Prison de la CIA en Pologne : 15 millions de dollars de bakchich
Actualités du droit - Gilles Devers, 26/01/2014
Petit à petit, on voit plus clair sur les prisons secrètes de la CIA en Pologne. Toujours le même schéma : la presse publie l’info, le gouvernement US dément, et tout se vérifie quelques mois plus tard. Cette fois-ci, c’est le Washington Post de ce 23 janvier qui relève que pour s’installer en Pologne en 2003, la CIA a payé 15 millions de dollars de bakchich.
Le Washington Post raconte : « Par une froide journée au début de 2003, deux agents haut gradés de la CIA sont arrivés à l'ambassade américaine à Varsovie pour prendre deux grandes boîtes en carton, avec à l'intérieur 15 millions de dollars cash, acheminés d'Allemagne par courrier diplomatique. Les deux hommes ont mis les cartons dans une voiture et sont allés à travers la ville jusqu'au quartier général des renseignements polonais. Ils ont été accueillis par le colonel Andrzej Derlatka, chef adjoint du service de renseignement, et deux de ses associés ».
Ce paiement en liquide faisait suite à l’accord conclu quelques semaines plutôt pour transformer une villa isolée à Stare Kiejkuty, à trois heures de route au nord de Varsovie, en centre de torture au nom des valeurs de la démocratie et de la lutte contre l’axe du mal. C’est là que Khalid Cheikh Mohammed, désigné comme le cerveau des attentats, a été soumis 183 fois à la torture de la simulation de noyade (waterboarding).
Le Washington Post a de bonnes sources, et l’article est visiblement assez proche du rapport de 6000 pages du Comité du renseignement du Sénat sur cette institutionnalisation de la torture, loin de la terre US, car bien entendu on ne saurait torturer dans le pays des valeurs… La presse avait également publié un rapport de la CIA de 2004, accablant.
Le problème de base est bien connu : il ne faut pas de torture sur le sol US, car les US, c’est les valeurs de la démocratie. Alors, la bande de criminels qui dirige ce pays a organisé la détention inhumaine sur un bout d’île loué à Cuba, la célèbre prison de Guantánamo, hors juridiction US, et pour la torture, on a pratiqué du hors sol.
En 2002, les personnes arrêtées par les valeureux soldats US, sans mandat, étaient embarqués pour des prisons secrètes au Cambodge et en Thaïlande, ou sur des bateaux de pays amis, postés dans les eaux internationales, mais c’était un système amateur. C’est avec la si conciliante Pologne que le meilleur accord a été trouvé, en transformant en centre de torture la villa de Stare Kiejkuty. 300 000 dollars de travaux et c’était fait. Cool, le gouvernement polonais.
Le magazine New Yorker du 13 août 2013 avait détaillé cette pratique générale de la torture en Pologne. La journaliste, Jane Mayer, avait eu accès à un rapport confidentiel du Comité international de la Croix-Rouge (CICR), accusant les responsables US de la CIA.
L’action de ces tortionnaires pourris jusqu’à la moelle reposait sur deux principes : ne pas laisser de traces corporelles et créer un état de dépendance psychologique totale. Le kit de base était les simulations de noyade, suivies de long séjour dans une cage si petite que la victime ne pouvait pas se lever Les victimes étaient isolées de tout, ne sachant rien de l’endroit où elles étaient, ignorant si l’on était le jour ou la nuit, et tout ce qui pouvait rappeler le rythme d’une journée était brisé. L’un des modes recommandés d’action était la privation de sommeil : les victimes, placées dans des pièces sans fenêtres, étaient soumises à la diffusion de bruits assourdissants, de la musique ou des bruitages de film, des semaines entières. Ajoutez maintes humiliations, avec de longues séances de nudité, et des menaces d’agressions sexuelles sur des membres de la famille.
Fin 2003 semble-t-il, l’utilisation du site est apparue trop risquée, et tout ce petit monde a déménagé pour organiser cette sous-traitance criminelle en Roumanie, au Maroc et en Lituanie. Mais pour tout ce petit commerce, il faillait de la logistique, et ce sont au total 54 Etats – démocratiques et bourrés de bonnes valeurs – qui ont coopéré. Au total, 54 pays ont collaboré avec la CIA selon un rapport de février 2013 l'organisation Open Society Justice Initiative.
15 millions de dollars en liquide ? Pour Leszek Miller, le premier ministre polonais à l'époque, ce sont des allégations « dignes d'un scénario de Hollywood ». Pour le sénateur Jozef Pinior, qui suit de près ce dossier, elles sont, au contraire, « compromettantes pour la Pologne qui s'était comportée comme une république bananière » vis-à-vis des Etats-Unis. La justice polonaise enquête, et Zbigniew Siemiatkowski, ancien chef des services secrets polonais, a été mis en examen dans le cadre de cette enquête. Affaire à suivre.
A plus bref délai, on attend un premier arrêt de la