Référé précontractuel et principe du contradictoire à l’aune de l’atteinte effective à la loyauté de la concurrence
K.Pratique | Chroniques juridiques du cabinet KGA Avocats - Laurent-Xavier Simonel, Mathieu Prats-Denoix, 3/07/2013
Par une décision du 29 mai 2013, Ministre de la défense, n° 364827, le Conseil d’Etat juge que la simple allégation d’un futur avantage compétitif de nature à nuire à la loyauté de la concurrence si, la procédure litigieuse étant annulée ou déclarée sans suite pour motif d'intérêt général, une nouvelle procédure de passation devait suivre, n’est pas un motif permettant de fonder le refus de communication d’éléments de l’offre de l’attributaire, lorsque cet avantage n’est pas démontré.
CE, 29 mai 2013, Ministre de la défense, n° 364827
Par une première décision avant-dire droit du 11 mars 2013, prise au cours du référé précontractuel introduit contre la procédure de passation du marché public « SIMMAD » de prestations de maintenance des hélicoptères « Puma », le Conseil d’Etat, constatant une violation de l’article 255 du code des marchés publics, lequel impose au pouvoir adjudicateur, dans les marchés de défense, de communiquer aux candidats évincés les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue, a enjoint au ministre de la défense de communiquer au candidat évincé, requérant en première instance, le prix global et les délais d’exécution de l’offre de l’attributaire, « sauf à établir qu’une telle communication porterait atteinte au secret des affaires ».
Par une note en délibéré produite le 16 mai 2013, le ministre de la défense s’est opposé à la communication de ces éléments d’information, invoquant qu’une telle communication risquerait de donner au requérant en première instance un avantage compétitif de nature à nuire à la loyauté de la concurrence, dans l'hypothèse d’une reprise d’une nouvelle procédure de passation subséquente à une annulation contentieuse ou à une déclaration sans suite de la procédure litigieuse. Selon le ministre, cette communication ne peut intervenir qu'après la signature du marché au titre du droit d’accès aux documents administratifs. Avant cette date, les informations en cause pourraient, le cas échéant, être transmises au seul juge, sans que celui-ci ne les porte au dossier de l’instruction écrite contradictoire, de telle sorte que le requérant devra les ignorer.
Par sa décision du 29 mai 2013, le Conseil d’Etat juge que cette affirmation et ce raisonnement n’étaient pas « de nature à établir que la communication des informations demandées porterait, en l’espèce, une atteinte au secret des affaires ou pourrait nuire à une concurrence loyale entre les opérateurs économiques et à faire ainsi obstacle à ce qu’il y soit procédé ». Partant, le Conseil d’Etat condamne l’Etat au paiement d’une astreinte de 500 euros par jour de retard, avec huit jours de grâce, jusqu’à la communication des informations en débat. La simple allégation d’un avantage compétitif de nature à nuire à la loyauté de la concurrence ne saurait constituer un motif valable de refus de communication au contentieux, si l’avantage n’est pas démontré.
Que la solution ait été rendue en l’espèce ne devrait pas permettre d’en tirer des conclusions définitives. Ceci ne privera pas pour autant les protagonistes de chercher à en faire l’instrument de leur thèse respective.
Le ministère de la défense, très constant dans ses positions juridiques dont tout indique qu’il ne les prend ni ne les fait varier à la légère, devrait persister dans ses refus de porter dans le contentieux précontractuel les pièces permettant de pénétrer le cœur de l’enjeu concurrentiel ou de s’en approcher.
Les requérants, placés en situation structurellement défavorable pour soutenir leurs moyens de contestation de la régularité de la passation, devraient insister encore pour accéder au minimum requis en vue d’une démonstration opérante leur permettant d’exercer effectivement leur droit à recours, sans avoir à le mener à l’aveugle.
Reste à imaginer un outil de conciliation utile entre ces impératifs contraires, dont aucun n’est dénué de légitimité.
L’on pourrait penser à instaurer une phase de procès dans le procès pour que l’appréciation sur la sensibilité des informations demandées au regard du secret des affaires et de la préservation de la réalité concurrentielle, soit menée de manière impartiale. Une procédure accessoire d’urgence devant la commission d’accès aux documents administratifs en vue d’un avis éclairant le juge du précontractuel est-elle concevable (même si le litige n’a pas pour objet la communication de documents administratifs mais la production à l’instance d’informations essentielles pour qu’il puisse être statué sur le litige principal) ?
Est-il impensable de considérer que la communication au contradictoire des parties des informations indispensables à la résolution du débat contentieux, précontractuel ou autre d’ailleurs, puisse être ordonnée même lorsqu’elles peuvent conduire à approcher l’intimité économique ou industriel du secret des affaires, à la condition que toutes les parties souscrivent un engagement univoque et complet de confidentialité renforcée garantissant que l’usage de ces informations sera irrévocablement circonscrit au débat contentieux qui les oppose ?
Les termes-types de cet engagement (restrictions de l’usage des informations, cantonnement de leur diffusion à un cercle restreint et nominatif, durée, en particulier) pourraient être proposées par une norme juridique unilatérale étatique, de manière à pouvoir être activés dans l’ordre contractuel (à la manière des CCAG) devant le juge en cours de procédure contentieuse. La décision juridictionnelle pourrait ne pas reproduire explicitement les données de cette nature qu’elle retient et s’en tenir à les mentionner par référence.
Chacun de ces outils peut être soumis à de vives critiques.
Il reste qu’il est nécessaire de réfléchir à une rationalisation du débat contentieux précontractuel.
Maintenant bien encadré par l’exigence de la lésion, il finit d’autant plus par perdre de son efficacité qu’il est trop souvent confiné à une évaluation par le juge de la régularité globale de la procédure, à partir des éléments qui lui paraissent manifestes. Or, les pièces apparentes qui lui sont montrées sont, bien souvent, des ombres chinoises, ne reflétant que très partiellement la réalité sous-jacente de la mise en concurrence effective, du véritable degré atteint pour l’égalité de traitement des candidats ou de la transparence objective des procédures d’adjudication.
Par une première décision avant-dire droit du 11 mars 2013, prise au cours du référé précontractuel introduit contre la procédure de passation du marché public « SIMMAD » de prestations de maintenance des hélicoptères « Puma », le Conseil d’Etat, constatant une violation de l’article 255 du code des marchés publics, lequel impose au pouvoir adjudicateur, dans les marchés de défense, de communiquer aux candidats évincés les caractéristiques et les avantages relatifs de l’offre retenue, a enjoint au ministre de la défense de communiquer au candidat évincé, requérant en première instance, le prix global et les délais d’exécution de l’offre de l’attributaire, « sauf à établir qu’une telle communication porterait atteinte au secret des affaires ».
Par une note en délibéré produite le 16 mai 2013, le ministre de la défense s’est opposé à la communication de ces éléments d’information, invoquant qu’une telle communication risquerait de donner au requérant en première instance un avantage compétitif de nature à nuire à la loyauté de la concurrence, dans l'hypothèse d’une reprise d’une nouvelle procédure de passation subséquente à une annulation contentieuse ou à une déclaration sans suite de la procédure litigieuse. Selon le ministre, cette communication ne peut intervenir qu'après la signature du marché au titre du droit d’accès aux documents administratifs. Avant cette date, les informations en cause pourraient, le cas échéant, être transmises au seul juge, sans que celui-ci ne les porte au dossier de l’instruction écrite contradictoire, de telle sorte que le requérant devra les ignorer.
Par sa décision du 29 mai 2013, le Conseil d’Etat juge que cette affirmation et ce raisonnement n’étaient pas « de nature à établir que la communication des informations demandées porterait, en l’espèce, une atteinte au secret des affaires ou pourrait nuire à une concurrence loyale entre les opérateurs économiques et à faire ainsi obstacle à ce qu’il y soit procédé ». Partant, le Conseil d’Etat condamne l’Etat au paiement d’une astreinte de 500 euros par jour de retard, avec huit jours de grâce, jusqu’à la communication des informations en débat. La simple allégation d’un avantage compétitif de nature à nuire à la loyauté de la concurrence ne saurait constituer un motif valable de refus de communication au contentieux, si l’avantage n’est pas démontré.
Que la solution ait été rendue en l’espèce ne devrait pas permettre d’en tirer des conclusions définitives. Ceci ne privera pas pour autant les protagonistes de chercher à en faire l’instrument de leur thèse respective.
Le ministère de la défense, très constant dans ses positions juridiques dont tout indique qu’il ne les prend ni ne les fait varier à la légère, devrait persister dans ses refus de porter dans le contentieux précontractuel les pièces permettant de pénétrer le cœur de l’enjeu concurrentiel ou de s’en approcher.
Les requérants, placés en situation structurellement défavorable pour soutenir leurs moyens de contestation de la régularité de la passation, devraient insister encore pour accéder au minimum requis en vue d’une démonstration opérante leur permettant d’exercer effectivement leur droit à recours, sans avoir à le mener à l’aveugle.
Reste à imaginer un outil de conciliation utile entre ces impératifs contraires, dont aucun n’est dénué de légitimité.
L’on pourrait penser à instaurer une phase de procès dans le procès pour que l’appréciation sur la sensibilité des informations demandées au regard du secret des affaires et de la préservation de la réalité concurrentielle, soit menée de manière impartiale. Une procédure accessoire d’urgence devant la commission d’accès aux documents administratifs en vue d’un avis éclairant le juge du précontractuel est-elle concevable (même si le litige n’a pas pour objet la communication de documents administratifs mais la production à l’instance d’informations essentielles pour qu’il puisse être statué sur le litige principal) ?
Est-il impensable de considérer que la communication au contradictoire des parties des informations indispensables à la résolution du débat contentieux, précontractuel ou autre d’ailleurs, puisse être ordonnée même lorsqu’elles peuvent conduire à approcher l’intimité économique ou industriel du secret des affaires, à la condition que toutes les parties souscrivent un engagement univoque et complet de confidentialité renforcée garantissant que l’usage de ces informations sera irrévocablement circonscrit au débat contentieux qui les oppose ?
Les termes-types de cet engagement (restrictions de l’usage des informations, cantonnement de leur diffusion à un cercle restreint et nominatif, durée, en particulier) pourraient être proposées par une norme juridique unilatérale étatique, de manière à pouvoir être activés dans l’ordre contractuel (à la manière des CCAG) devant le juge en cours de procédure contentieuse. La décision juridictionnelle pourrait ne pas reproduire explicitement les données de cette nature qu’elle retient et s’en tenir à les mentionner par référence.
Chacun de ces outils peut être soumis à de vives critiques.
Il reste qu’il est nécessaire de réfléchir à une rationalisation du débat contentieux précontractuel.
Maintenant bien encadré par l’exigence de la lésion, il finit d’autant plus par perdre de son efficacité qu’il est trop souvent confiné à une évaluation par le juge de la régularité globale de la procédure, à partir des éléments qui lui paraissent manifestes. Or, les pièces apparentes qui lui sont montrées sont, bien souvent, des ombres chinoises, ne reflétant que très partiellement la réalité sous-jacente de la mise en concurrence effective, du véritable degré atteint pour l’égalité de traitement des candidats ou de la transparence objective des procédures d’adjudication.