Décrimonaliser d’urgence le rapport à la drogue (580)
Planète Juridique - admin, 14/09/2014
Un rapport a été rendu public le mardi 9 septembre à New York par la Commission globale sur la politique des drogues qui rassemble notamment Kofi Annan, l'ancien secrétaire général des Nations unies, les ex-présidents du Brésil, du Chili, de la Colombie, du Mexique, de la Pologne, du Portugal et de Suisse. Pas moins.
Las! Ce travail majeur n’a suscité quasiment aucun écho dans notre pays nombriliste plus préoccupé de découvrir l’intimité des présidents de la République que de se colleter aux problématiques politiques et sociales du pays. Mis à part l’article de Paul Benkimum dans Le Monde du 10 septembre et la réaction de Dany Cohn-Bendit sur Europe 1 ce travail révolutionnaire aura produit un encéphalogramme plat de la classe politico-médiatique française.
Pourtant les constats sont sévères et préoccupants sur l’état des lieux et au final ce document ne demande pas moins que les Etats rompent radicalement avec la stratégie prohibitionniste suivie jusqu’ici en donnant enfin la priorité à la santé publique. Il les invite à réguler l'usage et la possession de drogues en renonçant de les criminaliser quitte à prendre le contrôle des marchés.
Le rapport est sévère : la politique développée depuis la dernière assemblée générale a échoué. Pour les auteurs – je reprends les jugements majeurs retenus par Paul Benkimun - la « guerre aux drogues » est perdue. « Après plus d'un siècle d'approche punitive, les faits sont accablants : loin d'avoir atteint ses propres objectifs, elle a engendré de graves problèmes sociaux et sanitaires
« En 1998, la précédente (Assemblée générale) fixait l'objectif d'un monde débarrassé des drogues en 2015 grâce à la prohibition. Cette politique a surajouté, aux dommages que créent les drogues, des catastrophes sanitaires comme l'infection par les virus du sida et ceux des hépatites, une violence sociale, en particulier en Amérique latine, et l'apparition de narco-Etats », affirme Michel Kazatchkine, envoyé spécial du secrétaire général des Nations unies pour le VIH/sida en Europe de l'Est et en Asie centrale, et membre de la commission.
Certes quelques réactions se sont produites, mais timides et insuffisantes. Et de relever qu’aux Etats-Unis, 17 Etats ont décriminalisé la possession pour usage personnel de cannabis à des fins non médicales. Ceux de Washington et du Wyoming ont légalisé l'usage récréatif du cannabis. La Nouvelle-Zélande a adopté en 2013 une loi sur les substances psychoactives autorisant la production et la vente de certaines d'entre elles considérées comme « à faible risque » dans un cadre réglementaire strict. « En Europe se sont développées des politiques de réduction des risques liés à l'usage de drogue qui ont fait la preuve de leur efficacité, mais il persiste une énorme timidité, par exemple sur l'ouverture de salles d'injection », remarque Michel Kazatchkine.
La commission estime qu'il « s'agit là de la seule manière de réduire à la fois la mortalité, la morbidité et les souffrances liées à la drogue et à la violence, ainsi que la criminalité, la corruption et les profits illicites favorisés par les politiques prohibitionnistes inopérantes ».
C’est donc l’orientation générale qu’il faut remettre en cause. La commission demande de « cesser de criminaliser l'usage et la possession de drogues, et de “traiter” de force des personnes dont la seule infraction est l'usage ou la possession de drogues »et recommande de réorienter les priorités et les ressources en direction des « interventions sanitaires et sociales éprouvées » et d'assurer un accès équitable aux médicaments essentiels, en particulier les analgésiques à base d'opiacés.
Elle préconise de recourir à d’autres réponses que « l'incarcération pour les acteurs non violents du bas de l'échelle, tels les fermiers et les passeurs, entre autres personnes engagées dans la production, le transport et la vente de substances illégales ».
Il faut aussi « viser en priorité une réduction du pouvoir des organisations criminelles, de la violence et de l'insécurité engendrées par la concurrence entre elles ainsi qu'avec l'Etat » A cet effet il est proposé non pas de libéraliser totalement le marché des drogues mais de le réguler. La commission suggère ainsi des « essais dans des marchés légalement réglementés de drogues actuellement interdites, en commençant, sans s'y limiter, par le cannabis, la feuille de coca et certaines nouvelles substances psychoactives (drogues de synthèse) ».
Fermez le ban ! Comment ne pas retrouver en écho dans ce rapport onusien ce que nous constatons tous les jours dans notre pays ?
La consommation de drogue ne cesse d’augmenter. On estime à 4 millions les consommateurs de cannabis auxquels bien évidemment il faut y ajouter les drogues de toutes sortes qui circulent et sont consommées.
Certes on trouve moins que dans les années 80 des jeunes qui font des overdoses et qui pissent le sang un peu partout quand ce n’est pas dans les services sociaux ou comme je l’ai vu dans mon cabinet au tribunal, mais force est bien de constater que la composition moderne du cannabis est bien plus dur que par le passé avec des effets sur la santé psychique et physiques d’une toute aire nature. Ce n’est plus vrai que le hachich n’a aucun effet fondamental et ne crée pas de dépendance. On ne peut plus dire que c'est de foin et passer à autre chose On a pu mettre en évidence sont impact dans la perte des capacités lors des accidents de la circulation. Au point où on en a fait une circonstance aggravante de la mauvaise maitrise d’une voiture. Et que dire de l’apparition de nouveaux produits dangereux comme ecstasy ?
Et puis comment ignorer que de nombreux quartiers sont porté à bouts de bras par le commerce de la drogue avec des points de vente connus de tous qui font de coffres d’affairée faramineux. Mais à quel prix pour les habitants ? Avec quels modèles de vie véhiculés vers les plus jeunes ? Un chiffre d’affaire de 100 00 euros par semaine et par point de vente n’est pas extraordinaire. Tel quartier d’Epinay suer Seine en compte dix. Les sommes en jeu sont considérables. Un jeune, salarié de midi à 24 H pour tenir un point de vente, se voit offrir 1500 euros par quinzaine avec une sorte de convention collective qui lui offre de 12 à 15 euros par repas et par jour ! Il est évident que les réseaux mafieux tiennent, dans tous les sens du terme, ces quartiers grâce à cette économie parallèle d’autant plus utile que l’économie classique est en berne.
Tout le monde sait les limites de la répression. On punit des troisièmes ou quatrièmes couteaux, rarement plus haut. On incarcère à tour de bras des trafiquants qui continuent à trafiquer en prison, des consommateurs qui continent à consommer en prison (conf le trafic de drogue mis en évidence à Nice cette semaine avec la complicité d’un surveillant pénitentiaire qui contribuait à faire entrer 400 grammes de cannabis en détention).
Tout cela coûte très cher aux budgets publics d’Etat et territoriaux et ne rapporte rien ou pas grand chose.
En plus nous sommes devant des contradictions majeures incompréhensibles par les plus jeunes et même pour les acteurs sociaux : on interdit la drogue à l’école - mais il en entre bien sûr et on y consomme -, mais on peut consommer impunément dehors ! Les enseignants interdisent ; les policiers et les magistrats tolèrent ! Quelle est la cohérence de la République ?
Bien évidemment on ne s’attaque pas à la cause : pourquoi a-t-on besoin de ces produits pour vivre ? Le débat vaut pour l'alcool ou le tabac notamment. En fait pour toutes les toxicomanies. L'important n'est-il pas non de consommer, mais de consommer avec excès et sans discernement au point de devenir addict.
On ne traite pas à la hauteur où il le faudrait ceux qui sont pris dans le piège de la dépendance. On est dans un registre moral. A côté de la plaque.
Bref, à tous points de vue, comment nier que les politiques suivies ont échoué ?
Au lieu de se saisir de ce travail onusien lucide mené par des hommes et des femmes de responsabilités qui ne sont pas de doux farfelus et de refléchir aux voies somme toute de bon sens qui sont avancées, c’est le silence quasi-total. On joue l’autruche et on attend le nouveau scandale qui va défrayer le landernau.
C’est à peine si on l'a esquissé autour des salles de shoot qui doivent s’ouvrir à Paris ou en province.
On souhaiterait pourtant savoir quel discours les pouvoirs publics français entendent tenir en 2016 pour l’Assemblée générale et quelle attitude ils entendent adopter pour notre pays sachant que là encore la mondialisation ne peut pas être négligée.
Pour cela un débat général s’impose qui doit être organisé par ces mêmes pouvoirs publics. Il doit s’appuyer sur les informations scientifiques que nous possédons. Une position collective délibérée avec les acteurs et responsables des politiques publiques de santé et de sécurité doit et pourra alors émerger qui sera pragmatique, laissant de côté les jugements moraux, avec les décisions qui doivent en découler.
Un sujet quand même d’une toute autre nature que les amours de ceux qui nous gouvernent.