, dans le domaine de la sécurité sociale, d’une part, des principes de la sécurité juridique et de la libre circulation des travailleurs au sein de l’Union et, d’autre part, de la nécessité d’assurer une application correcte des dispositions pertinentes du règlement n°1408/71. Cette question a pris de l’ampleur ces dernières années en raison de l’intégration des marchés du travail des Etats membres ».
LA SOLUTION EN DROIT
Pour considérer qu’il n’était pas justifié, dans les circonstances de l’espèce, de procéder à un infléchissement de la jurisprudence de la Cour de manière à reconnaître une exception à l’effet contraignant du certificat E101, l’avocat général a tenu en substance le raisonnement suivant :
* Le certificat E101 a pour objectif d’assurer le respect du principe de l’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale en visant à éviter, dans des cas précis, l’émergence de conflits de compétence découlant d’une appréciation divergente de la législation de sécurité sociale applicable. A cet égard, le certificat E101 contribue à assurer la sécurité juridique des travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de l’Union et partant, à faciliter la libre circulation des travailleurs et la libre prestation des services au sein de l’Union, ce qui constitue l’objectif poursuivi par le règlement n°1408/71.
* L’institution émettrice du certificat E101 est seule compétente pour apprécier la validité de celui-ci et pour déterminer soit de sa propre initiative, soit en réponse à une demande présentée par l’institution compétente d’un autre Etat membre si, eu égard aux informations recueillies concernant la situation réelle du travailleur, il y a lieu de retirer ou d’annuler le dit certificat, ce qui aurait pour effet que ce certificat ne s’imposerait plus aux institutions compétentes et aux juridictions des autres Etats membres.
* Le règlement 1408/71 prévoit une procédure à suivre pour obtenir le retrait ou l’annulation de ce certificat de l’institution émettrice : le principe de coopération loyale impose à l’institution compétente de l’Etat membre d’accueil d’engager une procédure de dialogue avec l’institution émettrice du certificat.
En cas d’échec, la commission pour la sécurité sociale des travailleurs migrants peut être saisie.
Enfin, l’Etat membre d’accueil peut, en dernier recours, engager une procédure en manquement contre l’Etat membre émetteur.
* En l’espèce, il n’est pas démontré que les procédures susvisées établies par le règlement n° 1408/71 ne sont pas susceptibles d’assurer l’application correcte des règles de conflit de loi prévues par ce règlement même dans une situation telle que celle en cause au principal, pour autant que ces procédures soient effectivement suivies jusqu’à leur terme par les institutions compétentes des Etats membres concernés.
A cet égard, l’avocat général constate que, dans le cas d’espèce, les autorités françaises n’ont pas épuisé les voies de recours dont elles disposent en vertu du règlement n°1408/71.
* Doit enfin être écartée la jurisprudence de la Cour selon laquelle la prévention de la concurrence déloyale et la lutte contre le dumping social peuvent justifier une restriction à la liberté de prestation de services puisque les procédures de dialogue et de conciliation mises en place dans le cadre du règlement visent précisément à assurer un tel respect de la part des Etat membres.
La première chambre de la CJUE a suivi ces conclusions en décidant qu’ « aussi longtemps qu’il n’est pas retiré ou déclaré invalide, le certificat E101 s’impose à l’ordre juridique interne de l’Etat membre dans lequel le travailleur se rend pour effectuer un travail et, partant, lie les institutions de cet Etat membre. […] S’il était admis que l’institution nationale compétente puisse, en saisissant une juridiction de l’Etat membre d’accueil du travailleur concerné dont elle relève, faire déclarer invalide un certificat E101, le système fondé sur la coopération loyale entre les institutions compétentes des Etats membres risquerait d’être compromis.
Le débat est-il pour autant définitivement clos ? Assurément non.
Il importe en effet de relever que l’avocat général a pris soin de souligner :
• d’une part que l’analyse exposée dans ses conclusions ne visait pas les cas d’abus de droit ou de fraude de la part du travailleur ou de son employeur, et qu’il ne serait être ainsi exclu qu’il puisse être nécessaire à l’avenir d’apporter des précisions quant à l’applicabilité de la jurisprudence sur l’effet contraignant du certificat A1 aux situations dans lesquelles un tel abus ou une telle fraude ont été constatés ;
• et d’autre part, qu’une amélioration des procédures mises en place pourrait être opportune en vue d’assurer une application correcte des voies de recours prévues par le règlement.
A cet égard, l’avocat général relève notamment que le point 9 de la résolution du Parlement européen du 14 septembre 2016 sur le dumping social dans l’Union européenne prévoit que les autorités compétentes de l’Etat membre d’accueil devraient pouvoir vérifier la fiabilité du formulaire A1 en cas de doute sérieux quant à la réalité du détachement.
Nous aurons certainement l’occasion d’y revenir.
* Le certificat E101 a pour objectif d’assurer le respect du principe de l’unicité de la législation applicable en matière de sécurité sociale en visant à éviter, dans des cas précis, l’émergence de conflits de compétence découlant d’une appréciation divergente de la législation de sécurité sociale applicable. A cet égard, le certificat E101 contribue à assurer la sécurité juridique des travailleurs qui se déplacent à l’intérieur de l’Union et partant, à faciliter la libre circulation des travailleurs et la libre prestation des services au sein de l’Union, ce qui constitue l’objectif poursuivi par le règlement n°1408/71.
* L’institution émettrice du certificat E101 est seule compétente pour apprécier la validité de celui-ci et pour déterminer soit de sa propre initiative, soit en réponse à une demande présentée par l’institution compétente d’un autre Etat membre si, eu égard aux informations recueillies concernant la situation réelle du travailleur, il y a lieu de retirer ou d’annuler le dit certificat, ce qui aurait pour effet que ce certificat ne s’imposerait plus aux institutions compétentes et aux juridictions des autres Etats membres.
* Le règlement 1408/71 prévoit une procédure à suivre pour obtenir le retrait ou l’annulation de ce certificat de l’institution émettrice : le principe de coopération loyale impose à l’institution compétente de l’Etat membre d’accueil d’engager une procédure de dialogue avec l’institution émettrice du certificat.
En cas d’échec, la commission pour la sécurité sociale des travailleurs migrants peut être saisie.
Enfin, l’Etat membre d’accueil peut, en dernier recours, engager une procédure en manquement contre l’Etat membre émetteur.
* En l’espèce, il n’est pas démontré que les procédures susvisées établies par le règlement n° 1408/71 ne sont pas susceptibles d’assurer l’application correcte des règles de conflit de loi prévues par ce règlement même dans une situation telle que celle en cause au principal, pour autant que ces procédures soient effectivement suivies jusqu’à leur terme par les institutions compétentes des Etats membres concernés.
A cet égard, l’avocat général constate que, dans le cas d’espèce, les autorités françaises n’ont pas épuisé les voies de recours dont elles disposent en vertu du règlement n°1408/71.
* Doit enfin être écartée la jurisprudence de la Cour selon laquelle la prévention de la concurrence déloyale et la lutte contre le dumping social peuvent justifier une restriction à la liberté de prestation de services puisque les procédures de dialogue et de conciliation mises en place dans le cadre du règlement visent précisément à assurer un tel respect de la part des Etat membres.
La première chambre de la CJUE a suivi ces conclusions en décidant qu’ « aussi longtemps qu’il n’est pas retiré ou déclaré invalide, le certificat E101 s’impose à l’ordre juridique interne de l’Etat membre dans lequel le travailleur se rend pour effectuer un travail et, partant, lie les institutions de cet Etat membre. […] S’il était admis que l’institution nationale compétente puisse, en saisissant une juridiction de l’Etat membre d’accueil du travailleur concerné dont elle relève, faire déclarer invalide un certificat E101, le système fondé sur la coopération loyale entre les institutions compétentes des Etats membres risquerait d’être compromis.
Le débat est-il pour autant définitivement clos ? Assurément non.
Il importe en effet de relever que l’avocat général a pris soin de souligner :
• d’une part que l’analyse exposée dans ses conclusions ne visait pas les cas d’abus de droit ou de fraude de la part du travailleur ou de son employeur, et qu’il ne serait être ainsi exclu qu’il puisse être nécessaire à l’avenir d’apporter des précisions quant à l’applicabilité de la jurisprudence sur l’effet contraignant du certificat A1 aux situations dans lesquelles un tel abus ou une telle fraude ont été constatés ;
• et d’autre part, qu’une amélioration des procédures mises en place pourrait être opportune en vue d’assurer une application correcte des voies de recours prévues par le règlement.
A cet égard, l’avocat général relève notamment que le point 9 de la résolution du Parlement européen du 14 septembre 2016 sur le dumping social dans l’Union européenne prévoit que les autorités compétentes de l’Etat membre d’accueil devraient pouvoir vérifier la fiabilité du formulaire A1 en cas de doute sérieux quant à la réalité du détachement.
Nous aurons certainement l’occasion d’y revenir.