Photographies de mannequins : retour sur le régime de protection au détour d’un nouveau décret
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Laetitia Basset, Laurent Badiane, 8/06/2017
Un décret n° 2017-738 du 4 mai 2017 relatif aux photographies de mannequins, à usage commercial, dont l'apparence corporelle a été modifiée, a été publié au journal officiel le 5 mai 2017 (le « Décret »). Ce décret, qui concerne les annonceurs, mannequins et agences de mannequins, vient préciser les modalités de l’obligation d’apposer la mention « photographie retouchée » sur les photographies de mannequins. Il entrera en vigueur le 1er octobre 2017. La publication de ce Décret est l’occasion de rappeler le cadre légal relatif aux photographies de mannequins (I) avant d’étudier plus spécifiquement sa portée et ses enjeux (II).
I. Rappel du cadre légal relatif aux photographies de mannequins
Le cadre légal se caractérise par (A) le critère de l’originalité, condition sine qua non pour qu’une photographie bénéficie de la protection offerte par le droit d’auteur, et (B) des spécificités relatives à la qualité d’auteur des photographies de mannequin.
A. Le critère de l’originalité
La photographie est une œuvre susceptible de protection par le droit d’auteur(1) , pour autant qu’elle satisfasse à la condition d’originalité. Classiquement, l’originalité se définit comme l’empreinte de la personnalité de l’auteur.
En matière de photographie, la preuve de l’originalité nécessite de démontrer l’autonomie et la liberté de choix dont le photographe a bénéficié. Ces critères résultent du célèbre arrêt « Painer » du 1er décembre 2011, par lequel la Cour de justice de l’Union Européenne a retenu qu’une photographie est susceptible de protection par le droit d’auteur lorsqu’elle constitue une création intellectuelle de l'auteur reflétant la personnalité de ce dernier et « se manifestant par les choix libres et créatifs de celui-ci lors de la réalisation de cette photographie » .
Autrement dit, si le photographe a un rôle purement technique, aucune protection par le droit d’auteur n’est accordée.
La photographie doit donc témoigner d’un « parti-pris » esthétique et arbitraire de nature à caractériser l’empreinte de la personnalité de son auteur. La preuve de l’originalité de la photographie peut ainsi résulter des choix de décor, de mise en scène, de luminosité, de cadrage, etc. C’est notamment ce qui a été rappelé dans un jugement récent du Tribunal de Grande Instance de Paris du 24 février 2017, par lequel les juges ont rappelé que l’originalité de l’œuvre « ressort notamment de partis pris esthétiques et de choix arbitraires portant l’empreinte de la personnalité de son auteur » .
(2)
B. Spécificités relative à la qualité d’auteur concernant les photographies de mannequins
En matière de photographies de mannequins spécifiquement, il convient de rappeler que deux personnes concourent à la réalisation de l’œuvre : le photographe et le mannequin.
C’est en principe le photographe qui dispose de la qualité d’auteur de l’œuvre, la prestation du mannequin consistant à « prêter » son image. Néanmoins, lorsque le mannequin se livre, en plus de la prestation liée à son image, à une prestation artistique, son contrat de mannequin pourra être requalifié en contrat d’artiste-interprète. Une distinction claire qui suppose que la simple utilisation de l’image de la personne caractérise le rôle du mannequin contrairement à l’artiste-interprète qui suppose une interprétation personnelle d’un personnage (3) .
(1) Article L.112-2, 9° du Code de la propriété intellectuelle
(2) TGI de Paris, 3ème ch. 2ème sect, 24 février 2017, n° RG 14/16145
(3) Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Chambre 2, 16 octobre 2009 n° RG : 09/14550
A. Le critère de l’originalité
La photographie est une œuvre susceptible de protection par le droit d’auteur(1) , pour autant qu’elle satisfasse à la condition d’originalité. Classiquement, l’originalité se définit comme l’empreinte de la personnalité de l’auteur.
En matière de photographie, la preuve de l’originalité nécessite de démontrer l’autonomie et la liberté de choix dont le photographe a bénéficié. Ces critères résultent du célèbre arrêt « Painer » du 1er décembre 2011, par lequel la Cour de justice de l’Union Européenne a retenu qu’une photographie est susceptible de protection par le droit d’auteur lorsqu’elle constitue une création intellectuelle de l'auteur reflétant la personnalité de ce dernier et « se manifestant par les choix libres et créatifs de celui-ci lors de la réalisation de cette photographie » .
Autrement dit, si le photographe a un rôle purement technique, aucune protection par le droit d’auteur n’est accordée.
La photographie doit donc témoigner d’un « parti-pris » esthétique et arbitraire de nature à caractériser l’empreinte de la personnalité de son auteur. La preuve de l’originalité de la photographie peut ainsi résulter des choix de décor, de mise en scène, de luminosité, de cadrage, etc. C’est notamment ce qui a été rappelé dans un jugement récent du Tribunal de Grande Instance de Paris du 24 février 2017, par lequel les juges ont rappelé que l’originalité de l’œuvre « ressort notamment de partis pris esthétiques et de choix arbitraires portant l’empreinte de la personnalité de son auteur » .
(2)
B. Spécificités relative à la qualité d’auteur concernant les photographies de mannequins
En matière de photographies de mannequins spécifiquement, il convient de rappeler que deux personnes concourent à la réalisation de l’œuvre : le photographe et le mannequin.
C’est en principe le photographe qui dispose de la qualité d’auteur de l’œuvre, la prestation du mannequin consistant à « prêter » son image. Néanmoins, lorsque le mannequin se livre, en plus de la prestation liée à son image, à une prestation artistique, son contrat de mannequin pourra être requalifié en contrat d’artiste-interprète. Une distinction claire qui suppose que la simple utilisation de l’image de la personne caractérise le rôle du mannequin contrairement à l’artiste-interprète qui suppose une interprétation personnelle d’un personnage (3) .
(1) Article L.112-2, 9° du Code de la propriété intellectuelle
(2) TGI de Paris, 3ème ch. 2ème sect, 24 février 2017, n° RG 14/16145
(3) Cour d’appel de Paris, Pôle 5, Chambre 2, 16 octobre 2009 n° RG : 09/14550
II. Portée et enjeux du Décret
Le Décret, qui témoigne de (A) l’évolution du cadre légal en matière de photographies de mannequins, vient (B) préciser les modalités de l’obligation d’apposer la mention « photographies retouchée », laquelle engendre des conséquences sur le terrain du droit d’auteur, indépendamment des aspects liés à la santé publique.
A. L’évolution du cadre légal
La lutte contre la maigreur excessive des mannequins est devenue une préoccupation de l’Etat qui, depuis quelques années, prend différentes mesures visant à encadrer et réglementer ces secteurs en proie aux scandales et, en particulier, celui de la mode (4).
Dans ce contexte, la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé dans le cadre de la lutte contre la maigreur excessive des mannequins, dite loi « Marisol Touraine », impose de nouvelles obligations. La loi intègre ainsi, à l’article L.7123-2-1 du Code du travail, une obligation de délivrer un certificat médical pour exercer l’activité de mannequin. Elle a également introduit un nouvel article L.2133-2 au Code de la santé publique, qui précise notamment que les photographies de mannequins doivent être accompagnées de la mention « photographie retouchée » (5).
B. Les nouvelles modalités de l’obligation d’apposer la mention « photographie retouchée » et les conséquences pour le photographe
Le Décret précise une série d’informations sur (i) les supports visés par l’obligation, (ii) la forme que celle-ci doit revêtir et également (iii) le régime de responsabilité applicable.
Les supports et moyens de diffusion concernés (6) sont entendus largement : sont notamment visés, les affiches publicitaires, les photographies de mannequins en ligne et les magazines de mode. En revanche, le Décret exclut de son champ d’application la télévision et les photographies à usage non-commercial.
Pour rappel, « les actes perpétrés à l'échelle commerciale sont ceux qui sont perpétrés en vue d'obtenir un avantage économique ou commercial direct au indirect, ce qui exclut normalement les actes qui sont perpétrés par des consommateurs finaux agissant de bonne foi » (7). Ainsi, l’usage dans le cadre d’un contrat de commande d’œuvres photographiques ne pourrait pas bénéficier de l’exclusion accordée aux photographies à usage non-commercial.
Le Décret précise également que la mention « photographie retouchée » doit être apposée sur la photo « de façon accessible, aisément lisible et clairement différenciée du message publicitaire ou promotionnel ». De même, la présentation du message doit également « respecter les règles et usages de bonnes pratiques définis par la profession » (8).
Le texte précise finalement que le respect des obligations susvisées repose sur l’annonceur (9) . A ce titre, il est prévu que le non-respect de cette obligation est puni d’une amende de 37.500€, le montant de celle-ci pouvant être porté à 30% des dépenses consacrées à la publicité (10) .
Autrement dit, ce Décret se trouve aux confins du Droit de la santé publique et du Droit d’auteur.
En effet, si cette obligation répond à des impératifs de santé publique, elle engendre nécessairement des conséquences sur le droit moral de l’auteur. En effet, pour mémoire, l’auteur dispose d’un droit moral composé de différentes branches, tel que le droit au respect de l’œuvre, qui lui permet de s’opposer à ce qu’il soit porté atteinte à l’intégrité de celle-ci.
Or, le fait de contraindre le photographe à apposer une telle mention sur son œuvre ne constituerait-il pas une atteinte à son droit moral ?
Toutefois, nous le savons, il n’est pas rare que ce droit moral, sans être cédé (11) soit contractualisé, a tout le moins aménagé, pour répondre, notamment, à des impératifs techniques (12).
En l’espèce, ce ne sont pas les impératifs techniques qui sont en cause mais la mise en balance de deux droits fondamentaux : le droit moral de l’auteur(13) et le droit à la protection de la santé ou encore le droit d’égal accès au soin (14) .
Le droit moral devra vraisemblablement s’effacer au profit de l’impératif de santé publique.
(4) Par exemple : affaire de harcèlement sexuel au sein de l’agence de mannequins Elite au début des années 2000
(5) Article L.2133-2 alinéa 1 du Code de la santé publique « Les photographies à usage commercial de mannequins, définis à l'article L. 7123-2 du code du travail, dont l'apparence corporelle a été modifiée par un logiciel de traitement d'image afin d'affiner ou d'épaissir la silhouette du mannequin doivent être accompagnées de la mention : " Photographie retouchée " ».
(6) Article R. 2133-4 du Décret
(7) Directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, Considérant 14.
(8) Article R. 2133-5 du Décret
(9) Article R. 2133-6 du Décret
(10) Article L. 2133-2 du Code de la santé publique
(11) Article 121-1 du Code de la propriété intellectuelle : Le droit moral de l’auteur est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.
(12) Cas des contrats de commande d’œuvres photographiques.
(13) La propriété intellectuelle est un droit fondamental. Les textes les plus sacrés le proclament, comme l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, l’article 15 du Pacte international de New-York relatif aux droits sociaux, économiques et culturels du 19 décembre 1966 ou la Charte des droits fondamentaux communautaire du 18 décembre 2000.
(14) Article L1110-1 du Code de la santé publique : « Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en oeuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. Les professionnels, les établissements et réseaux de santé, les organismes d'assurance maladie ou tous autres organismes participant à la prévention et aux soins, et les autorités sanitaires contribuent, avec les usagers, à développer la prévention, garantir l'égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible ».
A. L’évolution du cadre légal
La lutte contre la maigreur excessive des mannequins est devenue une préoccupation de l’Etat qui, depuis quelques années, prend différentes mesures visant à encadrer et réglementer ces secteurs en proie aux scandales et, en particulier, celui de la mode (4).
Dans ce contexte, la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé dans le cadre de la lutte contre la maigreur excessive des mannequins, dite loi « Marisol Touraine », impose de nouvelles obligations. La loi intègre ainsi, à l’article L.7123-2-1 du Code du travail, une obligation de délivrer un certificat médical pour exercer l’activité de mannequin. Elle a également introduit un nouvel article L.2133-2 au Code de la santé publique, qui précise notamment que les photographies de mannequins doivent être accompagnées de la mention « photographie retouchée » (5).
B. Les nouvelles modalités de l’obligation d’apposer la mention « photographie retouchée » et les conséquences pour le photographe
Le Décret précise une série d’informations sur (i) les supports visés par l’obligation, (ii) la forme que celle-ci doit revêtir et également (iii) le régime de responsabilité applicable.
Les supports et moyens de diffusion concernés (6) sont entendus largement : sont notamment visés, les affiches publicitaires, les photographies de mannequins en ligne et les magazines de mode. En revanche, le Décret exclut de son champ d’application la télévision et les photographies à usage non-commercial.
Pour rappel, « les actes perpétrés à l'échelle commerciale sont ceux qui sont perpétrés en vue d'obtenir un avantage économique ou commercial direct au indirect, ce qui exclut normalement les actes qui sont perpétrés par des consommateurs finaux agissant de bonne foi » (7). Ainsi, l’usage dans le cadre d’un contrat de commande d’œuvres photographiques ne pourrait pas bénéficier de l’exclusion accordée aux photographies à usage non-commercial.
Le Décret précise également que la mention « photographie retouchée » doit être apposée sur la photo « de façon accessible, aisément lisible et clairement différenciée du message publicitaire ou promotionnel ». De même, la présentation du message doit également « respecter les règles et usages de bonnes pratiques définis par la profession » (8).
Le texte précise finalement que le respect des obligations susvisées repose sur l’annonceur (9) . A ce titre, il est prévu que le non-respect de cette obligation est puni d’une amende de 37.500€, le montant de celle-ci pouvant être porté à 30% des dépenses consacrées à la publicité (10) .
Autrement dit, ce Décret se trouve aux confins du Droit de la santé publique et du Droit d’auteur.
En effet, si cette obligation répond à des impératifs de santé publique, elle engendre nécessairement des conséquences sur le droit moral de l’auteur. En effet, pour mémoire, l’auteur dispose d’un droit moral composé de différentes branches, tel que le droit au respect de l’œuvre, qui lui permet de s’opposer à ce qu’il soit porté atteinte à l’intégrité de celle-ci.
Or, le fait de contraindre le photographe à apposer une telle mention sur son œuvre ne constituerait-il pas une atteinte à son droit moral ?
Toutefois, nous le savons, il n’est pas rare que ce droit moral, sans être cédé (11) soit contractualisé, a tout le moins aménagé, pour répondre, notamment, à des impératifs techniques (12).
En l’espèce, ce ne sont pas les impératifs techniques qui sont en cause mais la mise en balance de deux droits fondamentaux : le droit moral de l’auteur(13) et le droit à la protection de la santé ou encore le droit d’égal accès au soin (14) .
Le droit moral devra vraisemblablement s’effacer au profit de l’impératif de santé publique.
(4) Par exemple : affaire de harcèlement sexuel au sein de l’agence de mannequins Elite au début des années 2000
(5) Article L.2133-2 alinéa 1 du Code de la santé publique « Les photographies à usage commercial de mannequins, définis à l'article L. 7123-2 du code du travail, dont l'apparence corporelle a été modifiée par un logiciel de traitement d'image afin d'affiner ou d'épaissir la silhouette du mannequin doivent être accompagnées de la mention : " Photographie retouchée " ».
(6) Article R. 2133-4 du Décret
(7) Directive 2004/48/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au respect des droits de propriété intellectuelle, Considérant 14.
(8) Article R. 2133-5 du Décret
(9) Article R. 2133-6 du Décret
(10) Article L. 2133-2 du Code de la santé publique
(11) Article 121-1 du Code de la propriété intellectuelle : Le droit moral de l’auteur est perpétuel, inaliénable et imprescriptible.
(12) Cas des contrats de commande d’œuvres photographiques.
(13) La propriété intellectuelle est un droit fondamental. Les textes les plus sacrés le proclament, comme l’article 27 de la Déclaration universelle des droits de l’homme du 10 décembre 1948, l’article 15 du Pacte international de New-York relatif aux droits sociaux, économiques et culturels du 19 décembre 1966 ou la Charte des droits fondamentaux communautaire du 18 décembre 2000.
(14) Article L1110-1 du Code de la santé publique : « Le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en oeuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne. Les professionnels, les établissements et réseaux de santé, les organismes d'assurance maladie ou tous autres organismes participant à la prévention et aux soins, et les autorités sanitaires contribuent, avec les usagers, à développer la prévention, garantir l'égal accès de chaque personne aux soins nécessités par son état de santé et assurer la continuité des soins et la meilleure sécurité sanitaire possible ».