François Hollande exécuté !
Justice au Singulier - philippe.bilger, 2/09/2019
François Hollande a dit un jour qu'il n'avait pas été battu en 2012 puisqu'il ne s'était pas représenté. On sait ce que vaut chez lui ce genre d'esprit : il n'aurait pas été battu mais pulvérisé.
Et, en une semaine, il a été exécuté.
Un tel jeu de massacre qu'une seconde, par inadvertance, on aurait presque pu murmurer : pitié pour Hollande !
Il convient en effet de se pencher sur une passionnante série de six enquêtes et analyses consacrées au "PS, sept ans de trahisons" par Gérard Davet et Fabrice Lhomme dans Le Monde.
Il est de bon ton, depuis quelque temps, de s'en prendre à ces deux journalistes qui auraient floué François Hollande avec leur ouvrage "Un président ne devrait pas dire ça...". Comme si celui-ci, sous leur emprise, démuni, avait été incapable de réagir et de protester !
Valérie Trierweiler a entonné le même refrain, en plus aigre, et elle n'était pas davantage convaincante en les accusant d'avoir manipulé celui qui l'avait quittée dans les conditions que l'on sait.
Sur le plan judiciaire, je connais à la fois les informations précieuses et détaillées qu'ils communiquent sur les dossiers sensibles et la déplorable image que cela donne de ceux qui trahissent le secret : magistrats, fonctionnaires, policiers, experts, avocats... Et de la Justice par contagion. Mais comme on ne poursuit jamais, je ne vois pas pourquoi Davet et Lhomme se priveraient d'une manne apportée par des comportements spontanément transgressifs !
Mais, avant tout, quel formidable talent est celui de ces deux journalistes. Il atteint son comble dans cette accablante lumière projetée sur le PS, François Hollande et Emmanuel Macron. J'admire surtout l'art avec lequel ils narrent, citent et commentent, offrant ainsi aux lecteurs une globalité qui vaut largement ce que dispenserait un livre d'histoire classique sur la même période.
J'avoue avoir été plus que surpris - pourtant je suis habitué à la lecture d'articles et d'essais politiques - par l'incroyable cruauté et franc-parler de tous les intervenants, quasiment en roue libre, surtout sur François Hollande et son calamiteux mandat.
Il n'en est pas un qui fasse preuve d'indulgence. En cherchant bien, on trouve peut-être un zeste de compréhension attristée chez les seuls Marisol Touraine et Stéphane Le Foll. Mais tous les autres, notamment Jean-Marc Ayrault, Manuel Valls, Benoît Hamon, François Rebsamen, Aurélie Filippetti, et même Ségolène Royal, ne l'épargnent pas et dessinent de lui une image désolante.
Je veux faire un sort à la démolition sans appel de Pierre Moscovici qui, esprit fin, observateur averti et connu pour modéré dans ses appréciations, non seulement "achève" François Hollande, se déclarant sans illusion dès le début du quinquennat, mais met en pièces, pour résumer, la nullité des conseillers du président, du gouvernement et particulièrement de Michel Sapin. Un champ de ruines.
François Hollande émerge déchiqueté de ce consensus dévastateur. Un roi sans pouvoir, un président sans résolution, une intelligence sans volonté, une vanité sans justification, une ironie désinvolte, des promesses, des velléités sans lendemain, une action sans consistance, un chef d'Etat égaré dans tous les sens du terme.
Il y aurait trop à dire, trop à commenter, tant au cours de la lecture de ces douze pages on apprend, on s'étonne, on s'indigne, on plaint la France ainsi et si peu dirigée.
Je ne surprendrai personne en m'attachant principalement à "la dévorante ambition d'Emmanuel Macron". Quand j'ai fait monologuer celui-ci dans un livre, je lui ai prêté une intelligence, une volonté, un sens tactique exceptionnels et, de fait, il les a eus. Mais j'étais loin du compte ! Ce qu'on découvre dans cette relation au scalpel est d'une part son incroyable duplicité et d'autre part, face à cette dernière, l'incroyable naïveté d'un François Hollande qui n'a cessé pourtant de se vanter d'être un politique clairvoyant et assez cynique pour ne jamais se laisser duper par les roueries des autres.
Pourtant, dans cette lente descente aux enfers pour lui et cette montée fulgurante et si peu masquée d'Emmanuel Macron, on ne peut prétendre que le premier n'ait pas été alerté, semoncé pour sa faiblesse, mis en garde souvent et que le second, entre mensonges et dissimulations, coups fourrés et franchise prétendue, hypocrisie et conquête, feinte soumission mais vrai mépris, ait été avare de signes et de messages explicites sur son envie de la destination présidentielle, à la place de François Hollande ou même, s'il le fallait, en même temps que lui !
Quoi ! quelqu'un que j'ai choisi, distingué, préféré, que j'ai fait, pourrait me trahir, oser suivre son chemin, m'abandonner et me laisser, tout compte fait, tel un triste sire désormais aspirant à une inconcevable vengeance et gangrené par un ressentiment stérile ?
François Hollande a été ridiculisé par une stratégie de pouvoir qui crevait les yeux mais qu'il n'a pas su voir. Emmanuel Macron a gagné, en posant à chaque jalon de quoi l'entraver, le freiner mais toute sa subtilité a consisté à user du clair pour faire oublier l'obscur, et de l'obscur pour effacer le clair. Du grand art, une fantastique duperie !
Il m'importe enfin, parce que le président nous en donne les clés, de revenir sur un mystère qui intrigue et parfois irrite la droite comme la gauche : la complicité affichée et trouble entre Emmanuel Macron et Nicolas Sarkozy ; et l'hostilité constante du premier à l'encontre de François Hollande.
Le président souligne que Nicolas Sarkozy est "sorti de la politique et qu'il lui est utile" tandis que "François Hollande, c'est le secrétaire général clandestin du PS, c'est donc un adversaire politique". On comprend mieux. Il se sert de l'un et n'a pas besoin de l'autre.
On répète qu'on n'est jamais mort en politique. Mais si François Hollande parvenait à sauver sa tête et à se ménager un nouveau destin socialiste après cette exécution, dans notre pays laïc il y aurait du miracle dans l'air !