Le face à face singulier de la justice populaire et du drame bourgeois
Chroniques judiciaires - prdchroniques, 31/05/2012
Actualisation 18H38: des peines de 20 ans de réclusion criminelle ont été requises contre Josiane Le Couviour, considérée par l'accusation comme la commanditaire de l'assassinat de sa belle-mère et Wenceslas Lecerf, le principal exécutant. Contre le second exécutant, Guénolé Madé et le jardinier Loïc Dugué, la représentante du parquet a requis 10 ans d'emprisonnement.
Pendant dix jours, la salle de la cour d’assises du palais de justice de Vannes a échappé au temps. Devant elle s’expliquent quatre accusés et défilent les témoins d’une affaire qui a coûté la vie d’une femme de 75 ans, Anne-Marie Le Couviour. On est en mai 2011. Mais derrière chacun d’entre eux surgit l’ombre de personnages qui les écrasent. La belle-fille. Le jardinier. Les hommes de main. La belle-mère. Le patriarche. Et l’argent. On est dans l’éternité du drame bourgeois.
De là, sans doute, naît la froideur inhabituelle de ce procès. Comme si les faits examinés, les relations entre les accusés, les sentiments qui les animent, répondaient moins à des destins singuliers qu’à des archétypes : la bourgeoise Josiane Le Couviour rongée par la jalousie et la convoitise, le jardinier Loïc Dugué englué dans sa soumission à « Madame », les deux exécutants animés par l’appât du gain.
Les rôles sociaux sont répartis jusque dans le prétoire. Aux hommes de main, le box des détenus. Au jardinier, la première place des prévenus face à la cour. Et assise derrière lui, à bonne distance, l’instigatrice. Le crime dont elle est accusée est doublement redoutable : c’est un crime d’argent, il n’élève pas, il salit. Et c’est un crime aux mains propres. Le commanditaire commande, les autres exécutent.
Depuis le début du procès, la défense de Josiane Le Couviour sent que la compassion, ce ressort miraculeux de la cour d’assises, lui est inaccessible. Ce que l’accusée a dit de son enfance ballottée au gré des caprices amoureux de sa mère, des épreuves et des deuils que son couple a traversées, a suscité une écoute polie de la cour et des jurés.
Josiane Le Couviour est riche, elle maîtrise les codes du monde, elle sait s’exprimer et surtout se défendre. La cour d’assises n’est pas faite pour elle. Elle lui préfère les pauvres mots des petites gens. La honte qui sourd des phrases hachées et tremblantes du jardinier. La colère, parfois vulgaire, qui échappe à Wenceslas Lecerf.
Les témoins qui défilent, pour les uns et les autres, achèvent de séparer leurs mondes. D’un côté, la gouaille d’une ancienne compagne de Wenceslas Lecerf, la timidité émouvante de l’amie de Guénolé Madé, la solidité pudique de l’épouse de Loïc Dugué. De l’autre, l’allure bronzée de rentier golfeur de Jean-Jacques Le Couviour, le mari de Josiane.
L’avocat Eric Dupond-Moretti, qui doit à sa grande familiarité des assises un flair inégalé des jurés, a bien compris le parti qu’il pouvait tirer de cette situation pour ses clients partie civile. Du dossier, il exhume tout ce qui peut contribuer à accentuer le caractère bourgeois de l’accusée, à renforcer la distance de classe entre elle et ses co-accusés.
A son beau-frère Philippe, le comptable de la famille, il demande le montant que chacun des enfants Le Couviour a perçu de la vente de l’entreprise familiale en 1991. « Je n’ai plus le chiffre en mémoire… » lui répond le témoin. « Faites un effort, on n’est pas à quelques centaines de milliers d’euros près… », ironise l’avocat en prenant les jurés à témoin. « Je crois que c’est 80 millions de francs », finit par lâcher Philippe Le Couviour. L’avocat feint d’avoir mal entendu et répète le chiffre bien fort.
De son banc, Josiane Le Couviour proteste.
- Vous vous sentez victime d’un a priori de classe, Madame ? - Absolument. En France, c’est toujours comme ça », répond-elle.
Et la cour se fige dans ce face-à-face hors du temps entre justice populaire et drame bourgeois.