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Les mots pour le cacher

Justice au singulier - philippe.bilger, 8/05/2014

Ce sont des mots pour cacher. Qu'on ne quittera jamais volontairement ce qu'on a conquis. Que la République lui doit encore une chance.

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Il y a les mots pour le dire et les mots pour le cacher.

Ceux qui révèlent la pensée et ceux qui la dissimulent.

Des mots transparents et des mots qui masquent.

Lors de l'exercice présidentiel remarquablement animé par Jean-Jacques Bourdin (RMC), nous avons eu droit, à un certain moment, à un parfait exemple d'occultation par l'entremise d'un langage ostensiblement limpide (Le Figaro, Le Parisien).

François Hollande, avec force, nous a répété que s'il échouait dans la lutte contre le chômage, il en tirerait naturellement les conséquences en ne se représentant pas. Nous avions déjà entendu quelque chose de similaire de la part de Nicolas Sarkozy qui, au-delà d'un certain pourcentage pour le chômage, n'aurait pas envisagé une seconde de revenir dans la joute suprême. On voit ce qu'il en a été pour lui en 2012 et il est facile de deviner ce qu'il en sera pour François Hollande en 2017 !

Je suis partagé entre l'envie de croire à la bonne foi de celui-ci au moment où il s'exalte dans la certitude de son honnêteté, et l'admiration pour l'artiste qui parvient à faire "gober" cela aux citoyens. Il prend des risques puisque c'est la deuxième fois qu'il s'avance de la sorte et, réaffirmant ce qu'il se promet de faire si son mandat échoue, il assume l'embarras qu'il éprouvera quand, lors de la future campagne, on le lui rappellera comme il l'a, lors du débat de 2012, opportunément remis dans la mémoire de Nicolas Sarkozy.

Ce qui me navre profondément tient au fait que ce procédé manifeste plus de mépris à l'égard de la démocratie que d'intégrité politique. Puisque le président qui joue à se faire peur en se ligotant si l'avenir contredit ses espérances, n'est évidemment pas décidé à respecter cet engagement suicidaire pour une ambition qui n'est pas rassasiée par une première fois. Et qui aspire à une seconde fois dont il parviendra aisément à justifier la nécessité à ses propres yeux et pour le bien du pays.

A l'issue de son quinquennat, quand François Hollande arbitrera entre les ombres et les lumières, même si le chômage n'a pas baissé, je suis persuadé que son intelligence, sa finesse dialectique et cet étrange sentiment qui fait croire à la plupart de nos responsables politiques que la France serait orpheline sans eux, le conduiront à porter un jugement infiniment favorable sur son bilan, en tout cas suffisamment bienveillant pour qu'il se redonne le droit d'un tour de piste national.

Je l'entends déjà : mon action n'est pas terminée, j'ai posé les fondements durant cinq ans, tant reste à accomplir qui m'impose de demeurer. Nul dans mon camp ne serait à la hauteur. J'affirme avec modestie que je suis le meilleur.

Cette manière scandaleusement démagogique de prétendre se délester demain d'un pouvoir qu'on conservera pourtant coûte que coûte est, toutefois, si pertinente, si convaincante dans l'instant. Apparemment si civiquement sacrificielle.

Un président acceptant même légèrement de se remettre en cause, de s'imputer quelques fautes et erreurs sans véritable conséquence non seulement ne perd pas une miette de l'estime publique mais au contraire regagne une part de celle qui l'avait déserté, précisément à cause de ce qu'il n'avait pas avoué jusqu'alors. Anticiper le pire en l'occurrence, c'est le détruire, en tout cas lui arracher son venin.

Alors, un président laissant pressentir qu'il se pliera de lui-même à l'exigence d'une majorité de le voir partir, loin de dilapider de la confiance, en engrange et rien de plus efficace pour garder le pouvoir que de laisser croire qu'on est prêt spontanément à le perdre !

C'est quasiment un passage obligé pour le président actuel que de se camper dans une attitude de devoir et de courageuse résignation. Imagine-t-on un chef de l'Etat soutenir que, quels que soient ses résultats, son maintien dans la joute présidentielle sera garanti, inéluctable ?

Rien ne plaît plus à l'opinion publique que les abandons virtuels évidemment concédés avant l'heure. Cela fait de nos gouvernants de droite comme de gauche des personnalités d'airain pour la frime quand, l'échéance survenue, ils se révéleront de cette matière, de cette faiblesse qui habite les humains, trop humains. Oublieux de leur rigueur affichée hier quand elle ne comptait pas. Eperdus d'eux-mêmes quand le destin leur tendra à nouveau la main.

Les promesses des campagnes ont la beauté et la fraîcheur des espérances. Elles inventent des mondes nouveaux à foison. Elles sont fatalement sinon violées, du moins oubliées, négligées. Le refrain faussement douloureux de l'homme de pouvoir prêt à rendre le suffrage universel inutile en le devançant est du même acabit.

En 2017, François Hollande se considérera plus important que le chômage.

Ce sont des mots pour cacher.

Qu'on ne quittera jamais volontairement ce qu'on a conquis. Que la République lui doit encore une chance.


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